
Une guerre finit toujours par s’achever, laissant place à la paix. Ces jours-ci, presque sans action, il semble que les rêves prennent une précision étrange, surnaturelle.
Cette nuit, me voilà dans un vaste appartement à New York, recevant une femme élégante qui, avec une moue indéchiffrable, examine notre décoration. Elle tient sans doute une galerie chic, car dans un coin du loft, j’aperçois au sol une pile de dessins magnifiques, censés être les miens.
À la mine de plomb, ils montrent une foule de personnages féminins. En y regardant de plus près, je remarque que ces visages viennent d’un autre temps, des années 1920, à en juger par les chapeaux qu’elles portent.
L’appartement, lui, est très 70s, et mon épouse en est fière : du papier peint aux larges formes rondes et aux couleurs vives habille les murs.
Sur un sofa, un livre de Kadaré, Le général de l’armée morte, traîne là, comme une note discrète dans le décor. Une sensation bizarre commence à envahir tout le rêve, jusqu’à ce que j’entende ma propre voix lâcher, presque malgré moi :
— Dehors, s’il vous plaît, chère petite madame : la vie, et rien d’autre.
La femme me regarde, interloquée, laissant tomber une tenture qu’elle examinait d’un sourire dédaigneux. Ses talons résonnent sur le parquet tandis qu’elle se dirige vers la sortie, accompagnée par mon épouse, qui tente de l’apaiser.
— Revenez dans quelques jours, il sera de meilleure humeur, dit-elle.
Les voix s’effacent peu à peu, et me voilà avec les dessins en main.
— Mais qui a dessiné tout ça ? Ce n’est pas moi.
— La vie, et rien d’autre, tu dis ? Et comment allons-nous payer le loyer ? demande mon épouse, plantée devant moi maintenant.
Une dispute ordinaire s’ensuit, où il est question de peurs, de revenus, de toutes ces petites inquiétudes.
C’est à cet instant que j’ai ouvert les yeux. La nuit était encore là, mais une légère lueur filtrait par la baie vitrée. Je savais exactement où j’étais. À mes côtés, un ronflement doux, presque attendrissant, résonnait.
Allongé là, je me suis mis à réfléchir à cette phrase : « la vie et rien d’autre ». Elle semblait juste, dans le rêve, mais peu à peu elle s’est transformée en quelque chose de presque ridicule. Une défense, sûrement. Un instant plus tard, elle me parut simplement évidente et banale, comme toutes ces vérités qu’on aime croire profondes.