Sans la présence des autres, je ne me sens pas seul. Mais sitôt que l’un d’eux surgit, je deviens Bernard-l’ermite. Petit Bernard, moyen Bernard, gros et gras Bernard, gigantesque coquille fabriquée par la somme augmentée, de jour en jour, des impressions de solitudes traversées. Lumière et prisme. L’ermite, l’ermitage, ces mots m’attirent sitôt que je pense à la présence des autres. Et c’est souvent, et ce de plus en plus, dans le fond tout le temps. C’est là-dedans que je me réfugie.
Puis, une fois arrivé là, mystère, je les oublie. Je plonge tout entier dans l’oubli des autres, et je m’efface, je m’efface comme une tache de cambouis sur un petit costume tout neuf. C’est peut-être toute cette saleté que je gratte, racle et frotte qui fait la matière essentielle de ma forteresse de nacre.
Ce n’est pas tant que je déteste les autres, mais plutôt que je ne sache par quel bout les prendre ou les délaisser. Ils sont là et aussitôt danger, alerte c’est l’oppression. Ils m’écrabouillent pour ainsi dire par leur volonté, leurs envies, leurs invitations, leurs invectives, leur présence silencieuse, encore mille fois pire.
Je me cache derrière une façade, un rideau de pluie, partout : dans la ville, les trains, les rues, les vignes au moment des vendanges. Je flâne après le passage des glaneurs. La joie de tomber sur une patate sur cette terre ratiboisée.
Une fois l’an, c’est l’heure des vacances. Tous les Bernard-l’ermite des environs se réunissent. Ils s’alignent en rang d’oignon face à une coquille vide. C’est l’heure, dit-on, de changer de crèmerie. Chacun s’enhardit à sauter par-dessus son voisin, petit à petit, et surtout à cavaler tout nu sur le sable pour aller tenter sa chance.
Et de se sentir pousser presque des ailes, poussé par tout le désir du monde d’avoir à nouveau un logis, une place, même temporaire, même éphémère, une nouvelle coquille.
Ensuite, chacun retourne à ses occupations comme il peut. Il n’y a ni vainqueur ni perdant. Seulement en avoir ou pas, à la fin quelqu’un conclut toujours en disant c’est la vie. Et c’est tout.
Ce texte a déjà été publié le 25 juin 2024 sur le blog du tierslivre dans le cadre du cycle #été2024
Parler au passé de soi au présent. Un peu comme on imagine pouvoir le faire une fois mort et enterré.Un genre d’occupation. Ou un genre de résistance à l’occupation. S’exclure en quelque sorte du présent par la porte de derrière.
Installer des séparateurs entre les idées. Certain(es) place des photographies, mais c’est un peu pareil.
Séparer. Ce que ça veut dire tout à coup. Je ne le sais plus vraiment. Séparerait-on machinalement ?
Dernière séance à l’atelier de C. Le nouveau président déborde d’idées et d’envies, de propositions. Envie de prendre la poudre d’escampette quasi dans la foulée. Je m’empêche. Reste amarré à ma chaise.Essuie la tempête. Je m’interroge sur la difficulté véritable, celle qui m’apprendra encore des petites choses de la choisir. Après tout ce changement de gouvernance est un microcosme idéal pour savoir si je suis plutôt collabo ou maquisard. Toujours un doute. C’est assez facile d’être résistant ou de se dire résistant quand on s’enfuit. Mais dans le fond on sent bien la gène, lancinante comme un mal de dent.