Durant quelques jours, il s’absente. On le cherche partout, mais nul ne le trouve, et on finit par l’oublier.

Car voyez-vous, la vie est faite ainsi : lorsqu’on ne trouve pas ce que l’on cherche, on finit par oublier ce que l’on cherchait. Il n’y a pas de raison particulière à cela, c’est une sorte de constante sans laquelle la vie elle-même ne parviendrait pas à s’y retrouver.

Un matin, il baille et se lève du pied droit. Dehors, tout indique déjà l’arrivée du beau temps, peut-être même du printemps. Mais n’anticipons pas ! Restons là, au présent.

Quelques jours s’écoulent comme de l’eau qui s’évapore. Le sol de l’atelier est sec. Froid et sec, idéal pour y marcher pieds nus et retrouver ainsi le contact avec la réalité.

Récapitulons.

Le personnage principal de cette histoire est un peintre qui raconte sa vie de peintre. Ne nous égarons pas au-delà de ce périmètre.

Même si le peintre en question possède des velléités d’écrivain, ou de chanteur, de coureur à pied, de cuisinier, de collectionneur de mignonnettes, de porte-clés, de papillons, et qu’il pratique en douce l’art difficile de créer des herbiers, qu’il ne rechigne nullement à s’enfoncer des après-midi entiers dans des puzzles, à relire des dictionnaires, des encyclopédies, principalement médicales… Même si le peintre s’éparpille en confection de sauces, de ragoûts, dans la quête effrénée du meilleur tandoori ou bien des mille et une versions de la crêpe Suzette… soyons généreux et bons avec le lecteur. Ne l’égarons pas, retenons son attention de poisson rouge et repartons d’un bon pied — le droit, comme je le précise encore — et effectuons ce petit pas de côté.

Dansons joue contre joue. Non, zut, désolé, c’est venu comme ça.

Il suffit qu’on pose des limites pour que certaines personnes s’acharnent à ne pas les respecter.

L’auteur notamment. Ou son personnage…

Lequel des deux ? Mystère et esquimau.

— Et donc, t’es mourus ou pas ?

S’interroge le lecteur, qui se pince comme pour se demander s’il ne rêve pas. S’il est bien là, en ce moment même, en train d’assister à la renaissance d’un Phénix — et en direct, je vous prie.

N’est-ce pas encore une tromperie, une trahison, un coup fourré ? Bref, quelque chose de totalement scandaleux de voir un mort se relever comme Lazare de Béthanie et se remettre en branle comme si de rien n’était ?

— Où donc est Jésus, bordel, sans qui rien de ce genre ne peut exister ?

La chatte roupille sur son coussin et lâche un pet dans son rêve de chatte. Jésus par Minou.

Le peintre ouvre les yeux, il se tâte, les couilles évidemment — c’est la partie la plus centrale de l’homme. Tout est là, bien en place. Mystère et esquimau.

Le peintre prend une nouvelle toile, essuie ses pinceaux, prépare de nouvelles couleurs sur sa palette.

Le voici parcouru d’un léger frisson. Il a froid aux pieds. Alors il se dit qu’il faut bouger pour se réchauffer, peut-être même danser, sautiller, peindre vite, très vite entre deux pensées.

L’auteur aussi sent soudain ses pieds se réchauffer. Et il écrit : sentir, mais pas que des pieds.

Comme c’est bizarre tout cela, qu’il suffise de laisser s’exprimer son personnage pour en vivre les sensations.

Car l’auteur, en général, évidemment, n’a pas du tout de sensation. Il s’adapte à tous les temps, à toutes les températures, à tous les climats.

On ne sait même pas si l’auteur est un être vivant. On serait bien en peine de le dire. Donc, tout ce que l’on peut imaginer — car il ne reste que l’imagination —, c’est qu’il n’est pas mort non plus. Tout le monde sait pertinemment que les morts n’ont rien à dire. D’ailleurs, ils n’en ont pas besoin, puisque les vivants, comme les personnages, sont exactement créés pour cela.