Scène : Un bureau encombré, avec une lampe de bureau allumée. Le narrateur , assis à une table, regarde son écran d’ordinateur, perplexe.

le narrateur : (avec un soupir, parlant à voix haute)
Grande difficulté à répondre aux commentaires. C’est arrivé progressivement. Avant, je répondais volontiers, sans trop réfléchir. Mais maintenant… non, je ne peux plus. Je suis retourné voir sur le site du TL. J’ai vu. J’ai vu les commentaires laissés sans réponse. Ça me chiffonne. Mais je suis bloqué, je ne peux pas répondre. Pas bloqué par un bug du site, non, bloqué par une étrange volonté de ne pas trouver quoi répondre. (pause)

Je pourrais me contenter d’un merci. Ce serait déjà ça. Ce serait poli. Mais même un merci m’échappe, comme une bulle de savon qui éclate avant que je ne puisse la saisir. (regard fixe, replongé dans ses souvenirs)

Dire merci à la dame, au monsieur. Déjà enfant, je résistais à cet automatisme. Ce n’était pas facile, et surtout pas bien vu. Merci, merci, merci. Merci automatique, merci sans âme. Merci qui n’est pas le mien. Peut-être que la racine de ce blocage se trouve dans cette histoire de permission. Comme en informatique, quand tu veux modifier un bout de code et que le système te dit : « Ah ben non, t’as pas les permissions. » Il faut alors faire un Chmod ou un Chown pour régler le problème. Mais ici, il n’y a pas de commande magique. (soupir)

Les mots sont des clés, des portes vers des mondes cachés. Kabbalistes de l’ombre, nous jouons avec les lettres, les inversions, les significations. Chaque commentaire est un golem, façonné d’argile, porteur de vie ou de silence. (pause)

Je regarde les commentaires, j’en suis toujours étonné, surpris. C’est comme une petite déflagration, quand j’ouvre ma boîte mail et que je vois « X ou Y vous a adressé un commentaire. » (pause, regard interrogateur)

Je ne sais jamais l’intention de l’autre. Est-ce que c’est si important de savoir l’intention de l’autre ? Sans doute que oui, pour moi, c’est important. Si l’autre n’a pas une intention claire, tout est alors possible, c’est ce que je me dis. Faut s’attendre au pire plutôt qu’à rien. Une habitude à prendre.

Bien sûr, je n’en veux à personne de m’adresser des commentaires. J’éprouve même une trouble satisfaction à les lire. Trouble parce que je ne sais jamais si c’est un commentaire pour prouver que j’ai été lu, ou bien un commentaire qui vient directement du cœur. Ça peut aussi être un commentaire destiné aux algorithmes désormais plus qu’à moi-même. Aujourd’hui, c’est difficile de le savoir. (pause) Tellement que je préfère m’abstenir d’y répondre de plus en plus.

Ce qui ne manque pas de creuser un écart. Un écart de plus en plus grand, plus profond, entre les gens qui font des commentaires et moi qui ne sais pas comment prendre leurs commentaires. L’écart ainsi créé par le fait de laisser en plan toute réponse, me permet une sorte de travail sur moi-même. Je me rends bien compte de ça. (regard pensif, plus intense)

Je voudrais simplement écrire, publier. Je voudrais faire ça jour après jour et ne plus répondre à aucun commentaire, c’est-à-dire solidifier un choix. Le rendre comme du granit. Très dur. Ça me fait du bien, je crois. Je ne pense pas que ce soit de la méchanceté. Je pense plutôt que je me suis recroquevillé si loin à l’intérieur de moi-même que le commentaire ressemble à une fourchette à escargot qui cherche à m’attraper pour me manger. Quelque chose de ce genre-là. En fait, j’ai une peur bleue des commentaires, et encore plus de la moindre réponse qui pourrait sortir de ma coquille si je n’étais pas devenu sur ce point d’une vigilance terrible. (silence lourd, puis un soupir profond)

Les mots, les lettres, les chiffres, tous des signes. Des portes vers l’infini. Comment répondre à l’infini ? Peut-être que dans le silence, je trouverai la réponse. Peut-être qu’en écoutant les échos des lettres, je trouverai la paix. (regard lointain, puis un sourire léger) Oui, peut-être que le silence est la réponse.