La nuit. La peur. Les dents claquent. Froid, toujours. Un corps. Pas stable. Un souffle ? Non. Plus rien. Cage. Dedans, tambour — pas de rythme. Bruit. Bruit sourd. Peut-être le cœur. Peut-être rien.

Et toi. Pas toi. Une ombre. Juste derrière. Non, pas dehors. Ni dedans. Tu hésites. Pourquoi ? Ce n’est rien. Rien que toi. Je suis toi, dit-il. Pas d’échappatoire. Regarde. Regarde ce poids. Ce corps. Tu refuses. Pourtant, il est là. Moi, toujours.

Silence. Non, un rire. Cassant. Tu veux fuir ? Impossible. Ce soir. Ce corps. Et moi.

Dans l’ombre. Une image. Un éclat. L’enfant. Assassiné. Meurt, meurt encore. Cri blanc. Un éclatement sourd dans l’obscurité. Ils ricanent. Coups de pied. Des gestes flous, répétés. Ils cognent. Ils déchirent. L’enfant tombe, se relève dans l’esprit, encore et encore.

Un souffle. Trop faible. L’air glisse, traverse. Vide. Toi, pas là. Pas vraiment. Mais eux, si. Ils bougent. Tremblent. Leurs mains. Ces mains. Serrent. Frappent. Arrachent. Maintenant immobiles.

Toi, dans le coin. Ou au centre. Peu importe. Plus de poids. Plus de place.
Pourquoi ? dis-tu. D’abord doucement. Puis. Plus fort. Pourquoi moi ? Pourquoi pas vous ?

Ils ne bougent pas. Ne regardent pas. Ne répondent pas.

Ta main. Petite. Douce. Translucide. Elle aurait grandi. Aurait tenu des choses. Joué. Dessiné. Aimé ? Non. Rien. Seulement ce silence.

Tu avances. Si près. Maintenant. Tu veux hurler. Le son. Monte. T’étouffe. Pourquoi pas vous ? Pourquoi pas vous ?

Rien. Pas un souffle. Juste leur respiration. Ce bruit. La vie. Immonde.

Et toi. Ton corps.

Il colle. Pèse. Chaque pas. Une lutte. Chaque souffle. Une faille. Tu voudrais t’en débarrasser. Mais il reste. Accroché. Implacable.

Pas moi, dis-tu. Pas ce soir. Pas jamais. Dire. Dire encore. Il faut mourir à en écrire.

Je ne sais pas ce que j’écris. Ce n’est plus moi. Moi n’a jamais été. Ne sera plus.

Le fantôme revient. Une ombre contre ton ombre. Retourne. Essaie encore.

Mais l’enfant murmure. Ne pars pas, dit-il. Ils n’en valent pas la peine. Regarde. Ils tremblent. Ont déjà tout perdu. Mais toi... toi, tu peux encore.
Encore quoi ?

Tu ne sais pas. Pas encore.

Je trace une ligne. Je veux écrire une entrée de journal. Espoir. C’est pour rire non. Je pense qu’après la ligne, je reviens. Qui revient. Dans quel état. Mon corps est assis là à la table. C’est un étranger, je ne reconnais rien de lui. On ne badine pas avec la mort, le meutre.

Il faut se dépêcher. Ça part. Sort. Tout s’efface. Je ne sais plus si je veux le conserver. L’éjecter. Le perdre. Encore le perdre.
Porter à bout de bras. L’amabilité. La politesse. La gentillesse. C’est pas trop lourd pour toi superman ? Regarde, t’es tout seul. Ils ont laissé tomber depuis belle lurette. Tu peux y aller. Laisse tomber. Fauve redeviens. Hurle à la mort.

Un poids glisse. Ce qui reste ? Des lambeaux d’images. Une fausse lumière. Ils ont voulu faire croire que ça comptait. Être aimable, poli, gentil. Toujours poli. Toujours aimable. À quoi ça a servi ? Tu regardes tes mains. Toujours vides. Toujours tremblantes. Tu relèves la tête. Une ombre passe. Ou peut-être toi. Fauve, redeviens.

Assis toi sur ton cul. Hume l’air. Il fait froid. L’air est tonique. Prononce à voix haute tout ce qui s’achève en hic : synthétique, élastique, onomastique, sac en plastique, colique néphrétique, pathétique. Le son ricoche, monte, éclate. Une rythmique absurde qui cogne les murs invisibles. Tu continues, encore et encore. Jusqu’à ce que les mots deviennent étrangeté, presque un râle, quelque chose qui n’est plus tout à fait humain. Fauve, redeviens.

Sinon tu peux aussi examiner les lieux. Le périmètre de la scène de crime. Sors ta loupe, tes lorgnons, ton monocle. Penche toi sur la merde qui git étalée de tout son long sur le sol. Examine la dureté des étrons. Tâte de l’index la température de l’excrément. C’est encore tiède, ce n’est donc pas encore tout à fait mort pour de vrai. Mets ça dans un sac en plastique. Pièce à conviction. Si tu veux encore une conviction.

Ce n’est pas politiquement correct. Excuse-moi. C’est pour rire, bien sûr. Quel malaise, mazette. Rire sarcastique, parallélépipédique, scolastique, empirique...