Les choses me traversent, je ne les retiens guère. Elles restent un moment puis repartent comme elles sont venues. Avant, je faisais n’importe quoi pour essayer de les retenir ; je ne le fais plus. Quand j’écris, elles me traversent à nouveau. Est-ce que je veux les retenir en les écrivant ? Je ne le crois pas. Peut-être leur donne-je un surplus d’existence. Je les examine mieux en les écrivant. Je peux mieux en mesurer toute l’ambiguïté, l’espace de l’ambiguïté qui les accompagne, et dans lequel, ambigu moi-même, je les côtoie.

« Il n’y a pas un espace, un bel espace, un bel espace alentour, un bel espace tout autour de nous, il y a plein de petits bouts d’espaces[…] » G.P

L’espace d’un atelier d’écriture est étrange. Ce qui se côtoie, ce sont les textes des participants. Les commentaires essaient de créer autre chose ; c’est pour cela que je m’abstiens d’en faire. J’aime l’espace ainsi, celui créé par les textes publiés. Il est dans une immobilité paisible. Je pense à la mort quand je pense à l’immobilité ; je pense que la mort peut être un espace paisible.

Revenir sur un texte est difficile pour cette raison, je crois, parce qu’il faut redonner une espèce de mobilité à ce qui n’en a pas, à ce qui n’en a plus besoin. Surtout si on veut préciser quelque chose. Est-ce une bonne raison pour ne pas relire ? Bien sûr que non. Il faut relire, mais ne pas modifier, tirer parti des ambiguïtés, réécrire d’autres textes à partir de celles-ci. En ce moment même où j’écris ces lignes, c’est ce que je pense. Je suis conscient de pouvoir changer d’avis demain.

Il y a un mot pour ça : agile. Les entreprises l’ont récupéré. Comme si les entreprises se classaient désormais en deux catégories : celles agiles et celles non. Agiles car elles peuvent s’adapter aux imprévus. En un rien de temps, elles peuvent recréer une configuration d’idées, d’actions, de moyens leur permettant de naviguer dans l’élément liquide que d’autres nommeront l’aléa, le chaos. Se préparer au chaos, c’est déjà lui donner une possibilité d’exister. Se rendre compte que le chaos existe est une bonne chose. La pire des choses étant de ne pas vouloir le voir en face.

J’ai aussi accepté le fait que je ne puisse comprendre au sens de contrôler le sens de ce que j’écris. Souvent, je crois parler d’une chose, puis quelques jours après, je m’aperçois qu’en parlant de cette chose, je parle de bien autre chose. Je ne cherche pas à m’améliorer, à dire plus précisément la chose ; je crois que si je m’engageais dans cette voie, je me fourvoierais.

Il y a un espace humble à trouver pour l’écriture, un espace où la banalité se transmute en quelque chose qui ne brille pas forcément, mais offre une présence véritable. Une amitié.

J’écris toujours en ce dimanche comme j’ai écrit le texte publié hier. En fait, j’écris ces deux textes le 23 juin, dimanche, avant de m’autoriser à passer le karcher dans la cour. Il faut attendre 10 h, par respect pour le voisinage. Je suis respectueux du voisinage, surtout parce que je n’aimerais pas être dérangé par le bruit d’un karcher, le dimanche avant dix heures, pendant que j’écris.