L’originalité, c’est quoi ? Une sacrée préoccupation, avant tout, pour les jeunes peintres ou pas. Pour les amoureux éperdus dans une passion toute neuve. C’est très exagéré tout ça. Même si, pendant un instant, ça fait du bien, ça nous place sur des échasses à contempler le bas-monde en dessous. Ça peut même souvent faire glisser vers le mépris, je l’ai constaté maintes fois.
À force de détester le familier, il est possible qu’il revienne soudain au galop. Qu’il se revête de tout l’apparat de l’original à nos yeux aveuglés par l’absurdité de tous les renouveaux. Un soleil en chocolat qui fond dans l’œil et qui, une fois qu’il l’aveugle pour de bon, nous fasse chialer.
L’originalité, ce n’est peut-être rien d’autre que du familier retrouvé. Du familier avalé, mal digéré, qu’on régurgite. Un petit tas de vomi à trifouiller quand on n’a plus rien d’autre à béqueter, à bécoter.
Même les épluchures peuvent constituer d’excellents mets, vous savez. Quand on n’a plus la force de ramer pour payer les légumes, de se baisser pour les attraper dans les cageots défoncés en fin de marché. On récupère les épluchures, dans une anorexie qui tombe à pic, et on invente, voilà tout. Les épluchures, c’est moins lourd à trimballer. Personne n’en veut, personne ne viendra les jalouser, les dérober. On ne sera pas envié.
On cuisine et on goûte.
Ce n’est pas mauvais, mais on ne peut pas dire non plus que ce soit goûteux. Du moins à la première cuillerée. Le palais est encore encombré de souvenirs insistants, occupé par la comparaison. C’est la faim qui commande cependant. Le biologique, la survie.
On entre dans une habitude comme on pénètre dans les miracles, sans bien s’en rendre compte. La gratitude est de l’ordre du superflu.
C’est par inadvertance qu’on s’en rend compte. Une pure inadvertance par laquelle toute pensée et tout point de vue habituel s’échappent. On se retrouve la langue nue.
Et là, le goût de la patate, de la courgette, du navet naissent enfin pour de bon. Tout comme soi-même. Simultanéité et réciprocité.
L’épluchure nous rend à la fois au légume, au fruit, et à la vie.
Alors, c’est bien étrange de constater à cet instant à quel point l’originalité et le familier se confondent dans l’être. Que tout cela, dans le fond, on le sait depuis toujours. On peut enfin se rendre compte de l’écart dans une solitude immense et apaisée par tous les autres encore en route pour venir s’asseoir à notre table. Peu importe le temps que ça prendra, il y aura toujours de quoi.
La véritable abondance est là, depuis toujours. On s’en souvient. Comme c’est original !