Si j’avais encore un de ces vieux carnets je pourrais écrire seulement deux mots sous la date du jour. Mais le fait d’écrire ici sur ce blog me pousse à écrire beaucoup plus que deux mots. Est-ce que je m’en plains, est-ce que je m’en réjouis, ni l’un ni l’autre. C’est juste un constat. Quand Kafka écrit « les jours » et rien devant rien derrière, je siffle d’admiration. Et je vois très bien la page du cahier. En revanche, je ne vois pas ce billet de blog J218 avec « Volontairement » et rien devant ni derrière.
Donc le support est important, car il permet une intention différente. Est-ce que pour autant j’aurais aujourd’hui encore envie d’écrire sur un carnet ? Je ne le crois pas, je ne le crois plus. Déjà parce qu’à force de ne plus écrire à la main j’écris comme un cochon, c’est devenu illisible. Une écriture de médecin déchiffrable que par les pharmaciens.
Je me souviens comment j’écrivais autrefois de jolies phrases avec une écriture très lisible. C’était une toute petite écriture très resserrée, j’utilisais toute la surface de la page de carnet, il fallait que tout, absolument tout soit noirci, très peu de blanc comme dans un dessin de visage. A quelle époque ai-je arrête d’écrire ainsi ? J’ai quitté Paris, en 1995, pour Montfort l’Amaury, et ce fut l’occasion d’acheter ce premier ordinateur Hewlett Packard. Je ne me suis pas mis à écrire sur cette machine tout de suite. Je me souviens que je n’y comprenais rien. Il y avait un collègue de travail qui travaillait au service informatique de la boite qui m’avait plus ou moins guidé pour que je me repère. Le logiciel de traitement de texte était Works je crois. C’était encore Windows 3.1. Une machine achetée d’occasion bien entendu, et déjà pas donnée. Je crois que la même année je suis passé à Windows 95, et peut-être Word. Ce même collègue m’avait fournit les disquettes et j’avais installé le nouveau système d’exploitation tout seul. J’aurais pu écrire au moins 10 romans avec tout ça. Mais je n’en ai rien fait. Je crois que j’ai continué à écrire sur mes carnets. Cela me rassurait. Puis je me suis lancé sur Word et j’ai perdu de nombreux textes car la machine plantait, ou bien je devais changer le disque dur, ou encore je ne sais quoi. Je ne sauvegardais que très peu car les sauvegardes s’effectuaient sur disquettes. Les disques durs externes sont venus beaucoup plus tard. Est-ce que je suis encore nostalgique quand je repense à cette époque, à toutes ces pertes ? Non, plus vraiment. J’imagine que c’est la part que l’on doit donner au feu et puis grandes chances aussi que ces textes ne valaient pas grand chose non plus. C’était une sorte de longue plainte, avec parfois des accès de méchanceté crasse.
Quels écrivains essayais-je d’imiter à cette époque ? Probablement Paul Auster dont j’avais avalé sans mâcher sa Trilogie new-yorkaise ; ou encore Paul Bowles, avec son Thé au Sahara, certainement aussi Raymond Carver avec ses Vitamines du bonheur, et j’en oublie. Parfois j’avais des genres de crises où il fallait lire des essais, j’ai dû me goinfrer de Blanchot, surtout de Blanchot, et parallèlement de René Girard, et donc de Dostoïevski. Puis je sautai allègrement vers les écrits bizarres comme ceux de Carlos Castanéda et ceux de Mircéa Eliade… j’essaie de me souvenir des principaux. J’oublie Rabinadrath Tagore et tous les persans, Rûmî, Omar Khayam, Afez. Et encore beaucoup d’autres. Je crois que la lecture de Miller est associée à l’errance d’un quartier à l’autre de la ville, de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel. Et aussi celle de Laurence Durrell bien sur. Je n’ai pas réussi à lire Proust avant 1996 quand j’ai déménagé sur Lyon, dans cette maison que je louais rue Pierre Valdo dans le 5ème. Une lecture plutôt anarchique donc. Est-ce que je prenais des notes de lecture ? je ne le crois pas, ou en tout cas d’une façon assez dilettante. C’est peu à peu que je me suis mis à taper au clavier, dans cet appartement que j’ai trouvé juste après à la Croix Rousse. J’étais au septième étage dans un genre de grenier, j’avais installé ma table de travail sous un vasistas et cet été 1998 je l’ai déplacée car j’ai découvert que je pouvais grimper sur le toit durant les nuits chaudes d’été. Je m’asseyais là pour regarder la ville en contrebas en fumant des cigarettes et en rêvant à je ne sais quoi.
Le temps est si vite passé. Je crois que les femmes notamment ont le chic pour nous le faire passer encore plus vite. Trois femmes seulement qui auront comptées comme on dit avant que je ne rencontre la dernière. Ce qui fait que le temps aura passé quatre fois plus vite que si j’étais resté seul sagement à taper sur mon clavier avec probablement 10 ou 15 romans à la clef. Est-ce que je vais me mettre à regretter ? certainement pas. J’observe seulement les faits, rien que les faits.