Hier, en stage, je note ça pour ne pas le perdre, il est peut-être temps que je prépare ma tête, ou mieux, mon visage, à mourir. Il serait inconcevable de mourir avec une tête aussi pouponne, avec ce que j’estime être ce trop plein d’ironie et humour qui résiste encore au fond des cavités orbitales, tout à fait inconcevable. Il faut que je me fabrique une sorte de tête cireuse dépourvue de la moindre expression, en prévision de claquer. Ne serait-ce que pour entrer en conformité avec l’événement. ( L’expression claquée vient de moule claquée je crois me souvenir, Tropique du Cancer, H.M) Le fait de verbaliser claquée en claquer, verbe d’action. On claque et c’est la dernière chose que l’on fait, en se vidant simultanément de toute humeur, atteint de plein fouet par un anévrisme abdominal.

Car en effet, hier , le matin, en cours, j’apprends l’existence de l’anévrisme abdominal. On peut se vider en deux secondes parait-il. C’était une ancienne fumeuse qui balance ça dans la conversation, un ange passe, elle a arrêté la clope depuis.

— En deux semaines et sans rien prendre. J’ai relu la lettre de l’angiologue dès que j’avais envie de fumer.

— Sans rien d’autre ! j’ai dit admiratif. Il fallait bien dire un truc, tout le monde avait la tête dans les épaules. J’étais moi-même terrorisé.

Et juste après , j’ai filé à la pharmacie, car j’avais commandé ce kit de pilules homéopathiques destiné au sevrage des Nicopass. J’ai repensé à cette histoire d’anévrisme abdominal, et au fait de se vider en deux seonces. J’ai imaginé que je me vidai à la caisse de la pharmacie d’un seul coup. Encore beaucoup trop d’imagination.

J’ai en ce moment des idées comme des oiseaux voletant autour de la tête et ce ne sont pas des mésanges,ce qui me rappelle pour je ne sais quelle raison Padoue. A moins que je ne confonde encore avec Assise à cause de Delteil. Plus généralement avec la légende Dorée de Voragine. Des idées comme des gros oiseaux essoufflés mais toujours voletant, et qui participent de plus en plus au moment présent quand je suis là à cette table.

Le mouvement d’écrire, est comme celui de faire le feu, d’assembler des cailloux, de l’herbe sèche, du petit bois, et à la fin crac, craquer une allumette et espérer le vent pour la suite.

Parfois, une sorte de bouffée de lucidité me transforme en baron de Munchhausen, pas par pathomimie, c’est surtout pour l’image du type voyageant sur un boulet de canon en posant une main sur son chapeau.

Hier après-midi encore ces pensées fugaces sur le fait qu’on ne puisse plus penser ce que nous étions éduqués à penser notamment sur les femmes. Sur le fait que de nombreux types de mon age font semblant de penser autrement alors qu’en fait ils pensent les choses les plus effroyables encore. Ensuite, la nature faisant toujours bien les choses quand elle ne les fait pas mal, je levai les yeux sur la salle, je vis que nous étions tous vieux ici, que nous pouvions nous chamailler tout à fait comme le faisaient nos aïeux, ce genre de chamailleries homme-femme. N’avons- nous pas toujours connu cela ? Puis je me suis demandé si cela ne faisait pas peuple, si, dans le fond, vu tout ce que nous traversions, le fait d’être peuple ne nous rassurait pas. Et donc les femmes reprenaient leur antique rôle de femme et les hommes continuaient tout à fait naturellement cette fois à être des bourrins. Pénétrer avec délectation dans le rôle d’andouille.

toutes ces bribes ces embryons ces fétus de paille, il y a beaucoup de vent en ce mois d’avril, on dirait que le grand nettoyage de printemps est dans l’air du temps. J’ai des rêves d’étagères, de piles de dossiers bien ordonnés. Et quand tout est ordonné un éléphant entre, un éléphant blanc albinos aux yeux rouges. Hésitation sur le fait qu’il soit furieux ou terrorisé.