un détail du plan du 15 ème arrondissement de Paris
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Bon, il faut bien commencer quelque part, alors commençons par le début qui n’en est pas vraiment un. En 1860, quelqu’un a eu l’idée saugrenue de créer le 15ème arrondissement. Une sorte de patchwork territorial, si vous voulez, fait de bouts de communes qu’on a recousus ensemble comme un vieux manteau. Vaugirard d’un côté, Grenelle de l’autre, et puis des petits morceaux d’Issy qu’on a ajoutés pour faire bonne mesure.

Avant ça, figurez-vous qu’on chassait le lièvre à Grenelle. Oui, le lièvre. Des types en redingote qui couraient après des bestioles à grandes oreilles, ça devait avoir de l’allure. La plaine s’appelait "garanella", ce qui voulait dire "petite garenne". Les lapins devaient bien rigoler de cette appellation contrôlée.

Et puis il y a eu cette histoire d’eau de Javel. En 1777, des malins ont eu l’idée géniale d’installer une usine de produits chimiques. L’hypochlorite de potasse, ça vous parle ? Non ? Normal. Mais l’eau de Javel, ça oui. Le quartier s’est retrouvé avec un nom qui sent le propre, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

Tiens, parlons de Madame Necker. En 1778, elle se dit qu’un hospice pour les pauvres, ça ferait chic. Cent-vingt places, des religieuses aux commandes, le tout dans un ancien couvent. Son mari était ministre des Finances, ça aide pour les travaux. L’hôpital existe toujours, c’est dire si l’idée n’était pas si mauvaise.

L’histoire du 15ème, c’est aussi celle d’un certain Violet qui s’associe avec un certain Letellier en 1824. Leur projet ? Découper la plaine de Grenelle en petits morceaux pour les vendre. Des entrepreneurs avant l’heure, des spéculateurs immobiliers qui ne savaient pas encore qu’ils l’étaient. Ils ont même eu droit à leur rue, la rue des Entrepreneurs. L’ironie ne s’invente pas.

Et cette église Saint-Lambert, parlons-en. Au début, c’était juste une chapelle pour des gens qui trouvaient que marcher jusqu’à Issy, c’était trop fatiguant. En 1453, on leur refile les reliques d’un saint belge assassiné en 708. Saint Lambert, spécialiste des hernies et de la maladie de la pierre. Les ex-voto s’accumulent, les pèlerins affluent, l’argent rentre. Un business model médiéval qui fonctionnait plutôt bien.

Sous la Révolution, l’église devient temple de la Raison. Un changement de cap radical, vous en conviendrez. Les hernies devaient se soigner toutes seules.

Et puis il y a eu cette histoire de gare Montparnasse en 1859. On pose des rails, on construit un bâtiment, et voilà que les trains se mettent à arriver dans le 15ème. Les voyageurs aussi, par la même occasion. Certains sont restés, d’autres sont repartis. C’est le principe d’une gare.

L’industrie, parlons-en. Des usines partout. Des chaudières, des locomotives, des ballons, des dirigeables. Même les ascenseurs de la tour Eiffel ont été fabriqués ici. Le 15ème, c’était le Silicon Valley de la vapeur et du métal.

Après la Première Guerre mondiale, on s’est dit que des boulevards, ça ferait moderne. Les Maréchaux, qu’on les a appelés. Pas très original comme nom, mais ça pose son homme. Et puis dans les années 70, la tour Montparnasse est sortie de terre comme un champignon de béton. Les habitants ont fait la grimace, mais ils s’y sont habitués. C’est ça ou déménager.

Aujourd’hui, le 15ème est le plus peuplé des arrondissements parisiens. Huit cent cinquante hectares de territoire, des milliers de vies qui s’entremêlent, des histoires qui s’empilent comme des couches géologiques. Des traces d’eau de Javel dans les sous-sols, des fantômes de lièvres qui courent encore dans les jardins, et cette tour Montparnasse qui joue les vigies de béton.

C’est ça, le 15ème. Un grand puzzle urbain où les pièces ne s’emboîtent pas toujours parfaitement, mais qui tient debout quand même. Une sorte de miracle administratif et architectural qui continue de fonctionner sans que personne ne sache vraiment pourquoi ni comment.

Et pendant que certains cherchent encore des hernies à faire guérir par Saint Lambert, d’autres inventent l’avenir dans des bureaux climatisés. Le temps passe, les usines deviennent des lofts, les chapelles des supermarchés, mais l’arrondissement reste là, imperturbable, avec ses secrets et ses contradictions.

Comme dirait peut-être un ancien chasseur de lièvres de Grenelle : "C’est fou ce qu’on peut faire avec quelques communes mal assemblées et beaucoup d’imagination."