
Je ne sais plus si ce sont les femmes qui agitent leurs mains sur ce quai de gare, ou les hommes silencieux accoudés aux fenêtres des wagons, la jointure blanche de leurs phalanges qui s’y accrochent encore. Je ne sais plus si cette scène, je l’ai vue de mes yeux, dans les années 80, à Palerme, ou si je l’ai imaginée tellement fort en la lisant dans ce roman. Parfois, on a du mal à faire la différence. Parfois, on dit aussi que la fiction dépasse la réalité.
Les femmes vêtues de noir, les hommes vêtus de gris, le ruban blanc laiteux du ciel au-dessus des voies. Une photographie en noir et blanc, ai-je pensé, et soudain le décor, les êtres ont commencé à se mouvoir. Je peux même me souvenir de la petite brise que produisit ce mouchoir près de mon visage, son parfum, proche, contre toute attente, de celui des fraises Tagada.
J’ai cherché sur Google une image se rapprochant de celle qui reste logée dans ma tête. Une image en noir et blanc de cette gare, de ces quais. Je ne l’ai pas trouvée. Mais Google, ce n’est pas non plus la réalité. Et j’ai été content, je crois, de ne pas la trouver.
Puis quelque chose de drôle se produit quand je tombe sur cette photographie. Tout le poids de cette satanée mélancolie s’envole par magie. J’entends un battement d’aile, un roucoulement de colombe, le bruit caractéristique du linge que l’on secoue avant de l’accrocher à un fil tendu entre deux fenêtres.
Mais ça aussi, à la lecture, je l’avais déjà entendu...