réecrire un texte de G. Bataille dans Madame Edwarda.

Au coin d’une rue, l’angoisse — une angoisse âcre, saline, presque exaltante — me lacéra tout entier. Peut-être à cause de deux filles, entrevue furtive dans l’escalier d’un lavabo. À ces moments, je sens monter cette envie obscure : me vomir. Me renverser. M’évider. Il faudrait me mettre nu, ou elles. Que leur peau tiède, leur fadeur charnelle, me ramène au silence. Mais je pris le détour le plus pauvre : un pernod au comptoir, bu d’un trait. Puis un autre. Puis encore.

La nuit tombait — noire, nue.

Je me mis à marcher, titubant, entre Poissonnière et Saint-Denis. Ivresse et solitude se nouaient. La nuit, dans ces rues désertes, m’offrait sa nudité. Alors, je retirai mon pantalon, le jetai sur mon bras. J’aurais voulu que la fraîcheur de la nuit s’insinue dans mes jambes, qu’elle pénètre, lave, emporte. Une liberté folle me portait. Je me sentais grandir. Dans ma main, je tenais mon sexe, dressé comme une affirmation, un refus.

(J’aurais pu taire cela. M’offrir un détour, une décence. Mais non. L’entrée est dure. Il fallait ce heurt. Je continue — plus dur encore.)

sous-conversation

— Là. Là, ça vient. Cette secousse, cette vague — l’angoisse ? Non, plus. L’élan.

— Tu les as vues ? Ou tu les as inventées ?

— Peu importe. C’est le corps qui s’est tendu, la gorge, l’envie.

— Et ce pernod… pour faire passer quoi ?

— Pour empêcher d’exploser.

— Et la rue ? Tu cherches quoi dans cette nudité-là ?

— Être plus nu qu’elle. Plus vrai. Plus hors de tout.

— C’est obscène.

— C’est sacré.

— C’est ton commencement, ta coupure.

— Et si tu continuais encore… plus bas, plus cru ?

— Je suis déjà là.

note de travail

Ce texte est une plongée brutale dans un moment de désintégration du sujet. Le patient (ou plutôt, l’écrivain-patient) entre dans une phase où le désir, l’angoisse et la dissolution du moi sont intriqués.

La vue furtive des filles déclenche une crise — non pas une simple excitation, mais une **violence intérieure, une nausée ontologique**. Ce n’est pas le corps des autres qu’il convoite : c’est **l’effondrement du sien** qu’il réclame. Il veut s’arracher à lui-même.

Le pernod, l’alcool, l’errance : autant de moyens de se perdre. Mais surtout, il y a cette scène puissante : se dénuder dans la nuit nue, dans des rues vides. La nudité devient un **rite sacrificiel**, un désir d’effacement ou de dépassement.

Et puis cette phrase-miroir : "J’aurais pu éviter cela. Mais je continue — plus dur." Le patient sait. Il sait ce qu’il fait. Il s’expose, il s’agresse, il transgresse. C’est une forme d’**auto-sacrifice littéraire**. L’obscène ici n’est jamais gratuit : c’est un passage, une brûlure nécessaire.

Ce texte, comme une psychanalyse, ne commence pas par la surface. Il entre directement dans la plaie.

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