Nerval y est sans doute pour quelque chose, avec Aurélia, inachevée, ou encore l’inquiétante Ophélia, allongée dans son lit d’eau, les yeux mi-clos. L’Égypte ancienne, avec ses graffitis funéraires, ne manque pas à l’appel non plus. Et bien sûr, il y a ton père, qui ne se lève que par pure obligation professionnelle, mais qui, dès qu’il le peut, reste allongé comme un empereur romain sur le canapé du salon, ou passe le week-end entier dans son lit à lire des romans policiers. Cette accumulation d’images autour du lit, de la posture allongée, remonte certainement à des existences bien plus anciennes, peut-être au-delà des 200 000 ans, à une époque glaciaire déjà oubliée. Et peut-être même à des connaissances volées dans d’autres univers, récupérées dans les méandres du néant, dans cet immense réservoir qu’est la bibliothèque akashique, là où ni le temps ni l’espace ne comptent.

Une idée de navigation surgit alors, une navigation entre la veille et le sommeil, une rêverie. Les lits deviennent des barques, mais la navigation n’est ni côtière ni en haute mer. Il n’y a ni sextant ni horizon. Aucun cap à choisir. Il suffit de se laisser porter, de s’abandonner à une verticalité, peut-être imaginaire, mais aussi réelle que le réel, qui parfois donne l’impression d’une ascension légère, ou au contraire d’une chute dans les ténèbres des pires cauchemars.

Cependant, c’est la frontière qui fascine, non ce qui se trouve au-delà. Une tentative de résoudre l’insoluble : la matière contre l’âme, la conscience, vue par des savants imbus de leur science, contre l’ubiquité de l’esprit qui efface ton existence en tant que pion sur l’échiquier du temps. La frontière entre veille et sommeil, et l’obole que l’on verse à Charon pour cette traversée quotidienne. Chaque fois que tu t’allonges sur un lit, c’est pour t’éteindre, pour tester la mort, pour tenter d’entrevoir un au-delà de toi-même. Et encore aujourd’hui, tu t’allonges dans ce lit, dans cette barque, pour naviguer vers l’immanence.