Levé aux aurores. Il me vient aussitôt la pensée qu’il faut se décharger d’un poids de phrases verbeuses. De laisser sortir tout ça d’un coup, tout en étant scribe tout en carton, et se laisser ainsi conduire par cette absurde dictée. Garder par devers soi ce fameux droit de réserve pour plus tard. Quand il s’agira de peindre ou de peigner la girafe. Je ne sais jamais. Les monuments de la ville ne sont pas là par hasard. Se souvenir que Paris fut à un moment la ville du Parisis. Isis allant en quête des morceaux dispersés d’Osiris tué par Seth. Deux voies sont ainsi visibles si on commence à léviter, à prendre de l’altitude au-dessus de la ville. Ainsi, par exemple, cette ligne qui rejoint l’Arche de la Défense cubique à Alésia (Guillon) où se trouve la pyramide romaine des couards. Les Gaulois n’étaient pourtant pas des couards face aux légionnaires caparaçonnés comme des insectes.
Malraux, heureusement, interrompt les travaux de démolition du site d’Alésia qu’on cherchait dans les années 70 à rayer complètement des cartes mnémoniques. Et c’est le même Malraux qui est à l’origine de la Tour Montparnasse en écho de la disparition d’une bonne partie du site sacré par les bulldozers de Seth, comme la résurrection phallique de la colline aux 9 druidesses. La tour Eiffel est de 7, Les Invalides de 9. Comme Notre-Dame. Et la colonne de Cergy et l’axe Majeur, neuf neuf neuf. Mitterrand en connaissait un rayon. Il avait lu René Guénon. C’était un Jedi à sa façon, d’ailleurs il ne voulait pas non plus en être de trop, contrairement aux apparats, aux apparences. Il vécut, aima, rusa aussi au neuf sur l’axe, au 9 Avenue Frédéric Le Play, 75007 Paris, France — avec ses amours cachées. On a beau dire, et toute la saleté qu’on déversât jadis, c’était un bonhomme. Il devait nécessairement être initié aux codes les plus secrètement gardés depuis bien avant les pyramides. Il savait les vertus des pyramides et de quel bois sont faits les cubes.
Après sa mort, le monde se recouvre d’un voile sombre comme cette statue d’Isis sise aux Amériques qui ne parle qu’aux Français. Et voilà où aujourd’hui nous en sommes. Noir presque total. Et bientôt mars, l’équinoxe, qui nous trouvera encore une fois dans la lune. Je me souviens encore assez clairement de la place de la Bastille, noire de monde, ce 10 mai 1981. Tous les espoirs que l’élection de François Mitterrand procurait au pays. J’habitais là, dans une chambre de bonne. Au septième étage du 5 place de la Bastille, accessoirement l’immeuble de la Banque de France. Ensuite, se demander si Mitterrand était ou non un homme de gauche : il faudrait une définition claire de ce qu’est la gauche, de ce qu’elle fut. Sans doute ses motivations profondes rencontrèrent-elles à un moment de l’histoire celles d’une certaine gauche. C’est possible. Mais quelque chose de beaucoup plus profond émane de son parcours d’homme politique, malgré toutes les salissures que les armées de Seth ont voulu l’entacher. Il a toujours eu les qualités, les faiblesses. Et la mission. Chacun fait comme il peut. Rien à dire là-dessus.
Oh ces émois, ces bisous, ces baisers, ces embrassades, ces papouilles, ces étreintes, presque une orgie dionysiaque ce jour-là. Puis ensuite mazette tu passes à la caisse, trop de plaisir d’un coup nuit. Les années 80, je n’aimerais pas y revenir. La misère noire, la solitude indigeste, l’insupportable pourrissement du monde autour de soi, dans les regards devenant vitreux, les conversations pleines de mots d’ordre. La seule issue alors était de marcher sans relâche dans les rues de la ville, abandonnant métro et transports en commun. Marche ou crève. Et j’allais, innocent encore, m’installer sur une chaise de fer face au Sénat, dont tout crie chez lui dans sa mesure et démesure qu’il est de Seth et pas de neuf. Et les femmes. Des Isis à suivre dans leur déambulation guerrière, ramassant des morceaux de ce qui a été brisé.
Ce qui m’a sauvé toujours, c’est ma naïveté. Inoxydable malgré tout le savoir, la connaissance ingurgitée. Comme si tout cela n’était pas vraiment sérieux. Comme si moi, le monde, les gens, tout cela c’était pour du beurre. Du théâtre, du cinéma. Et qu’on allait tirer sa révérence à la fin en se tapant une bonne bière. Mais pas une Guinness bien nourrissante, pas moussue ni onctueuse, non, une bière froide, glacée, destinée au 6 de 6 pieds sous terre.