Lu le manuscrit de Départementales (vie de province) envoyé par F. Pas question de donner un avis ; me concernant, ma lanterne s’est éclairée un peu plus sur la notion de protocole. Écrire à partir de faits divers, se réapproprier l’événement avec des mots à soi sans lâcher ou se laisser déborder par l’intime, quelle discipline ça requiert. Calaferte avait fait quelque chose du genre ; lui disait : « que les faits bruts, pas d’affect ». Truman Capote avait écrit De sang-froid, le seul d’ailleurs de lui que je n’ai pas lu. Il est quatre heures du matin, c’est la première chose qui me vient, ces petits textes de F. comme de petites bombes à retardement. Petits par la taille, mais… non, j’ai dit que je ne donne pas d’avis.

Lu aussi quelques billets sur des blogs. Quelle importance de savoir ce que j’en pense. Impression qu’on creuse ensemble, que cette tâche requiert déjà suffisamment de force, d’énergie, pour ne pas avoir à en ajouter. Oui, c’est un réseau social, WordPress, c’est exact, moins tapageur cependant que les autres, certainement. La raison vient en premier lieu de notre matière à chacun et chacune, pétrie de silence dans le silence. C’est un autre type de bruit, disons ça, voilà.

J’aperçois des changements de braquet chez les uns et les autres, des côtes qui demandent effort et retrait, des pentes sur lesquelles on file sans plus tenir le guidon, poussé par une étrange euphorie, et ce même voire surtout au plus profond de déprimes carabinées. Mais qui suis-je pour en parler, en juger ? Personne, qu’un œil qui s’entrouvre à peine qu’il se referme déjà, refabriquant à partir de ces quelques bribes une réalité, ma réalité – toujours subjective – malgré la fatigue de ces efforts à fournir. Est-ce que bloguer c’est pêcher, dans tous les sens du mot pécher qui est aussi accessoirement une traduction de échec en grec, échec de ne pas parvenir à sa véritable expression personnelle et à préserver la relation qui lui revient avec le reste de l’univers.

Parfois, impression de crever quelques instants une surface, comme une baleine remonte pour venir respirer, souffler avant d’y retourner. Une réalité encore plus terrifiante se fait jour à coup de flashs, d’éclairs. Une paranoïa sans doute. Ma paranoïa. En tout cas, le mensonge à cet instant est tout à fait évident. Limpide. Il procure la sensation désagréable, presque intolérable, d’une simulation à très grande échelle. Une entourloupe encore jamais vue de mémoire d’homme. La survie alors doit tout à l’art de la navigation, car un seul faux pas ( on le sent encore plus quand on traîne la patte) , nous jetterait aussitôt dans les abîmes du doute. Un doute insondable cette fois.

Étrangement, nous n’avons pas profité de cette journée supplémentaire offerte en compensation. Suis resté allongé à lire presque toute la journée ou à somnoler. S. a préféré le pont, les mots fléchés, le soleil. Une légère tension vers 15 h, puis après 18 h, et donc sommes partis marcher nos deux heures quotidiennes. Déjà, on peut sentir dans l’air les premiers indices de l’automne ; les jours raccourcissent, et il fait même frais la nuit, c’est ce qui m’a réveillé.