J’ai peu de souvenirs de la gare de Pontoise. Mais je me souviens assez bien du petit chemin qui longe à main droite la voie ferrée avec sa haute clôture grillagée, et à main gauche ce bois, ce bosquet, ces taillis, sans charme ni noblesse. Ah, ce petit chemin de terre battue, entre Parmain et Valmondois. Le temps qu’il me fallait pour rejoindre à pied, chaque lundi matin, le quai, était souvent variable. Comme le temps qu’il fait. Très peu de jours ensoleillés dans mon souvenir, plutôt maussades, comme moi, quoi.

Que se passait-il à la gare de Pontoise pour que si peu de souvenirs m’en restent ? Il devait certainement y avoir une correspondance, mais laquelle ? Était-ce une micheline ou bien un autobus affrété par la pension tout spécialement pour les élèves les moins chanceux, ceux qui n’étaient pas conduits par des parents, des bonnes, des majordomes, des chauffeurs de maîtres, employés de maison, salariés, domestiques, jusqu’à la cour du château ? Et ils aidaient à porter les bagages, parfois nombreux, de ceux parmi les plus fortunés, dans les escaliers et les étages du grand dortoir surplombant de toute sa hauteur le terrain de tennis et la toiture en ardoise d’un gymnase.

L’histoire serait trop insipide, inutile de la raconter. Ces années de pension, ces années perdues. À quoi bon. En revanche, j’aimerais me souvenir mieux de la gare de Pontoise. Était-elle vaste ou bien m’en donnait-elle l’impression, comme un jour la gare du Nord, mais des années plus tard ? Était-ce une gare à l’atmosphère de province, où ce sont toujours les mêmes voyageurs qu’on y croise à force de prendre le train, de se retrouver ballotté sur l’un de ses quais à attendre en raison de force majeure, d’atermoiements ou de retards ?

Il suffit que je dise la gare de Pontoise et tout de suite, de Pontoise surgit l’Oise et ses eaux sales, pour ne pas dire troubles. Car le seul trouble éprouvé à voir cette grande masse d’eau s’écouler le lundi en amont, le samedi en aval, est toujours associé à la saleté de ses eaux. À ces péniches chargées presque à s’y enfoncer dans sa vase, à ses déchets rejetés sur ses berges, aux ronds et yeux de son bouillon créés par les moteurs en tout genre, vedettes, corvettes, allant jusqu’à tirer au bout d’un élastique un skieur nautique pathétique — souvent même ridicule — vu depuis les vitres du train passant sur le pont entre Valmondois et Mériel, peut-être.

On ne devrait pas penser à la gare de Pontoise, surtout quand on ne se souvient de rien, ou presque. On a beau penser qu’en faisant quelques efforts quelque chose peut revenir, mais non, rien. Un coup d’épée dans l’eau, et rien de plus. Et puis c’est samedi, et s’il ne pleut pas encore, c’est que ça ne va pas tarder, vu le ciel bas, ce bleu trouble, ce bleu troublé de gris.

J’imaginais ce matin faire la liste de tous les moments où la chatte m’a mordu. En tenir une sorte de comptabilité. Un agenda. Avec à chaque fois, si possible, l’inscription des raisons plausibles pour lesquelles elle le ferait, et puis toutes celles qui, à ces moments-là, nous passent par la tête et qui font appel presque aussitôt à ce capital de déveine qu’on amasse depuis toujours, qu’on chérit comme des louis d’or, avares que nous sommes. C’était extrêmement clair dans le demi-sommeil où cette réflexion m’a trouvé. Puis, une fois le pied posé par terre, il ne m’en reste plus grand-chose, comme d’habitude. Mais c’est intriguant tout de même, donc je le note, on ne sait jamais.