Nous avons emprisonné des voix pour une durée indéterminée.
Non plus seulement dans la matière, mais désormais dans le numérique.
La voix d’Haroun Tazieff. Celle de Malraux. De Churchill.
Elles cheminent encore, indépendantes des cordes vocales qui les formèrent.
On peut les copier. Les recopier.
À l’infini.
Mémoire morte.
Alors que la vie, elle, n’a besoin que de mémoire vive.
Limitée. Organique. Précieuse.
Les cordes vocales, dit-on, se décomposent en deux ou trois ans.
Et pourtant les voix restent.
Imaginer un enfant écoutant Reeves ou Hitler sur un podcast pour un exposé d’école…
C’est troublant. Maléfique presque.
Et si une âme ne pouvait quitter ce monde
qu’à condition d’être totalement oubliée ?
Sueurs froides.
*
À Vallon en Sully, les vieux ne disent plus rien.
Ou presque.
Quelques banalités.
Comme s’ils savaient le danger à trop parler.
Les souches mortes embaument doucement.
Parfums mêlés aux essences encore vives.
Et un jour, tout a disparu.
Mais des fougères, tendres, ont surgi.
Un soulagement.
L’intuition d’un bon ordre des choses.
*
Quitter les réseaux sociaux :
renoncer au bavardage.
On sent tout de suite que l’énergie n’est plus la même.
Il ne me reste que ce blog
pour nourrir l’illusion d’appartenir à l’espèce.
Une des dernières résistances de la vanité.
Mais écrire sans jamais montrer…
n’est-ce pas une autre coquetterie ?
Une activité vaine ?
Sans entrer en religion, l’écriture me tient.
Sans cela, tout serait vain.
Même si je sais bien que ce “cela” n’est pas grand-chose.
Aux élèves, je ne propose plus d’œuvres.
Seulement des exercices.
L’œuvre est plus secrète.
Peut-être même ignorée jusqu’au bout.
Et alors, la belle affaire ?
La modestie est une autre histoire.
Peut-être la seule histoire.
On ne sait jamais quand on y entre.
Mais on en sortira, c’est sûr.
Les pieds devant.
*
Lu une histoire étonnante.
Difficilement.
Le traducteur n’accepte qu’un paragraphe à la fois.
Une petite annonce :
un job payé pour déféquer.
“Ici vit un penseur.”
Un vrai boulot de merde.
J’aimerais lire plus.
Mais sur PC, pas tablette.
Trop chiant de sélectionner petit bout par petit bout.
*
Hier soir, vers 22 h,
nouvelle fuite d’eau.
Au plafond cette fois.
J’ai coupé l’arrivée générale.
Posé des gamelles. Épongé le sol.
Comme si on avait besoin de ça.
Quand les coups de chien s’enfilent comme des perles,
il ne reste plus qu’à trouver l’os
à se fourrer dans le nez.
sous-conversation
Elles parlent encore.
Leurs voix.
Pas leur souffle.
Pas leur salive.
Juste… l’écho.
Stocké. Empilé.
Et lui, là.
Il coupe l’eau. Pose des bassines.
La voix de Churchill et lui sous la fuite du plafond.
Un peu absurde, non ?
Ça parle trop.
Alors il se tait.
Ou il écrit.
Mais c’est pareil.
Ça fuit aussi. Par en dessous.
Il dit que l’œuvre est secrète.
Mais il guette quand même les visites du blog.
Un peu. Juste un peu.
Résistance ou coquetterie ?
L’ennui revient.
Mais l’ennui,
c’est peut-être le seul endroit
où il reste encore du vrai.
note de travail
Texte hanté. Par les voix, par la mémoire, par les fluides.
Voix mortes mais toujours audibles.
Corps en décomposition, mais voix reproductibles.
On entre ici dans une temporalité disjointe, un monde où le langage survit au corps — et l’humain se demande s’il peut encore disparaître pour de bon.
L’auteur pose une hypothèse vertigineuse :
et si la condition du repos était l’oubli total ?
Mais notre époque, au contraire, archive, redouble, ressuscite par l’enregistrement.
Puis viennent les vieux du village. Les arbres. Les souches.
Une sagesse du silence.
Le “bon ordre des choses” n’est pas réactionnaire ici. Il est pulsation organique, compost.
Il renonce au bavardage, mais pas à l’écriture.
Ou plutôt, il interroge l’écriture comme dernier bavardage noble.
Ce blog devient une planche de flottaison.
Un carnet pour continuer à appartenir.
Il dit qu’il ne fait plus d’œuvres. Qu’il ne transmet que des exercices.
C’est une grande phrase d’artiste désencombré.
Mais derrière l’humilité, il y a une inquiétude tenace :
Et si je n’avais rien laissé ?
Enfin, la fuite d’eau. Le boulot payé pour chier.
Retour au trivial, au burlesque.
Mais c’est là que le texte touche une autre vérité :
quand ça déborde,
il faut couper l’arrivée.
Et écrire.