Il s’avance, Marronne, tempête sous brushing, torse bombé, sourire carnassier. La lumière des projecteurs l’engloutit aussitôt, sculptant son ombre sur le fond criard du plateau. Devant lui, les caméras pivotent, les techniciens s’agitent, un assistant lui tend un oreillette qu’il rejette d’un revers de main. Pas besoin. Il sait déjà ce qu’il va dire, comment il va frapper. Le plateau s’électrise aussitôt, un mélange de nervosité et de cette sidération vaguement honteuse qu’on éprouve face à quelqu’un qui n’a plus de limites. Il n’entre pas, il surgit. Le plateau s’électrise aussitôt, un mélange de nervosité et de cette sidération vaguement honteuse qu’on éprouve face à quelqu’un qui n’a plus de limites. Sa chaîne ? Massacrée. Lui ? Victime. Tout ça ? Une ignominie. Il brasse l’air, foudroie les visages autour de la table d’un regard vissé sur l’injustice dont il serait le martyr. Il faut comprendre, il faut mesurer, il faut trembler : on lui a tout pris, et il ne laissera pas passer ça.

Son poing s’abat sur la table, coup de semonce théâtral. Un silence tendu s’abat sur le plateau, figé dans un mélange de sidération et de crainte contenue. Certains détournent les yeux, d’autres échangent des regards furtifs, espérant ne pas être la prochaine cible. L’un d’eux, une main crispée sur son stylo, sursaute imperceptiblement. Marronne les jauge, les savoure, sent leur soumission latente et jubile intérieurement. Il est l’ouragan, ils ne sont que du vent. Qui d’autre a porté la parole du peuple comme lui ? Qui d’autre a osé donner à voir le réel, le brut, l’évident ? On l’a coupé, muselé, on veut l’enterrer vivant. Mais il est toujours là, plus fort, plus bruyant. Président ? Évidemment. Puisqu’ils ne veulent pas de lui ici, il ira là-haut. Parce que les grands destins ne s’effacent pas d’un revers de main, les hérauts du vrai ne disparaissent pas sous une simple chape de censure. Pachidarme l’a prouvé : rugir plus fort que les autres, c’est la clé. Écraser la concurrence sous une pluie de sentences, c’est la loi. Lui, Marronne, a compris depuis longtemps que la vérité ne tient pas dans les faits, mais dans la manière dont on les éructe. L’histoire appartient à ceux qui la gueulent le plus fort.

Là, il se lève, invective, bras tendus comme un prédicateur de fin du monde. L’air vibre de ses certitudes, ses mâchoires claquent les syllabes comme des pièges à loup. Il ne parle plus, il vocifère, éructe, crache ses mots en mitraillette. Ses yeux roulent, sa cravate se tend sous l’effort. Il convoque la trahison, le complot, la machination des élites qui veulent sa peau. Ils l’ont banni des ondes, mais il ne se taira pas. La nation a besoin de lui. C’est un cri, c’est une croisade. Les autres, ces médiocres, ces lâches, ces tapis dans l’ombre, ils peuvent trembler : Marronne n’a pas fini.

"Vous savez ce qu’ils veulent, les gens ? Ils veulent qu’on leur dise que c’est la faute des étrangers, des gauchos, des wokistes qui foutent tout en l’air !" Il rit, ce rire de hyène en costume trois-pièces. "Mais c’est ce qu’ils demandent ! Ils veulent qu’on leur raconte la même histoire en boucle, qu’on leur donne un coupable clé en main. Et moi, je leur sers sur un plateau, bien emballé, avec un joli nœud, exactement ce qu’ils ont envie d’entendre. C’est pas de l’info, c’est du spectacle, et moi, je suis leur vedette !" Il pointe du doigt un chroniqueur qui tente un sourire crispé. "Toi, tu me fais chier !" Il se tourne vers un autre, lève le doigt : "C’est de la merde ce que tu dis ! Tu me fatigues, bordel, ça m’épuise !" Il jubile de leur soumission rampante, de leur silence crispé. Un éclat de rire déchire l’air, moqueur, carnassier. "Vous avez peur, hein ? Ben ouais, vous avez raison !". Il tape sur la table, s’adresse au producteur qui tente d’intervenir : "Toi, ferme ta gueule, t’es là grâce à moi, OK ?!". Son plaisir est total, jouissif. C’est lui le patron, le seigneur, le maître absolu.

Et pourtant, il y a un autre dieu dans son panthéon, un seul devant lequel il s’incline. Vardelin. L’ami, le bienfaiteur, le milliardaire qui lui a tout donné. L’homme qui a perdu des millions à cause de lui, à force de procès, de condamnations de l’Artcom, d’amendes exorbitantes. Mais Marronne sait flatter, sait ramper quand il le faut. "Vardelin, c’est un visionnaire, un génie ! L’argent, ça va, ça vient, mais un homme comme lui, ça n’a pas de prix !". Il répète cette phrase à qui veut l’entendre, à qui pourrait la rapporter. Il sait que les riches aiment être cajolés.

La soirée s’étire, le show touche à sa fin. Il quitte le plateau sous les acclamations de ses propres sbires, s’engouffre dans une voiture aux vitres teintées, monte dans son duplex clinquant. Une fois la porte refermée, le grand fauve s’éteint. Plus d’éclats, plus d’emportements. Il se laisse tomber sur son canapé, attrape une manette de console et, le regard rivé à l’écran, commence une partie de son jeu favori, un jeu de petites voitures où il s’amuse à faire des embardées absurdes. Une main plonge dans un paquet de bonbons acidulés, l’autre gratte paresseusement son ventre. Il mord dans un ourson gélifié avec une application enfantine, mâchonne en plissant les yeux, pousse un petit grognement satisfait. Sur la table basse, traînent un cahier de coloriage et des feutres fluo, vestiges d’un passe-temps nocturne inavouable. Il en attrape un distraitement, griffonne un soleil en coin de page avant de le jeter négligemment au sol. Il murmure un "vroum vroum" en secouant légèrement la tête, concentré sur sa course imaginaire.

Et soudain, il pousse un cri de triomphe. Sa voiture pixelisée fonce à toute allure, détruit les barrières de sécurité du circuit, explose dans le décor. Il éclate de rire, un rire plein de morgue et de suffisance. "Les cons…" murmure-t-il en enfournant un bonbon. "Ils mériteraient que je sois leur président, tiens… Ah, mais vraiment ! Il ricane, la bouche pleine de sucre, un filet de salive collé à sa lèvre. Et pourquoi pas, après tout ? Un frisson d’excitation lui traverse l’échine. Il resserre son plaid sur ses épaules, balance un coup de manette rageur. Ces crétins n’ont encore rien vu."

Illustration : Francesco De Goya, Saturne dévorant un de ses fils (entre 1819 et 1823) Musique : Guns N’ Roses - Welcome To The Jungle 1987