Il ne répondait plus. Ce qui pouvait se comprendre. Après tout, il n’avait jamais été explicitement tenu de répondre, à moi ou à qui que ce soit d’autre, d’ailleurs. Mais pourquoi, alors, cette sensation de malaise qui commençait à peser, là, sur la nuque, cette gêne presque physique, comme si j’avais commis un impair majeur dont la sanction était précisément ce silence ? C’était ridicule, évidemment, mais je n’arrivais pas à me départir de cette étrange culpabilité.
D’abord, ce n’était qu’un doute fugace, une perplexité vague. Puis, au fil des heures, cela s’était épaissi, chargé d’un poids singulier, s’était infiltré dans ma journée jusqu’à devenir une inquiétude nette, un petit tourment installé. Alors j’envoyai un autre mail. Une relance, neutre, mesurée. Et rien. Pas un mot, pas un accusé de réception. Rien.
Le soir tombait. J’ouvris une nouvelle fois ma messagerie, constatai que des publicités avaient envahi ma boîte, qu’un logiciel obscur m’assurait pouvoir doubler mes revenus en deux semaines et qu’un prince nigérian me promettait encore une fois une fortune. Dans les spams, rien non plus, à part un message douteux vantant une pilule miracle. Le reste, un silence impeccable, propre, lustré.
Alors, sans en avoir vraiment conscience, je me surpris à rafraîchir la page. Encore. Puis encore.
Le lendemain matin, l’angoisse s’était reconstituée à l’identique, indéformée, aussi compacte qu’une veille valise mal rangée. Je me précipitai sur mon écran, une fois encore, vérifiant, actualisant, scrutant ma messagerie avec une ferveur absurde. Rien. Le néant, toujours le même, obstiné, comme une porte qu’on pousse et qui résiste, parfaitement close.
L’effet fut immédiat : je retombai d’un bloc dans l’état exact où je m’étais couché, avec cette sensation de boucle interminable, ce sentiment confus d’une injustice, d’une contrariété exaspérante. Comment se débarrasser de cette tension, comment la diluer, la dissiper ? J’écrivis, beaucoup, des lettres, des articles, des paragraphes que je raturai aussitôt, tout cela jusqu’à la mi-journée, comme pour noyer cette attente dans un océan de caractères imprimés. Mais rien à faire : l’absence de réponse restait en arrière-plan, une présence négative, indéracinable.
J’essayai de me raisonner. Ce genre de chose arrive, après tout. Mais plus j’essayais, plus l’échec était net. Soudain, l’idée m’effleura : et s’il lui était arrivé quelque chose ? À nos âges, un accident, une défaillance cardiaque, une chute idiote, tout cela va si vite. Je m’en voulus instantanément de ne pas y avoir pensé plus tôt, pris d’un accès de honte spectaculaire. Quel égoïste. Je me fustigeai donc avec application, méthodiquement, à intervalles réguliers, toute l’après-midi.
La réponse arriva finalement, tard, bien après l’heure où j’avais cessé de l’espérer. Mais je n’éprouvai rien. Absolument rien. Juste un petit vide supplémentaire. Un mot, seul, détaché sur l’écran, minuscule et froid : "ok". Voilà. C’était donc ça. J’en étais pour mes frais. Illustration PB Attente 2003