Voici février qui s’en va, emportant avec lui son cortège d’événements, certains prévisibles, d’autres plus abrupts, inattendus. J’hésite à en dresser l’inventaire, à en peser la teneur. Disons simplement qu’ils relèvent de l’inhabituel, ou peut-être de cette routine du monde que l’on croit sans cesse inédite alors qu’elle ne fait que répéter ses cycles sous d’autres costumes.

Mais cette fois, il y a du vacarme. Une époque qui grince, qui tangue, secouée par des secousses violentes, des fissures profondes. Ce qui semblait stable ne l’est plus. Ce qui passait inaperçu s’impose à nous avec la brutalité de l’évidence. Il y a du bouleversement dans l’air – et pas seulement dans l’air, dans la chair des choses, dans le langage, dans les silences que l’on voudrait imposer. Écrire devient plus qu’une habitude, une nécessité. Car si les mots vacillent, c’est que quelque chose cherche à les faire taire.

Les jours rallongent, la lumière revient sans se soucier des turbulences humaines. J’observe ce retour des saisons avec une certaine perplexité, conscient que je ne sais toujours pas ce que j’attends, ni si j’attends quelque chose.

Sur le site, les expérimentations continuent. La rubrique Digest – condensé mensuel des carnets – a disparu, mais peut-être renaîtra-t-elle sous une autre forme. Recueil, elle, tient bon, à sa manière : une tentative d’assembler aléatoirement des fragments épars pour composer du neuf, du mouvant. Je ne renonce pas. L’architecture du site évolue en réponse à ces tentatives, sans plan prédéfini, avec cette souplesse propre aux espaces numériques où rien ne fane tout à fait.

Pendant ce temps, j’ai recentré mon attention sur mon travail d’enseignant, sur l’écriture quotidienne. Tenter de maintenir la discipline du mot, creuser la phrase, ne pas se laisser emporter par la vitesse ambiante. Écrire, encore. Parce que tant que l’on peut écrire, tout n’est pas encore figé. Parce que la publication même – le simple fait de poser des mots dans un espace où d’autres peuvent les voir, les lire, s’en emparer – est une liberté qu’il faut sans cesse défendre. Dans un monde qui se contracte, qui se tend sous le poids des interdits nouveaux, des censures insidieuses, pouvoir encore publier des textes est un acte de résistance.

Le Dibbouk s’est fait plus discret ces derniers jours, moins mordant. Serait-il fatigué ? Ou bien est-ce moi qui lui laisse moins de place ? Peut-être est-il parvenu à la fin d’un cycle, prêt à muer ou à disparaître momentanément.

Cet édito tient lieu de lettre ouverte, traversée par le vent. Je me demande si un forum ou une newsletter auraient leur place ici. Mais je tiens à la nature du site : un espace où nul n’est tenu de liker, de commenter, d’affirmer sa présence. Un lieu d’anonymat, où les passant·es sont libres d’aller et venir sans avoir à se nommer. Car dès qu’un nom, un visage s’imposent, l’équilibre change. Et puis, n’est-on pas plus à l’aise dans l’absence de jugement, loin des jeux de miroirs sociaux ?

Le Dibbouk, fidèle à lui-même, s’ébroue et grommelle : "Tu parles trop, mon gars. Épluche donc quelques patates, ce sera plus utile." Il est de mauvaise humeur, comme toujours. Négligé, râleur, résolument insupportable. C’est peut-être pour ça que je l’apprécie encore. On finit par aimer les défauts des êtres plus que leurs qualités.

Alors, célébrons la fin de l’hiver, mais sans trop nous découvrir. Le printemps viendra bien assez tôt. Qui vivra verra. Et si les beaux jours eux-mêmes ne rêvent de rien, rêvons à leur place.

Musique : Nick Cave & Warren Ellis - Song For Jesse (The Assassination of Jesse James)