Etre aveuglé par son propre point de vue, angle obtus, inimaginable qu’il puisse exister quoique ce soit au-delà, tout doit entrer dans cette exiguïté ou en sortir, évacuation d’urgence, diarrhées, crachats, vomissements, ainsi est l’autre parfois, qu’il faut bien subir ou non. Et si non se taire et fuir dans le silence, le laisser à son monologue, se contenter de noter ce son parmi tant d’autres comme élément lui aussi partie de la partition générale, musique de fanfare, de foire, comme le « Léon » du paon, le gloussement de la dinde, le cri des mouettes, des goélands. Rien n’est plus obtus qu’un angle obtus face à un autre angle obtus.
Puis le regard se déporte lentement par réflexe de voir, de vivre, vers la mer, l’iode saisit la moindre ouverture pour s’engouffrer, le peau se couvre d’une fine pellicule invisible salée que le soleil durcit. Traversée des diverses intempéries dans l’immanence, bonus reçu avec tant de raclées dès le top de départ de la grande course à l’échalote.
On imagine par rogne s’en relever, par hargne s’en délivrer, mais on ne bâtit rien de durable. Au premier grain on se retrouve à terre . Eberlué de ne pas vouloir se l’avouer. On continue à s’imaginer pouvoir se relever alors que l’on est recroquevillé au sol, les poings les mâchoires serrées. Et l’autre depuis sa position, sa redoute son angle obtus émet alors des propos fantastiques. Tellement saugrenus que l’on n’en revient pas d’entendre de telles inepties.
Ce n’est pas pour autant le coup de grâce. Avec le temps on se sera habitué. Les seuls signes vraiment apparents de la contestation seront d’autant plus discrets qu’ils ne seront visibles que dans ce qui touche l’obtus. Comme par exemple la grammaire, l’orthographe. Une certaine liberté prise avec les règles typographiques. On se clouera silencieusement soi-même au pilori tout en étant tour à tour bourreau et victime. Et tout cela dans une indifférence absolue, ou parfois l’invective de bon ton fait irruption, machinale comme un réflexe, sorte de bave pavlovienne.
— Inconcevable de faire autant de fautes, où donc ai-je fichu mon bonnet d’âne, qu’on invente aussi un coin pour te flanquer à genoux sur une règle bien carrée !
Supporter l’insupportable durant autant d’années et se sentir toujours coupable c’est ce qu’ils leur faudrait pour avoir raison enfin, pour évacuer le plus petit doute qui les détruirait tous -pense t’on- illico.
Mais le doute n’existe pas dans l’angle obtus et c’est là exactement la vraie raison sûrement de son bornage . Le doute élargirait les angles, il est le danger à éviter, voilà toute la sagesse de cette géométrie qui fait tourner leur monde comme une toupie, comme les planètes idiotes, les galaxies imbéciles, tout un univers absurde.
Mais crois-tu vraiment, sérieusement, que l’intelligence, celle qui s’invente par opposition à l’absurdité vaut mieux ou pire qu’elle ? Non, cette intelligence là est simplement un jeu, un passe-temps, un contrepoint dans la fugue.
L’intelligence véritable c’est peut-être de ne plus compter les jours, de se fondre totalement dans l’absurde, se noyer définitivement dans l’absurde, mais en conservant une toute petite attention malgré tout vis à vis de l ‘expérience pour pouvoir écrire sur l’absurdité d’écrire sur l’absurdité. Autrement dit guérir le mal par le mal, la connerie par plus de connerie encore.