https://videopress.com/v/BygcB8hT?resizeToParent=true&cover=true&preloadContent=metadata&useAverageColor=trueLussas Ardèche du sud

On me demande un dossier pour exposer à la Maison de la Poésie en Avignon. On pourrait imaginer que j’ai déjà tout de prêt dans un dossier sur mon ordinateur et qu’il suffirait que je produise deux clics pour l’expédier. Je crois que ça n’arrivera jamais. Parce que l’homme que j’étais en créant un tel dossier n’est déjà plus le même lorsqu’on me demande des comptes sur qui je suis ce que je fais, ce que je propose. Ma seule identité stable est sans doute ce doute incessant concernant la croyance envers cette identité stable telle qu’elle serait aujourd’hui exigée pour y ressembler tout du moins. Il faut une date et un lieu de naissance, un parcours, une démarche, des informations biographiques et techniques qui, avec l’âge me semblent de plus en plus appartenir au domaine des rêves. Et ça me plaît mieux qu’avant lorsque je m’angoissais déjà sur ces mêmes demandes. J’ai tant épluché la branche sur laquelle je me tenais que j’ai dû m’ épluché tout entier par la même occasion.
Ensuite il faut un dossier, on ne peut pas y couper. Donc j’en crée à chaque fois un nouveau de la même façon que j’écris mes textes dans ce carnet. Non pas que j’invente, ce n’est pas cela, mais l’écriture semble réorganiser les événements à sa guise, elle m’aide à les réordonner à chaque fois avec une logique inédite. Est-ce que c’est bien ou mal je n’en sais rien, et de plus je crois que je m’en fiche. Quelque chose est de plus en plus assumé de cette instabilité chronique dont on me chauffe les oreilles depuis toujours et qui créa en moi de profondes angoisses.
Surtout par l’écart que je découvris à chaque fois, cette tragédie de la jeunesse de ne pas se trouver tout à fait comme tout le monde et d’aller de ce fait à contre sens par dépit.
Je ne vais plus ni dans un sens ni dans un autre vraiment. Je suis parfaitement insensé voilà tout et c’est en grande part assumé quand je comprends aujourd’hui la valeur du sens commun.

Quel texte écrire pour la Maison de la poésie en Avignon. Mais le même toujours, inlassablement.
Mon chevalet est là devant moi, j’y ai déposé une nouvelle toile blanche, je ne sais pas du tout ce que je vais faire, je n’ai aucune idée, je suis perdu comme aux tous premiers jours de ma vie, alors je prends des couleurs que je dépose sur la palette, j’effectue des mélanges, des petits pâtés de couleurs que je broie et rebroie sous le plat du couteau. Je passe un temps fous à créer ces mélanges, c’est mon petit rituel qui calme la partie anxieuse de ma cervelle. Puis je prends une bonne respiration qui rempli les poumons et je me lance, je pose des tâches, des masses de couleurs sur la toile. Je suis dans une immense forêt du Bourbonnais, puis dans un désert d’Afrique ou d’Australie, je suis dans le chaos de la couleur, dans la pauvreté crasse d’un excès d’abondance, je suis perdu mais quelque chose me pousse à continuer malgré tout, j’appelle ça trouver un équilibre à partir de nombreux petits déséquilibres, j’appelle ça trouver un ordre, une harmonie, une justesse à l’ensemble. Je ne dis pas que je l’atteins comme j’ai rêvé parfois l’atteindre, ce rêve de perfection s’évanouit de plus en plus en plus avec les années, c’était un rêve tout simplement. Rien qu’un rêve produit par une éducation, une histoire, une époque. Quand tout semble tomber juste ( il faudrait un livre entier pour que je m’explique sur le terme juste ) je pose le pinceau et je retourne le tableau contre un des murs de l’atelier.
Ce qui me parait juste ce jour ne le sera sans doute plus le lendemain, il faudra peut-être ôter une couleur, ajouter un trait mince, presque invisible, voire tout effacer et recommencer. C’est que le résultat visible de peindre n’est plus vraiment l’essentiel. Ce qui est essentiel c’est de tenter de rejoindre ce qui est juste au plus profond de nous, et qui ressemble pour beaucoup à ce qui reste inaccessible.

Lussas Ardèche du sud