des bribes de notes sans conviction au sujet de la proposition en cours de l’atelier d’écriture.

Des flashs d’un feuilleton télévisé en noir et blanc, « Sans famille ». Et tous ces souvenirs qui remontent. D’abord la question de savoir si je suis un enfant adopté, puis si on va me vendre à un montreur d’ours. Déjà une imagination plus que fertile. La question étant de savoir s’il peut vraiment y avoir de la fumée sans feu. Si l’imagination sert à quelque chose, à part passer le temps, elle doit aussi servir de bouclier, du moins je l’envisage ainsi désormais. Une sorte de protection contre la banalité du mal. En fabriquant un mal parfois encore plus gigantesque, plus effroyable, c’est à dire un mal spectaculaire. Pendant qu’on passe du temps ainsi à s’effrayer du produit de sa propre imagination, on s’angoisse peut-être moins de tout le reste. A moins aussi que ce ne soit qu’un phénomène de vase communiquant.

Je n’arrive toujours pas à me décider pour faire cet exercice le plus simplement du monde, c’est à dire prendre la première famille qui viendrait, la décréter instance et à cheval sur mon bidet. Non je n’y arrive pas. Peut-être que je repousse. L’instant je le repousse aux calendes grecques. Bref je n’ai pas envie de me fourrer dans cette affaire.

Du coup je préfère comme d’habitude le retrait.

Quand je serai à la retraite peut-être que je pourrai m’y mettre, comme d’autres décident de se mettre au puzzle, à la pèche à la ligne, au vélo, à la sieste. C’est dans pas bien longtemps, mais ça doit faire deux ans que je dis ça. C’est aussi une marche d’approche fameuse pour parvenir à la retraite sans qu’elle devienne une Bérézina. Suffit de glisser sur la savonnette sous la douche et hop là, Waterloo morne vol plané.

Je dis n’importe quoi comme quand je peins, aujourd’hui j’ai fait par exemple deux tableaux uniquement avec cette technique. Elle aura fait ses preuves. Je ne comprends décidément pas mes élèves lorsqu’ils se plaignent d’arriver à rien, de faire n’importe quoi. Au moins ça ne ressemble à rien d’autre non ? C’est ce que je dis, mais il n’ont pas l’air de goûter toute la subtilité de cette remarque.

Au moins je continue imperturbablement à scanner mes vieux négatifs argentiques. J’ai retrouvé toute une série d’images de P. avec son chien, comment s’appelait-il déjà … et bien ça je l’ai oublié. Dans le fond je suis assez heureux de voir que je suis parvenu à oublier pas mal de petites choses.

Ah oui, toute cette histoire à propos de l’imagination, il ne faut pas que j’oublie de dire quelque chose à ce sujet. Il faut que je parle de ces visions qui me tombaient dessus deux ou trois fois par jour et qui me faisaient perdre complètement pied. Je crois que j’étais parvenu à les voir arriver juste un peu avant qu’elles ne déboulent. Juste le temps de m’isoler, de m’écarter des autres suffisamment pour qu’on ne s’interroge pas sur mon comportement étrange. Donc la vision arrivait par une certaine qualité de lumière , la vue ne se brouillait pas, mais tous les plans s’enchevêtraient, il n’y avait plus de profondeur de champ. Je n’ai jamais trop parler de ces visions, je crois que je n’en ai jamais parlé du tout. Si je n’en ai pas parlé c’est que j’avais peur de les oublier complètement je crois. Ce qui me fait penser par ricochet à tout un tas de choses dont je n’ai encore jamais parlé dans ce journal, , ni à personne dans la vraie vie. Il y aurait comme une sorte d’instinct de préservation là aussi. Une peur de perdre quelque chose d’important, même si toute notion d’importance semble nous avoir abandonné, celle là non.

Le bon moment. Attendre le bon moment. Y a t’il vraiment un bon moment. Pour que je les écrive ces visions, que je m’en débarrasse d’une certaine manière, en beauté si possible. Peut-être que c’est ce mot, la beauté qui me fait prendre parfois un certain retard. Ce ne sera jamais assez beau bien sûr, ni aussi effroyable que ça le mérite. Parvenir à trouver l’harmonie entre les deux, un poème.