Déjà la fin du mois. Le début d’un autre. Contre cette accélération du temps j’oppose encore plus d’inertie. Bien que je sache d’avance que ça ne vaudra rien de bon. De s’opposer. Je m’oppose tout de même. Parce que ne pas se laisser faire est plus important que les conséquences déjà archiconnues de ce genre d’opposition. Ce sont d’ailleurs ces conséquences qui font qu’à un certain moment, par usure, par lassitude, par dégoût on ne s’oppose plus. Alors c’est comme si l’on glissait dans un fleuve tumultueux, que le courant nous emporte au loin, très loin de soi. Une vie se déroule la plupart du temps ainsi.

Il est peut-être intelligent d’expérimenter les deux versants. Ne pas s’opposer, chanter en chœur, et chanter même assez juste. Puis on s’interrogerait sur toutes les raisons qui font qu’à un moment on se retrouve la bouche en cœur à désirer cette justesse. Qui n’est pas notre justesse, mais une de convenance, une acceptable, une qui ne dérange pas. C’est un éveil inversé. On se lève un matin du pied droit et c’est la même sensation de boule au ventre que lorsqu’on se lève du pied gauche. Et donc c’est par la force des choses, notamment des articulations, des artères que l’on s’oppose après ne s’être opposé à rien. Et parfois c’est aussi tout le contraire on s’est opposé et voilà que tout à coup on ne s’oppose plus. Sauf que nous avons que très rarement le pouvoir ou le discernement nous permettant d’appuyer sur un commutateur cérébral aussi aisément que sur un interrupteur électrique.

Encore une élève en moins à C. la raison n’est pas invoquée. Je ne m’attarde pas non plus de trop. C’est comme si quelque chose c’était aussi renforcé, une forme d’acceptation. Ma pédagogie ne plaît pas au plus grand nombre. Sans doute n’avais-je pas assez réfléchi à cette affaire de « grand nombre ». C’est intimidant les grands nombres depuis le tout début de ma fréquentation des chiffres. C’est par la publication de mes billets de blog dans le vide sidéral que je me suis peu à peu confronté au petit nombre et que ma foi j’ai fini par entretenir cette braise.

Aperçu l’étrange lanterne dans laquelle on promène la flamme olympique. Ce qui m’a rappelé un texte de Joseph Beuys à propos des braises. De là à songer à la préhistoire telle qu’on veut nous la raconter, à la circulation des connaissances, comme des braises, dans le souci permanent que rien de tout cela ne meurt. Mais ça meurt, ça doit mourir de façon permanente. Sans cela rien ne peut germer. Rien ne peut se renouveler.

Sur le trajet vers C. écouté la lecture du Grand Dieu Pan d’Arthur Machen. Retrouvé beaucoup de vocabulaire utilisé par son disciple Lovecraft. Ce qui fait la différence entre les deux auteurs, la croyance dans ce que l’on écrit ou décrit. Arthur Machen est bien plus tiraillé par ses doutes, sa difficulté à choisir un camp que Lovecraft. Dans une certaine mesure Lovecraft serait à rapprocher de Samuel Beckett, même nihilisme. Signe contradictoire d’une spiritualité plus franche. Étrange rapprochement avec ce que je nomme les deux façons d’appréhender un tableau. Soit comme une fenêtre s’ouvrant sur un monde sublimé en bien en mal peu importe, soit comme une surface contre quoi l’œil se cogne au début avant d’en apprécier la richesse, la « réalité ».

Comme à chaque fois qu’il pleut un peu trop longtemps nous voici de nouveau inondés. Pris quelques photographies pour envoyer à la mairie. J’ai commencé à écrire une lettre rageuse les menaçant de ne plus payer mes impôts fonciers. Plus de cinq ans que ça dure, qu’ils se renvoient la balle avec la communauté de commune, les services techniques. En fin de compte je n’ai pas imprimé la lettre. J’ai épongé. Voilà comment on ne s’oppose plus à force de s’opposer. Léger désespoir, la même douleur que celle provoquée par un début de carie. On repousse l’échéance. Souffrir pour se sentir un peu en vie.