Pas un texte mais un avant texte
Renverser le spontané
Je lis un texte, envie de réagir spontanément, je me retiens
Il arrive qu’on lise un texte. Et que ce texte dise quelque chose de vrai. Mais aussi trop fort. Trop tendu. Trop exposé. On perçoit un écart. Un manque de conscience dans le ton. Un désir déguisé. Un cri qui ne sait pas qu’il crie. Alors on est tenté d’intervenir. De le noter. De le dire. De rectifier. Mais il y a aussi un autre chemin. Plus court, plus net, plus exigeant. On peut voir. Et ne pas parler. On peut écrire ce silence. Le reconnaître. L’habiter. Faire de ce renoncement un exercice en soi. Voir. Pouvoir dire. Ne pas dire. Tenir dans ce point d’équilibre. Ce n’est pas une fuite.C’est une forme de netteté. Une fidélité à l’ombre.
Inventaire des choses que je n’ai pas dites
Faire la liste, sans contexte, sans justification. Pas de pourquoi. Pas de à qui. Juste les phrases suspendues, les mots retenus, les élans ravalés.
Je n’ai pas dit que j’étais triste. Je n’ai pas dit que je n’étais pas d’accord.Je n’ai pas dit que ça me blessait. Je n’ai pas dit que j’avais peur.Je n’ai pas dit que je savais. Je n’ai pas dit que j’aurais préféré partir. Je n’ai pas dit que j’avais compris.Je n’ai pas dit que je n’y croyais plus. Je n’ai pas dit que je me taisais pour ne pas blesser. Je n’ai pas dit que je n’attendais plus rien. Je n’ai pas dit que j’espérais encore un peu.
ne rien expliquer.À poser ces phrases comme on vide ses poches.Et à regarder ce qu’il reste sur la table
J’aurais pu dire
Ce que je n’ai pas dit, j’aurais pu le dire. Pas dans le bon moment. Pas avec les bons mots. Mais il y avait une place. Il y avait une voix.
J’aurais pu dire que j’avais compris. J’aurais pu dire que je ne voulais plus. J’aurais pu dire que c’était fini. J’aurais pu dire que c’était trop. J’aurais pu dire que je m’en allais. J’aurais pu dire que j’attendais. J’aurais pu dire que je n’espérais plus. J’aurais pu dire que j’aimais bien, quand même . J’aurais pu dire que je n’avais pas oublié. J’aurais pu dire que j’étais là, juste là.J’aurais pu dire que j’étais désolé.
Comme un récapitulatif des bifurcations muettes.Comme si on rendait les mots à leur place perdue
la place
Depuis quelle place je parle, ou plutôt, depuis quelle place je choisis de me taire.
J’ai pensé que cela se jouait sur l’utile et l’inutile, sur l’envie de ne pas ajouter du bruit au bruit.
Mais à la place où je suis, je ne peux plus parler d’envie.
C’est sentir — ou ne pas sentir — ce qui veut se dire, et mesurer, sans emphase, toute l’énergie contenue dans ce que je retiens.