*Cet article présente une réécriture contemporaine de la nouvelle What Was It ? A Mystery (Qu’était-ce ? Un mystère) de Fitz-James O’Brien, publiée en 1859. L’objectif n’est pas de produire une traduction littérale, mais de moderniser le style et le rythme tout en conservant fidèlement les événements et l’atmosphère de l’original. Ce travail explore ce que devient un texte du XIXᵉ siècle lorsqu’il est transposé dans une prose plus directe et actuelle : phrases plus resserrées, vocabulaire simplifié, détails sensoriels mis en avant. Il s’agit à la fois d’un exercice de traduction et d’adaptation, destiné à rendre l’histoire plus accessible au lecteur contemporain, sans trahir sa substance.*
## Qu’était-ce ? Un mystère | 2
Je ne sais pas comment raconter ça sans passer pour un fou. Ce qui m’est arrivé est tellement improbable que je pourrais presque écrire ici : « Riez tout de suite, c’est permis ». Mais c’est arrivé. En juillet dernier.
J’habitais au numéro… de la 26ᵉ Rue, à New York. Une grande maison un peu oubliée, qu’on disait hantée depuis deux ans. Avant, il y avait un jardin avec fontaine, arbres fruitiers, ombre fraîche. Maintenant ? Juste une pelouse pelée, des cordes à linge, et le bassin vide d’où l’eau ne coule plus.
À l’intérieur : un vaste hall, un escalier en spirale, des pièces hautes de plafond. Construite vingt ans plus tôt par un riche marchand, ruiné dans un scandale bancaire. Parti en Europe, mort là-bas. À peine la nouvelle de sa mort arrivée, les bruits ont commencé : meubles déplacés, portes ouvertes toutes seules, pas dans l’escalier, frôlements de robes invisibles, mains qu’on sent sur la rampe. Les gardiens qu’on plaçait là partaient tous, effrayés. La maison restait vide.
Ma logeuse, Mme Moffat, tenait alors pension rue Bleecker. Elle voulait déménager plus haut dans la ville. Elle nous a proposé la maison de la 26ᵉ : elle n’a rien caché des rumeurs. Deux pensionnaires ont pris peur et sont partis. Les autres, moi compris, avons dit oui.
On a emménagé en mai. Le quartier est agréable : derrière les maisons, les jardins descendent presque jusqu’au fleuve. L’air vient droit de Weehawken, pur et vif. Même notre jardin un peu en friche avait son charme : le soir, on s’asseyait dehors pour fumer, regarder les lucioles.
Bien sûr, on attendait les fantômes. Les conversations à table tournaient autour du surnaturel. Un pensionnaire avait acheté The Night Side of Nature de Mrs Crowe ; tout le monde voulait le lire. Moi, on me sollicitait aussi : j’avais écrit une histoire de fantôme pour Harper’s Monthly.
Un mois passa. Rien. Pas le moindre signe. Sauf une fois où le majordome noir jura que sa bougie s’était éteinte toute seule — mais il était connu pour boire un peu trop.
Puis, le 10 juillet. Après dîner, je suis allé au jardin avec mon ami Hammond, médecin. On fumait nos grosses pipes en écume, tabac turc. La conversation glissait vers des idées sombres. Hammond me demanda :
— Quelle est la chose la plus terrifiante qu’on puisse imaginer ?
Je n’ai pas su. Il cita des romans, des figures effrayantes… mais disait qu’il y avait pire. On se souhaita bonne nuit.
Je suis monté me coucher. Comme d’habitude, j’ai pris un livre. Mauvaise idée : c’était Histoire des monstres de Goudon, un ouvrage bizarre acheté à Paris. Pas l’idéal quand on a l’esprit embrumé par des conversations sur le surnaturel. Je l’ai jeté de l’autre côté de la chambre, j’ai baissé le gaz jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un point bleu, et je me suis allongé dans le noir.
Impossible de dormir. Les questions de Hammond tournaient dans ma tête. Et puis…
Quelque chose est tombé du plafond. Directement sur ma poitrine. Deux mains, osseuses, ont serré ma gorge.
Pas le temps de réfléchir. Mes bras ont agi avant ma tête. J’ai enserré la chose et l’ai écrasée contre moi. Les doigts autour de mon cou ont lâché prise, mais la lutte a commencé. Dans le noir complet, sans comprendre ce qui m’attaquait, je sentais ma prise glisser sur une peau nue et lisse. Des dents m’ont mordu à l’épaule, au cou. Des mains puissantes cherchaient à reprendre ma gorge.
J’ai fini par le plaquer au sol. Un genou sur ce qui semblait être sa poitrine. J’ai repris mon souffle. La chose haletait. J’ai pensé à mon grand mouchoir de soie, toujours sous mon oreiller. J’ai fouillé, trouvé le tissu, et je lui ai entravé les bras du mieux possible.
Il fallait voir à quoi j’avais affaire. Sans lâcher ma prise, j’ai reculé vers le gaz. J’ai tourné le robinet. La lumière a jailli.
Rien.
Rien à voir. Mais j’avais toujours dans les bras un corps chaud, solide, qui respirait, qui se débattait. Invisible.
Mon cœur battait à tout rompre. Au lieu de lâcher, j’ai resserré ma prise.
Hammond est entré, suivi des pensionnaires réveillés par mon cri.
— Qu’est-ce qu’il y a, Harry ?
— Je tiens quelque chose ! Ça m’a attaqué… mais je ne le vois pas !
La plupart se sont mis à rire. Ça m’a rendu fou de rage. Hammond a approché, a posé la main sur l’endroit que je désignais. Il a reculé en criant. Il l’avait senti.
Il a trouvé une corde et a ligoté l’être invisible. Je me suis laissé tomber sur le lit, vidé de forces. Les autres reculaient, pétrifiés. Personne ne voulait toucher.
Pour prouver que ce n’était pas un délire, Hammond et moi avons soulevé la chose et l’avons déposée sur le lit. Le matelas s’est affaissé sous son poids. Un corps. Un vrai. Mais qu’aucun œil ne pouvait voir.
On est restés seuls dans la chambre. La chose respirait, haletait, se débattait sous les draps. Hammond et moi, on s’est assis. On a fumé en silence, incapable de détourner les yeux. C’était irréel : un corps bien présent, mais impossible à voir.
Au bout d’un moment, Hammond a parlé.
— C’est affreux.
— Tu m’étonnes.
— Non… affreux, mais pas impossible à expliquer.
Je l’ai fixé. Pas expliquer ? Comment ?
— Harry, on touche un corps mais on ne le voit pas. L’air, on ne le voit pas non plus. Le verre, presque pas. Imagine une matière vivante qui laisserait passer toute la lumière…
— Sauf que l’air et le verre ne respirent pas, Hammond. Là, il y a un cœur qui bat. Des poumons. Une volonté.
— Et dans les “cercles spirites”, tu n’as jamais entendu parler de mains invisibles qui serrent les tiennes ?
Je n’ai pas répondu. On s’est contentés de rester là, à écouter la respiration s’apaiser. À un moment, on a compris qu’il dormait.
Le matin, tout le monde s’est amassé sur le palier, mais personne n’a voulu entrer. Ils se contentaient de regarder, crispés, les draps qui se soulevaient comme si quelqu’un se débattait dessous.
Avec Hammond, on avait réfléchi toute la nuit : comment savoir à quoi il ressemblait ? En passant nos mains, on devinait un corps humain — un visage lisse, presque sans nez, des mains, des pieds. On a pensé à tracer son contour à la craie. Ridicule. Puis j’ai eu l’idée : un moulage en plâtre.
Restait le problème : il bougerait, et tout serait raté. Hammond a trouvé la solution : le chloroforme.
On a fait venir un médecin. Trois minutes après l’inhalation, la créature était inconsciente. On a retiré les liens, un sculpteur a recouvert son corps invisible d’argile. Quelques heures plus tard, on avait le moulage.
Et là… on a vu.
Petit, pas plus d’1m35, corps sec, muscles saillants, proportions étranges. Et le visage… un cauchemar figé dans le plâtre. Pas humain. Presque animal. Comme un ghoul. Le genre de visage qui te donne envie de reculer, même figé à jamais.
Reste qu’on ne savait pas quoi en faire. Impossible de le garder dans la maison. Impensable de le relâcher. Débattre ne servait à rien : personne ne voulait assumer. Et il refusait tout ce qu’on lui donnait à manger.
Les jours passaient. On entendait sa respiration ralentir, faiblir. Puis un matin, plus rien. Froid, immobile. Mort.
On l’a enterré dans le jardin. Sans cérémonie. Juste Hammond, moi, et un trou dans la terre. Le moulage, je l’ai donné au médecin. Il le garde encore, paraît-il, dans son cabinet — figé là, comme un avertissement qu’on ne comprend pas.