04 décembre 2024
En revenant de Saint-Donat avalé un bol de soupe puis étalé de tout mon long vers vingt heure. Réveillé à minuit, bu un café, ce qu’il ne faudrait jamais faire, mais —bien que je le sache—, le plaisir infantile d’explorer encore la limite, d’enfreindre la règle, l’envie indécente de profiter du calme de la maison, de ma solitude, jouir de cette solitude à cet instant furent prioritaires. Et d’un égoïsme assumé. Rien ne me convient mieux que de m’asseoir devant mon clavier et d’écrire ce qui me passe par la tête. C’est là que je trouve, dans l’agitation primordiale, le véritable repos, et mes vrais amis qui tour à tour semble passer pour me visiter. En ce moment, Aragon que j’ai cité déjà hier, mais également Novarina, Bataille, Perec, Burrough, Cummings, Michaux, Beckett, Ponge, Prigent, désolé de ne pas vous citer tous mes bon amis.. Je me rends compte en plein milieu de phrase de l’absurdité vaine de cette énumération.
Ecrit bizarre qui jaillit soudain après ce semblant de réflexion :
C’était de ce temps où parcourant lentement la ville abjecte, où accablé par la hideur du monde je tentais encore d’avancer péniblement par les rues souillées d’ordures et d’inconnus
Chaque pas s’arrachait de haute lutte au sol collant, je traînais comme un boeuf son socle de charrue, mes semelles sur l’asphalte maculé de flaques graisseuses et de détritus. Hahanant intérieurment, pestant.
Les visages flottent ici comme des masques vides, des ombres sans regards, et leurs rires, quand ils éclatent, leurs paroles insensées , résonnent contre les façades, tournoient et frappent sans prévenir à la manière interlope d’où surgissent les gifles aussi humiliantes qu’absurdes
Me revoici donc écrasé par cette hideur, Bouchon aux couleurs ternies, cette fatigue, ce poids sans nom.
Et pourtant, quelque chose me pousse encore malgré tout vers l’avant, un reste d’instinct peut-être une simple habitude la fameuse du marche ou crève, d’un pas après l’autre. cette chose qui ne cesse de prononcer le terrible "Avancer, toujours avancer."
Et c’est alors, dans cet enfer d’immondices et de visages fuyants, qu’un éclat inattendu vint fissurer ce mur d’abjection : une lumière d’or, filtrant à travers un rideau déchiré, une feuille tourbillonnant et toute son infinie petitesse, dans un souffle de vent, sans oublier l’aperçu rapide et lent au relenti de ce chat roux, endormi sur un tas de journaux, indifférent au chaos. Ce n’était rien. Et pourtant, c’était tout. La ville tomba son masque, dans un éclat tellement fugace que j’eus peine à le considérer pour vrai, elle ébaucha un sourire de première communiante."
Ce n’est pas fini. SI ? Pas encore, pas maintenant. Quelque chose me le dit encore : patiente . Il faut vivre. tout vient de là et y revient.
La réponse viendra comme la question est arrivée : La réponse vient comme elle vient, de l’existence elle-même. A portée de main du manchot.
être boue être lumière être nuit être jour être pluie être sécheresse être seul être innombrable être cri cri cri être silence être vent être vide être étendu et plat être resserré et pointu être point de départ être point final être big et bang être proche et loin être immobilité et mouvement être noyau être néant être étincelle et explosion être naissance être mort être vie et mort être amour être absence être un pied dans l’orgueil l’autre dans la merde être cave un jour grenier une nuit être ailé et aussi lourd qu’un jour à devoir gagner son pain être unique être multiple être secoué de sanglots sanglots sanglots de rire et de chagrin être vainqueur par accident perdant par habitude être gueux et roi être au parfum du monde et à sa puanteur être une montée être une chute être une fracture être une ligne droite être froissé comme une lettre jamais lue être repassé pour des noces oubliées être soleil être pluie être gouffre être pic être tout être rien être tout et rien être l’aube et le crépuscule être un cercle une spirale être nulle part être partout osciller osciller osciller entre génie et idiotie
A la fin c’est encore trop long, il faut que j’en garde encore un peu pour demain. Que me retienne.
Pour continuer
Carnets | décembre 2024
31 décembre 2024
Dernier jour de cette année 2024. Rude année. Alors pour lui dire adieu, envie d'une traversée.|couper{180}
Carnets | décembre 2024
30 décembre 2024
Lu quelques pages du Porte-Lame de Burroughs vers 3h du matin. Ce qui résonne avec la vidéo de Pacôme Tiellement sur son Rabelais dans sa série sur l'empire romain contre le Christ ou vice versa. Toujours pas trouvé l'angle avec lequel pénétrer l'opacité de la proposition d'écriture de F. Le rire, sans doute, serait un recours, en y a-t-il vraiment un autre ? À l'institution Saint-Stanislas d'Osny, près de Pontoise, je me souviens du petit Legallo, dont je fis faire le tour du parc presque complet à coups de gifles et de coups de pied au cul. Du gros Lefranc, à qui j'envoyais un uppercut parfait après qu'il eut traité ma mère de nom d'oiseau. De la nonne Thérèsa, qui me troubla tant que j'en fis mes premiers rêves érotiques. Sans compter la voluptueuse Mathilde, qui avait la plastique affolante des femmes préhistoriques, et que j'épiais, me portant malade les jours où elle venait faire le ménage au dortoir. Et aussi de Poinsard, professeur de mathématiques aux mains baladeuses et glaciales, dont l'haleine sentait la pastille Pullmoll ou l'affreux cachou. De toute une série de noms s'achevant en sky, parce que les prêtres ici furent, avant d'être déportés, polonais. Je me souviens aussi du nom de la rivière dans laquelle je pêchais avec des agrafes attachées au bout de ficelles des épinoches. Les épinoches ont grosso modo la même triste figure écrabouillée et mélancolique que l'une des deux sœurs Richaume, dont j'étais amoureux enfant parce que j'aurais voulu la voir sourire à tout prix. Et Monsieur Blavette, professeur d'allemand émérite, qui nous parlait de la Sarthe comme du Paradis, avait aussi une gueule de traviole et je crois fermement aujourd'hui que c'est pour cette raison principale que je l'aimais bien. Setsensesich wirsetsenuns. Après, je ne sais plus trop ce qui s'est passé, j'ai lu encore quelques pages de Burroughs, j'ai trouvé ça bien, c'était comme si je visionnais un film, des images fabuleuses. Puis, vers le milieu de la journée, sans doute un blanc, le sommeil. J'ai relu ce que j'avais écrit à 4h du matin, ça ne vaut pas un pet de lapin, mais je le garde parce que c'est un auto-jugement du lendemain après coup et que la nuit du 29 au 30, je ne dormirai pas bien non plus, j'avancerai dans Burroughs et peut-être aussi sur Obsidian. J'ai créé pas loin de 5000 fiches en une journée grâce à un script Python qui va fouiller dans mes bases de données SQLite. Je devrais faire une rubrique spéciale pour tout le temps que je passe à bricoler sur SPIP, sur Python, sur Obsidian. Mais ça n'aurait plus rien à voir avec le Dibbouk. À moins que si, justement. Je n'en sais rien. Lu aussi quelques textes sur le blog de l'atelier d'écriture. Pas encore mis à la proposition 7 pour autant. Et que je crois bien que j'ai foiré totalement la précédente. Me suis même fendu de quelques commentaires parce que tout simplement ça me venait naturellement. Je regrette un peu ce naturellement aujourd'hui. Puis je me dis que demain, un autre auto-jugement me dira encore autre chose. Une saleté de vautour me dévore le foie et je n'ai pas inventé l'eau chaude ni les allumettes. C'est une injustice flagrante. Encore une. Dans le fond, la justice est l'anomalie, voilà ce qu'il convient de se dire pour pouvoir se tenir debout.|couper{180}
Carnets | décembre 2024
28 décembre 2024
C’est en extirpant, avec la pointe d’un pic orné d’une boule verte, un corps noir lové dans sa coquille que j’ai repensé à la proposition d’écriture de la semaine. L’escargot en soi n’a pas véritablement de goût. C’est la sauce qui fait tout. On pourrait plonger des moules dans cette même sauce — et bien pire encore, blattes, cancrelats, cafards — et ce serait, j’en suis presque convaincu, exactement la même chose. À vrai dire, c’est tout à fait épouvantable de mettre ce genre de chose dans sa bouche. Non pas que je considère l’escargot comme un être inférieur ou vil, mais qu’un être humain comme moi, supposément civilisé, en fasse une bouchée, c’est proprement abject. Hormis cette indéfectible attirance pour la sauce au beurre persillé, j’imagine que je pourrais me passer, sans effort excessif, de ce genre de mets pour le reste du temps qu’il me reste à vivre. — - J’ai acheté plusieurs boîtes de Mon Chéri chez Lidl. L’une d’elles, je l’ai enveloppée de papier cadeau pour la glisser dans les chaussures de mon épouse. J’ai aussi dégoté un petit miroir à LED, un truc absolument kitsch comme elle les adore. Je l’ai emballé avec la même application minutieuse, le même papier cadeau (en promotion, bien sûr, dans le même magasin). Ces deux cadeaux, de toute évidence peu sérieux, sont là pour lui faire faire une grimace en les déballant. La grimace. Puis le petit sourir gèné. Puis, enfin, son visage qui s’illumine quand elle découvrira le troisième cadeau : un appareil photo Panasonic Lumix. Une folie que je vais payer à tempérament pendant des mois. Et maintenant que je l’ai écrit, est-ce que ça me soulage ? Honnêtement, je n’en sais rien. Je me dis que, de toute façon, à part moi, ça ne regarde personne. Et encore, je ne suis pas certain que ça me regarde vraiment non plus. Peut-être qu’il en est de ces gestes anodins comme de tout ce que l’on traverse : ça ne nous concerne que lorsqu’on implore une Providence quelconque de nous voir. De nous *regarder*. — - J’ai commencé à créer des fiches sur Obsidian. Mais si je suis honnête, tous ces outils finissent par se ressembler. Ulysse, Scrivener, Notion, Typora, Obsidian… On passe un temps fou à se demander comment on va les utiliser. On les paramètre, on les organise, on les dissèque. Puis, un jour, on abandonne. On comprend qu’ils ne sont rien d’autre que des leurres, des pièges sophistiqués pour accaparer l’attention. Ils nourrissent un désir ubuesque d’organisation. Et, par la même occasion, enrichissent des vendeurs de formations en ligne, qui pullulent comme des cancrelats autour de nos incertitudes. Mais cette fois, je m’en rends compte plus vite. Peut-être est-ce un progrès. J’ai même visionné plusieurs vidéos de créateurs de contenu pour en être bien certain. J’ai téléchargé le livre de Tiago Forte, *Building a Second Brain*, pour m’en convaincre : l’organisation qui compte vraiment, c’est celle avec laquelle je vis au jour le jour. La mienne, désordonnée, imparfaite, mais vivante. Cela peut paraître prétentieux, mais ce n’est qu’un élan vers une forme d’humilité qui me convient. Le Bouddha disait : "Ne crois qu’en ce que tu expérimentes." Et, surtout, si le Bouddha se dresse devant toi, tue-le. Alors je m’efforce d’observer tout ce qui se dresse devant moi. Ces petites boules noires que je mâche lentement, qui ont une texture caoutchouteuse et un goût délicieux de beurre aillé. J’attrape une crevette. Je fais et je pense exactement la même chose. Rien ne peut me résister. Du moins, à table. — - Je ne suis pas du tout certain d’avoir compris la proposition d’écriture cette fois-ci encore . D’ailleurs, je ne m’y suis pas accroché bien longtemps. Il me semble que plus ça va, moins je les comprends, ces fameuses propositions. Ou plutôt, je ne cherche plus vraiment à les comprendre. Ce qui m’intéresse désormais, ce sont les pistes fugaces qui les traversent en filigrane, comme des éclats d’idées laissés là, presque par hasard. Parfois, c’est un mot qui surgit et que j’ai envie de développer. Parfois, c’est une liste qui s’impose, d’un seul coup, sans prévenir. D’autres fois encore, c’est une sensation, quelque chose de diffus, d’insaisissable, que je ne parviens pas à nommer clairement et qui me fait tourner en rond comme un derviche. Cette impossibilité de cerner ce que je veux dire — ou même ce qu’on attend de moi — devient presque un moteur. Une énergie étrange, faite de confusion et de mouvement. Mauvais élève comme d'habitude. Quand je bèle, j’ai toujours un chat dans la gorge, et c’est affreux comment je bèle faux. Je m’en suis encore fait la réflexion en disant à voix haute : « Mazette, cette bûche bat tous les records de bûches surgelées ! » Une phrase idiote, et moi qui avais vraiment l’air con après l’avoir prononcée. Je ne peux m’empêcher de trouver quelque chose de familier dans cette absurdité, dans ce faux-bêlement qui me poursuit. Comme si tout ça, finalement, faisait partie du jeu... Peut-être que F. ne le fait pas exprès. Ou peut-être que si. Après tout, ce ne serait pas la première fois que je croise ce genre de méthode. Mes meilleurs professeurs, tous sans exception, avaient cette façon de faire. De poser une question qui semblait claire, mais qui, en réalité, n’avait aucune réponse évidente. Ou bien, ils parlaient ostensiblement d’une chose tout en nous entraînant ailleurs, sur un tout autre sujet. Et moi, en y réfléchissant bien, je réalise que je fais exactement la même chose avec mes élèves. C’est un jeu subtil, presque pervers parfois. (On utilise le mot pervers à toutes les sauces désormais ce qui fait qu'il ne veut strictement plus rien dire ) — Donner l’impression de parler d’une chose alors qu’on est en train de parler d’une autre. ( mais n'est-ce pas ce que tout le monde fait sans arret ?) Une sorte de mise en abyme pédagogique. Et le plus fascinant, c’est que si je prenais la peine d’interroger ces professeurs aujourd’hui — ceux qui m’ont marqué, ceux qui pratiquaient ce "déplacement" constant — ils me répondraient tous, sans exception, qu’ils ne s’en rendaient pas compte. Ils diraient que c’est inconscient. Et, bien sûr, ils me feraient ce petit sourire en coin. Un sourire qui en dit long sans rien expliquer. Qui semble dire : « Ah ah, tu crois peut-être avoir compris. Tu es décidément indécrottable ! Peut-être que c’est la vérité. Peut-être que c’est une manière d’éluder. Mais au fond, qu’importe ? Ce n’est pas tant la clarté des réponses qui compte, mais cette ouverture, cet espace que ces méthodes créent en nous.|couper{180}
