La question du pourquoi étant à demi réglée, l’archiviste se retourna. Ce qu’il vit n’était pas un tas mais un territoire : vingt mètres carrés de dossiers de sinistres, chemises béantes, documents gondolés, odeur de papier rance. Un fatras sans contour, irrégulier, qui occupait l’angle entier de la salle. Les néons s’y brisaient, comme absorbés par cette masse informe. Il la fixa, s’attendant à une pensée. Rien. Pas un passage. Le fatras bouchait tout. Alors il détourna les yeux.

Un mot jaillit.
— Comment ?

Il dut s’asseoir. Le mot pesait trop lourd.

Sur la table, Tacite, fraîchement acquis chez un bouquiniste sur les quais de Seine. Collection Bouquins. Il l’ouvrit, son doigt tomba sur Histoires. Et aussitôt les phrases se mirent à défiler : récit des événements contemporains, premiers temps du principat, comprendre l’état du monde romain, la lente dislocation du système, le despotisme incohérent d’un dernier descendant.. Il entra dans la lecture :

« Les Histoires étaient consacrées au récit d’événements contemporains et leur rédaction a prouvé à Tacite l’importance des premières années du principat pour expliquer l’état du monde romain à la fin du Ier siècle de notre ère. Aussi l’historien décide-t-il de se concentrer sur l’évocation des débuts du principat depuis la mort d’Auguste jusqu’à celle de Néron. Il peut ainsi étudier comment le système politique mis en place par le premier empereur s’est peu à peu disloqué pour aboutir au despotisme incohérent de son dernier descendant, Néron. »

Le silence de la pièce semblait se superposer à ces phrases. Les vingt mètres carrés de dossiers derrière lui et la Rome décrite par Tacite se répondaient comme deux ruines superposées. L’archiviste ne bougea plus.

Puis vint le soir. En rangeant son plan de travail, L’archiviste voulut glisser le volume dans son sac. Alors seulement, il vit la couverture. Ce n’était pas Tacite. C’était Plutarque. Vies des hommes illustres.

Il resta un instant immobile, le livre à la main.