Il fut embauché un vendredi. Le salaire dérisoire, la salle aveugle pleine de dossiers : il accepta. Le soir même, en sortant, l’archiviste entra dans un magasin spécialisé et acheta plusieurs boîtes de puzzles. Il se dit qu’il s’entraînerait le week-end, pour être prêt lundi.
Le samedi matin, il ouvrit le premier, dix pièces à peine. Un ciel bleu, une vache tachetée : les couleurs suffisaient, l’assemblage venait tout seul. Il pensa un moment que c’était là le secret.
Après le café, il attaqua le puzzle de cinquante. Les couleurs s’éparpillaient, les motifs se brouillaient. Il découvrit qu’il fallait d’abord les bords, dresser un cadre.
L’après-midi, la table déjà encombrée, il passa aux deux cents. Les couleurs guidaient à peine. Il fallait reconnaître les formes, dents et creux, sentir ce qui accroche, ce qui refuse.
Le dimanche, il ouvrit celui de cinq cents. Trop de morceaux semblables, grisaille confuse. Les heures s’étiraient, le café refroidissait, la lumière tournait sur la table jonchée de pièces éparses.
Le soir venu, il tenta le puzzle de deux mille. Un champ de carton sans contour. Les bords assemblés semblaient dérisoires face à l’étendue. Chaque pièce était unique, mais toutes se ressemblaient. La lampe de bureau vacillait, la fatigue pesait.
En relevant la tête, il revit la salle des archives. Vingt mètres carrés de chemises gondolées, sans bord ni cadre. Un puzzle dont l’image manquait, et dont la boîte n’avait jamais existé.