Il tira un carton plus lourd que les autres. Sur l’étiquette : Bercy. Il crut à un quartier, peut-être un dossier fiscal. À l’intérieur, une épaisseur de calques ammoniaqués, de brochures polycopiées, d’abréviations indéchiffrables. Les chemises s’appelaient APS et DCE. Il nota dans son cahier : « APS = avant-probable-solution ? DCE = dossier confus entier ? ».

Une page titrait : modénatures gradinées, calepinage du béton. Il lut et relut sans comprendre. Modénature sonnait comme une maladie, calepinage comme un loisir de vacances. Plus loin : engazonnement progressif des talus périphériques. Il traduisit sans hésiter : « terrain de golf ». Et se permit un petit dessin.

Un second carton s’ornait du mot Riyad. Il s’attendait à un guide touristique. À l’intérieur, des plans au format drap de lit : climatisation centralisée, circulation piétonne différenciée, gabarits d’aéronefs. Il se convainquit qu’il s’agissait d’un aéroport. Au centre d’un plan taché, une auréole de café formait un rond brun. Il entoura la tache et nota simplement : « oasis ».

Puis vinrent les chemises marquées H11. En tête de document : poteaux porteurs, trame structurelle, voiles en béton brut. À ses oreilles, une langue militaire, ordre de mission, vocabulaire de manœuvre. Au verso d’un plan, une note manuscrite surgissait : « Appeler le plombier lundi ». Enfin un énoncé intelligible. Dans la marge de son cahier, il inscrivit : « fonction technique indéterminée, plomberie à vérifier ».

Au bout de quelques heures, il avait reconstitué son propre glossaire :

APS → à peu près ça

DCE → désordre complet établi

Calepinage → coloriage

Modénature → pathologie

Gabarit → uniforme militaire

Voile béton → rideau épais

Plombier → la seule personne à rappeler

Ainsi, en ouvrant trois cartons, il avait traversé les années 1980 à sa manière. Les pièces maîtresses de l’agence ne lui apparurent pas comme des monuments, mais comme un dictionnaire parallèle, bancal, où les mots perdaient leur usage et gagnaient une vie nouvelle.