Il n’avait jamais vu une telle chose, et pourtant on lui avait dit : les archives, ce n’est pas bien rangé. Mais là, c’était plus que ça. C’était une matière compacte, un magma brunâtre et poussiéreux. Des dossiers qui s’étaient comme décrochés de leurs étagères, d’autres qui s’étaient effondrés sur le sol, tout ça superposé, imbriqué, effiloché, une sorte de paysage minéral en papier.

Il se tenait à l’entrée, sans avancer. Respirer donnait déjà la sensation de s’intoxiquer. Alors, immobile, il attendit que son cerveau, ou une autre instance, se décide à formuler quelque chose d’utile.

Ça vint par bribes, en phrases courtes, sèches, comme dictées par un narrateur extérieur.
D’abord : « Ne regarde pas tout. Choisis un tas. »
Ensuite : « Ne trie pas tout de suite, regroupe par famille. Plans, lettres, factures. »
Puis encore : « Note. Fais semblant de tenir un inventaire, même si tu n’y crois pas. »

Il obéit mécaniquement. Prit un dossier, le posa sur la table. Un autre, puis encore un. Le simple fait de les aligner produisait un effet géométrique qui calmait son souffle. L’impression de faire œuvre, à défaut de faire ordre.

On lui souffla qu’il fallait aussi renoncer à sauver chaque feuille. C’était un conseil raisonnable : éliminer une partie de la masse, comme on jette des gravats. Cela lui parut soudain d’une simplicité enfantine.

Il s’aperçut alors qu’il commençait, sans l’avoir prévu, à inventer un rituel : dégager la table, empiler, raturer trois mots dans un cahier. Un rituel, ça suffisait presque à donner l’impression de maîtriser la situation.

La salle restait un chaos, mais un chaos dont il avait déjà décidé l’entrée. Et ça, pensa-t-il, c’était peut-être un début.