Il savait qu’il devait partir. Au loin, on entendait les sirènes, mais ce qui l’inquiétait le plus, c’était l’odeur âcre qui se glissait déjà dans la maison. Il a ouvert le sac et y a jeté tout ce qui lui passait par la main : des vêtements, un dictionnaire, deux paires de chaussures, la vieille radio, une pile de livres qu’il n’avait pas lus, des dossiers, une lampe de chevet, un pot de confiture entamé, un cadre photo, un jeu d’échecs, une serviette de toilette, trois carnets, des couverts, une veste d’hiver, une boîte à outils. Il a essayé de le soulever. Impossible. Il l’a ouvert, a enlevé la moitié : la lampe, les livres, la veste, le dictionnaire. Puis encore un peu : le jeu d’échecs, le cadre photo. Il restait pourtant un sac énorme, boursouflé, lourd comme si chaque objet, même le plus petit, pesait plus qu’il ne devrait. Il l’a passé sur son épaule, vacillant sous le poids. Et il est sorti.

Le sac pesait toujours, malgré tout ce qu’il avait retiré. Dans le camion qui les emportait, il l’avait posé à ses pieds. Autour de lui, les autres n’avaient presque rien : un petit sac, une couverture, parfois juste un manteau. Lui fixait son sac gonflé, encombrant, et sentait qu’il trahissait quelque chose qu’il n’arrivait pas à nommer.

Il est arrivé à la frontière un peu avant cinq heures. Le goudron, du côté où il se tenait, avait été réparé par plaques irrégulières, plus sombres que le reste. Une mouche tournait autour de sa main. L’air sentait le plastique chauffé. Le garde n’a pas levé la tête, il a juste dit : Vous pouvez passer, mais pas avec ça.
Le sac pesait lourd sur son épaule gauche. Il l’a posé. La fermeture éclair grinçait. À l’intérieur, il y avait un pull en laine rêche, roulé trop serré, un paquet de biscuits mous, une photo dont le coin s’était replié, et une paire de chaussures d’enfant, lacets noués ensemble. Sous le tissu, un bruit sec, comme une pièce de métal qui cogne. De l’autre côté, on voyait un pan de colline, couvert d’herbe courte. Un oiseau a traversé le ciel, bas. Il a refermé le sac. On attendait derrière lui. Il a bougé le sac d’un pied, l’écartant un peu du passage. Et puis il a avancé, une main dans la poche, sans se retourner.