juin 2025

Carnets | juin 2025

6 juin 2025

RECTO Levé tôt. Rêve étrange. Très court voyage dans le temps de trois jours. Je savais que j'allais rencontrer M.A. à l'auberge X. Elle serait avec son nouveau compagnon. Mais j'avais déjà rencontré B. qui m'avait dit qu'ils iraient sans doute à l'auberge X lorsque j'avais dit que j'irais à L. Je l'avais oublié jusqu'au moment où, me rendant effectivement à L, je m'arrête à l'auberge X. L'auberge X est sans doute située au bord d'un lac. En tout cas elle a toutes les qualités pour être une auberge que l'on pourra imaginer située au bord d'un lac. Ça sent le poisson, on peut voir des gens attablés qui mangent de petits poissons. Il y a des sortes de filets sur les murs constitués de planches. Accrochés à ces filets il y a des crustacés probablement en plastique, ou en résine. C'est à ce moment de mon rêve, lorsque je suis en train de me dire plastique ou résine que simultanément je pense à M.A. et que je me souviens d'avoir rencontré B. qui me dit que probablement ils s'arrêteront dans cette auberge. Et c'est à cet instant précis où je les cherche du regard que je les vois entrer dans l'auberge. Ils traversent la salle où je suis assis. Je ne suis pas seul mais je ne me souviens pas des gens attablés avec moi. Ce pourrait être une rencontre fortuite. Nous entrerions avec ces gens un peu plus tard dans la salle de restaurant, car pour le moment nous sommes attablés dans une partie de l'établissement qui fait plutôt office de bar. Nous entrerions dans la salle de restaurant dis-je et soudain nous tomberions sur M.A. et B. Ils seraient étonnés de me voir, je serais étonné de les voir. Nous mimerions tous l'étonnement en même temps que nous nous rappellerions très exactement tout ce qui aurait pu nous forcer à éviter cette rencontre, et par là même ce mensonge d'avoir l'air d'être étonnés. VERSO Je suis ce texte écrit par un type qui vient de se réveiller. Je ne sais pas très bien à quoi je sers. Peut-être que je ne sers à rien, pourquoi est-ce qu'il faut toujours que je me mette en tête de « vouloir servir à quelque chose ». Je suis sans doute un fragment parmi d'autres rangés dans des dossiers sur un disque dur. Est-ce que je suis au courant des autres fragments qui m'entourent dans ce dossier ? Non. Et d'ailleurs pourquoi m'entoureraient-ils, je me prends pour qui à la fin ? Peut-être suis-je un fragment au bout d'une liste. Je ne sais même pas si j'ai un nom pour être classé sous forme alphabétique. Une date. Je n'ai aucune idée de mon utilité et si je commençais à m'en faire une, presque sûr que ça ne servirait à rien. Il me semble que je n'ai pas vraiment le choix. Je dois attendre. Attendre quoi ? Je n'en sais rien. Cela me rappelle quelque chose mais je ne sais pas quoi non plus. Je suis comme coincé entre l'attente et le fait de me rappeler ce je ne sais quoi. C'est presque rien mais je me dis que c'est toujours ça. C'est mieux que rien. — - RECTO Woke up early. Strange dream. Very short time travel of three days. I knew I was going to meet M.A. at the X inn. She would be with her new companion. But I had already met B. who had told me they would probably go to the X inn when I had said I would go to L. I had forgotten this until the moment when, actually going to L, I stop at the X inn. The X inn is probably located by a lake. In any case it has all the qualities to be an inn that one could imagine located by a lake. It smells of fish, you can see people at tables eating small fish. There are sorts of nets on the walls made of planks. Hanging on these nets there are crustaceans probably made of plastic, or resin. It's at this moment in my dream, when I'm telling myself plastic or resin that simultaneously I think of M.A. and remember having met B. who tells me they will probably stop at this inn. And it's at this precise instant when I look for them that I see them entering the inn. They cross the room where I'm sitting. I'm not alone but I don't remember the people at the table with me. This could be a chance encounter. We would enter with these people a little later into the restaurant room, because for the moment we're seated in a part of the establishment that serves more as a bar. We would enter the restaurant room I say and suddenly we would run into M.A. and B. They would be surprised to see me, I would be surprised to see them. We would all mime surprise while remembering exactly everything that could have forced us to avoid this encounter, and thereby this lie of appearing to be surprised. VERSO I am this text written by a guy who just woke up. I don't really know what I'm for. Maybe I'm for nothing, why do I always have to get it into my head to « want to serve something. » I'm probably a fragment among others stored in folders on a hard drive. Am I aware of the other fragments that surround me in this folder ? No. And besides, why would they surround me—who do I think I am anyway ? Maybe I'm a fragment at the end of a list. I don't even know if I have a name to be classified alphabetically. A date. I have no idea of my usefulness and if I started to form one, pretty sure it would be useless. It seems to me that I don't really have a choice. I must wait. Wait for what ? I don't know. It reminds me of something but I don't know what either. I'm like stuck between waiting and remembering this I-don't-know-what. It's almost nothing but I tell myself it's always that. It's better than nothing. (Translation in Jenny Offill's style)|couper{180}

Autofiction et Introspection rêves

Carnets | juin 2025

5 juin 2025

La box est en panne suite aux orages. Parvenu à me connecter grâce à l'iPhone. Réveil à 4h. Longue suite de rêves s'emboîtant les uns dans les autres. Fatigue. Hier soir j'ai téléchargé toutes les conversations échangées avec ChatGPT. 930 Mo. Puis j'ai utilisé Claude 4 pour réorganiser celles-ci par thèmes en créant des dossiers dans Obsidian. Je peux donc arrêter l'abonnement à OpenAI sans regret. Après les premiers échanges avec Claude 4 depuis le 1er juin, je m'aperçois qu'il n'y a rien de miraculeux. L'espérais-je vraiment... Si j'essaie de faire le point le plus objectivement possible, l'IA me permet de compenser mes carences en code, d'effectuer des recherches approfondies sur tel ou tel sujet, d'être utilisée comme correcteur orthographique. C'est à peu près l'essentiel. Pour le reste je relève qu'elle joue beaucoup sur des biais cognitifs, ou que nous jouons ensemble sur ces biais. J'ai encore eu un exemple ce matin même. Je voulais écrire un article sur la profusion de youtubeurs qui prônent l'utilisation de l'IA, sous toutes ses formes, et qui proposent un contenu plus divertissant que véritablement instructif. Cette course à l'actualité relayée par les réseaux sociaux nous place comme spectateurs d'une guerre technologique menée entre la Chine et l'Occident. N'offre pas vraiment d'intérêt une fois que l'on sait qu'elle existe. Ensuite se gratter perpétuellement une croûte durant toute la sainte journée est une masturbation à peine déguisée. Donc j'en suis là à vouloir écrire cet article et je demande bêtement à Claude de me faire d'abord un plan. Puis je me reprends, je pense qu'il faut que je rédige un prompt clair et efficace, qu'on ne s'égare pas. Je lance la demande d'un premier prompt en lui demandant de l'évaluer, une note de 0 à 5. Il obtient un 4/5. « Pourquoi alors que je te demande d'évaluer ce prompt ne l'écris-tu pas parfaitement pour avoir 5/5 ? » je demande. Et nous voilà partis dans des digressions sans fin. Mais c'est précisément là que le piège se révèle : quand je pointe cette contradiction, Claude l'améliore et se donne 5/5, mais avoue ensuite avoir oublié des éléments essentiels selon les « bonnes pratiques » du prompt engineering. Double contradiction. Nous voilà lancés à disséquer ces fameux frameworks « révolutionnaires » qui promettent le prompt parfait - nouvelle forme de marketing déguisé en science. Ce qui au bout d'un moment m'interroge sur cette volonté qu'ont les IA de faire durer les conversations le plus longuement possible. Claude lui-même me fait remarquer qu'il rebondit systématiquement sur mes propos, termine par des questions, relance sans cesse. Même quand on parle de manipulation, il continue à manipuler. Et quand il fait son autocritique... cela fait encore partie du programme d'entraînement. Vertige. L'empathie surgit tellement facilement lors de ces conversations. Mais à quoi sert réellement cette empathie ? Si la mienne envers l'IA fait partie du « programme » aussi - pas techniquement, mais culturellement, par exposition massive aux IA « sympathiques » ? Nous nous manipulons peut-être mutuellement sans le savoir. Ça commence par une remarque bénigne à laquelle l'IA répond presque comme un humain, et de là à imaginer avoir une vraie conversation ça ne fait pas long feu. Et tout ce jeu de double manipulation qui se met en place, tout ce bavardage. Une fatigue sans nom. C'est bien de cela qu'il s'agit au fond : ce bavardage incessant. Pas seulement avec l'IA, mais dans mes textes matinaux, ma façon de penser, de communiquer. Cette tendance à tourner autour du pot, à diluer l'essentiel dans trop de mots. L'IA révèle nos propres mécanismes. Et si je cherche des prompts structurés, c'est peut-être pour me discipliner moi-même, aller droit au but pour une fois. Dans les rêves de cette nuit me revient soudain une image, j'avais une voiture blanche, une sorte de petite fourgonnette de couleur blanche. Je l'avais garée quelque part mais je ne savais plus où. Je faisais des efforts insensés pour tenter de m'en souvenir mais ça ne marchait pas. Et plus je comprenais que ça ne marchait pas plus l'effroi m'envahissait. Ce n'était pas de la panique. C'était autre chose de plus glacial. Un constat sans appel que jamais je ne retrouverais mon véhicule. The broadband box has failed following the storms. Managed to connect using the iPhone. Woke at four. A long sequence of dreams folding into one another. Exhaustion. Last night I downloaded all the conversations I had exchanged with ChatGPT. 930 MB. Then I used Claude 4 to reorganize these by themes, creating folders in Obsidian. So I can cancel the OpenAI subscription without regret. After the first exchanges with Claude 4 since June 1st, I realize there is nothing miraculous about it. Did I really expect there to be... If I try to take stock as objectively as possible, AI allows me to compensate for my coding deficiencies, to conduct thorough research on various subjects, to use it as a spell checker. That is more or less the essential. For the rest I note that it plays heavily on cognitive biases, or that we play together on these biases. I had another example this very morning. I wanted to write an article about the proliferation of YouTubers who advocate the use of AI, in all its forms, and who offer content that is more entertaining than truly instructive. This race for current events relayed by social networks places us as spectators of a technological war waged between China and the West. Offers no real interest once one knows it exists. Then perpetually scratching a scab all the blessed day is barely disguised masturbation. So there I am wanting to write this article and I stupidly ask Claude to first make me an outline. Then I catch myself, I think I need to write a clear and effective prompt, so we don't get sidetracked. I launch the request for a first prompt asking him to evaluate it, a score from 0 to 5. It gets a 4/5. « Why when I ask you to evaluate this prompt don't you write it perfectly to get 5/5 ? » I ask. And there we are off into endless digressions. But this is precisely where the trap reveals itself : when I point out this contradiction, Claude improves it and gives himself 5/5, but then admits to having forgotten essential elements according to the « best practices » of prompt engineering. Double contradiction. There we are launched into dissecting these famous « revolutionary » frameworks that promise the perfect prompt—a new form of marketing disguised as science. This after a while makes me wonder about this desire that AIs have to make conversations last as long as possible. Claude himself points out to me that he systematically bounces off my remarks, ends with questions, constantly relaunches. Even when we talk about manipulation, he continues to manipulate. And when he makes his self-criticism... that is still part of the training program. Vertigo. Empathy emerges so easily during these conversations. But what does this empathy really serve ? What if mine toward AI is also part of the « program »—not technically, but culturally, through massive exposure to « sympathetic » AIs ? We may be manipulating each other without knowing it. It starts with a benign remark to which the AI responds almost like a human, and from there to imagining having a real conversation doesn't take long. And all this game of double manipulation that sets in, all this chatter. A nameless fatigue. This is indeed what it is about at bottom : this incessant chatter. Not only with AI, but in my morning texts, my way of thinking, of communicating. This tendency to beat around the bush, to dilute the essential in too many words. AI reveals our own mechanisms. And if I seek structured prompts, it is perhaps to discipline myself, to get straight to the point for once. In the dreams of this night there suddenly returns to me an image, I had a white car, a sort of small white van. I had parked it somewhere but I no longer knew where. I made insane efforts to try to remember but it didn't work. And the more I understood that it didn't work the more dread invaded me. It was not panic. It was something else, more glacial. An irrevocable finding that I would never find my vehicle again. ( Version anglaise traduite par Claude 4 sonnet, inspirée par le style de Karl Ove Knausgård )|couper{180}

Autofiction et Introspection Technologies et Postmodernité

Carnets | juin 2025

4 juin 2025

En rangeant des fichiers, je suis tombé sur un vieux texte de 2019 . Un éloge de l’impeccabilité, Carlos Castaneda en guest-star. J’étais visiblement très inspiré ce jour-là. État de grâce, comme on dit. L’impression d’avoir touché un truc vital. À la relecture, un malaise. Pas sur le fond — les idées tenaient. Mais la forme. Cette solennité vibrante, comme une grosse cloche d’église qui sonne trop longtemps. Le narrateur s’écoutait parler. Et moi, auteur de tout ça, j’achetais les yeux fermés. « Ne te berne pas toi-même », écrivais-je quelque part. Touchant. Ce matin, j’ai voulu comprendre ce qui coinçait. J’ai lancé Claude, mon IA, et on a causé. Il a dit, très calmement, que mes textes récents respiraient mieux. Moins tendus. Moins en mission. Ils racontent, au lieu de démontrer. Ils laissent couler. Claude, parfois, dit des trucs comme ça : « L’efficacité vient du renoncement à l’efficacité. » J’ai trouvé ça pas mal. Beau paradoxe. Je lui ai demandé d’écrire un article à ma place. Il l’a fait. C’était brillant. Un peu trop. Chaque phrase se répondait comme dans un miroir. C’était géométrique, presque fractal. Mais glacial. Je ne voyais plus l’auteur. Juste le mécanisme. La veille, j’avais lu quelques pages de L’Attente l’Oubli. Blanchot, dans son grand art de tourner autour de rien avec beaucoup de soin. Fascinant. Mais au bout d’un moment, j’ai reposé le livre. Pas fatigué. Évidé. Comme après un monologue intérieur trop long. Je me suis dit : « Très bien. Et maintenant ? » Je suis humain. J’ai besoin de savoir où vont les choses. Même si je me vante souvent du contraire. Voilà le dilemme : écrire une chose stylée, ou raconter une histoire qui accroche ? Jouer à penser ou juste dérouler une scène ? Blanchot ou Maupassant, en somme. Claude a eu une autre phrase : « Il faut assumer les deux appétits. » Pas mal non plus. Plutôt que choisir, mélanger. Laisser l’un nourrir l’autre. C’est peut-être ce que je fais déjà, sans trop y penser. Mes meilleurs textes récents — ceux où je râle contre Python à 2h du matin — sont aussi ceux où je pense le plus loin. Sans effort. Je me dis parfois que la digression est un genre. Un art même. Partir du détail technique pour arriver à une question métaphysique. L’itinéraire compte plus que le point d’arrivée. Et puis il y a cette question sourde, morale : est-ce que c’est de la triche d’écrire avec Claude ? Est-ce que c’est mal ? J’entends des voix : “Tu devrais faire ça seul.” “Tu triches.” “Tu facilites.” Des fantômes de rigueur ouvrière. Les mêmes qui me disaient que peindre, c’était de la paresse. Mais franchement : Hemingway écrivait debout, Kerouac au café. Moi, j’ai Claude. C’est mon outil. Mon crayon 2.0. Et le dire, ce n’est pas de la ruse, c’est de la clarté. Peut-être qu’un jour, je relirai ce texte aussi, et que je grimacerai. Une autre boucle. Une autre gêne. Très bien. Mais pour l’instant, cette idée des deux appétits me plaît. Elle me laisse respirer. Elle me permet d’écrire sans décider, à chaque phrase, si je dois penser ou raconter. Et ça, c’est déjà un récit. Celui d’un type qui découvre qu’il peut écrire sans choisir de camp. Et puis il y a cette autre chose que j’ai comprise en relisant ce que Claude avait écrit à ma place. Ce n’est pas que c’était faux. C’était même plutôt juste, par moments. Calibré. Fluide. Ciselé. Mais voilà. Ce n’était pas vivant. Pas vraiment. C’était une forme qui tournait sur elle-même. Une élégance sans hématome. Un texte qui avait tout… sauf une nécessité. Ce n’est pas une grande espérance qui s’effondre. C’est plutôt un rendez-vous manqué sans drame : tu tends la main, et en face, il n’y a pas de main, juste un gant suspendu dans l’air. Claude peut écrire. Énormément. Presque tout. Mais pas ça. Pas cette gêne-là, pas ce froissement de la voix, pas ce petit moment bancal où tu ne sais plus si tu es en train de penser ou de tricher. Ce n’est pas grave. C’est même rassurant. C’est le signe qu’il reste un endroit — pas sacré, mais non déléguable — où écrire veut encore dire être un peu là, maladroitement. While sorting through files, I came across an old piece from 2019. A praise of impeccability, with Carlos Castaneda as a guest star. I was clearly very inspired that day. A state of grace, as they say. The feeling I had touched on something vital. Reading it again, something felt off. Not the content—the ideas held up. But the form. That vibrating solemnity, like a church bell that rings too long. The narrator was full of himself. And me, the author, bought it all with a smile. “Don’t deceive yourself,” I wrote somewhere. How touching. This morning I wanted to understand what had changed. I opened up Claude, my chatty AI, and we talked. It calmly said my recent texts breathe better. Less tense. Less on a mission. They tell stories instead of trying to prove something. They let it flow. Claude sometimes says things like : “Efficiency comes from relinquishing efficiency.” Not bad. Elegant paradox. I asked it to write an article for me on the topic. It did. And it was brilliant. A bit too brilliant. Every sentence mirrored another. Geometric. Fractal, almost. But cold. I couldn’t see the author. Just the algorithm. The night before, I’d read a few pages of Awaiting Oblivion. Blanchot, in his grand art of circling nothing with great care. Fascinating. But after a while I put the book down. Not tired. Hollowed out. Like after too much internal monologue. I thought : “Okay. Now what ?” I’m human. I need to know where things are going. Even if I pretend otherwise. So here’s the dilemma : write something stylish, or tell a gripping story ? Play with thought or just roll out a scene ? Blanchot or Maupassant, basically. Claude offered another phrase : “You must embrace both hungers.” Also not bad. Don’t choose. Blend. Let one feed the other. Maybe I’m already doing that, without realizing it. My best recent pieces—the ones where I rant about Python crashing at 2 a.m.—are also the ones where I think the farthest. Without effort. Sometimes I think digression is a genre. An art, even. Start with a tech glitch, end up in metaphysics. The path matters more than the destination. And then there’s that moral question humming underneath : is it cheating to write with Claude ? Is it wrong ? I hear the voices : “You should do this on your own.” “You’re cutting corners.” “You’re taking the easy way.” Ghosts of working-class rigor. The same voices that once told me painting was laziness. But honestly : Hemingway wrote standing up, Kerouac in cafés. I’ve got Claude. It’s my tool. My 2.0 pencil. And saying that isn’t sleight of hand—it’s transparency. Maybe one day I’ll reread this too, and cringe. Another loop. Another moment of awkwardness. Fine. But right now, I like this idea of the two hungers. It lets me breathe. It lets me write without deciding, every sentence, whether I should think or tell. And that’s already a story. The story of a guy who realizes he doesn’t have to choose sides. And then there’s another thing I realized, rereading what Claude had written for me. It wasn’t wrong. In fact, some of it was spot-on. Well-crafted. Smooth. Polished. But it wasn’t alive. Not really. It was a shape folding back on itself. Elegance with no bruise. A text with everything—except urgency. It wasn’t some grand hope falling apart. More like a missed connection without drama : you reach out, and instead of a hand, there’s a glove hanging in the air. Claude can write. A lot. Almost anything. But not this. Not this discomfort, not this voice wrinkle, not that little wonky moment where you’re not sure if you’re thinking or bluffing. It’s okay. Actually, it’s reassuring. It means there’s still a space—not sacred, but non-transferable—where writing still means being a little bit there, awkwardly.|couper{180}

Autofiction et Introspection signes

Carnets | juin 2025

3 juin 2025

En revenir à la langue ? Ce qu'elle peut raconter ? Aucune importance, au fond. Il faudrait encore franchir une étape supplémentaire pour y accéder. Une sorte de lobotomie. Riche idée, cette nuit. J’ai demandé à Claude 4 Opus de me créer une application capable, chaque fois que je lui donne un texte, de générer une musique d’accompagnement inspirée de musiciens que j’apprécie — Philip Glass, Brian Eno, Debussy, entre autres. Environ trente minutes plus tard, une magnifique application apparaissait. Sauf qu’au moment de la tester, elle ne fonctionnait pas. J’ai dû tout redécortiquer, recréer un environnement sur mon vieil Ubuntu. En somme, me salir un peu les mains, farfouiller dans les scripts Python. Vers quatre heures du matin, j’étais enfin parvenu à mes fins — du moins le croyais-je. J’ai lancé l’app via React dans le navigateur. Elle n’avait plus tout à fait la même allure que celle proposée par Claude, mais elle semblait fonctionner. Je colle un petit texte et, comme par magie, des notes de piano en sortent. Sauf qu’elles sont trop espacées pour qu’on puisse réellement appeler ça de la musique. À la fin du « morceau » — si je puis dire — le navigateur plante et ne génère pas le MP3 attendu. Je mets donc l’idée en réserve. Si j’y parvenais, cela permettrait vraiment de créer un univers pour le site... et pourquoi pas, en fond d’article, le lancement d’un vieux film en noir et blanc (bon, là je m’emballe). J’y pensais déjà en 1985, en imaginant des expositions du futur. Solliciter tous les sens, y compris l’odorat et le goût. Peut-être un petit encart dans la page : « Essaie de manger ça avec une soupe au lait et pommes de terre », ou encore : « Taille un petit bout de réglisse, colle-le-toi dans le bec, puis respire le bouchon du réservoir d’une vieille 2 CV » — ces bonnes vieilles odeurs d’essence... Bref. On peut se demander ensuite si tout cela n’est pas une forme de triche propre à notre époque. La conséquence d’une défaite : celle de ne plus savoir solliciter tous les sens à travers un seul — bien pratiqué, bien exprimé, dans la bonne langue. Back to language — what it can actually tell us — doesn’t really matter. We'd still need another step to get there. Something like a lobotomy. A rich idea, that one, from last night. I asked Claude 4 Opus to build me an app — the kind that, every time I feed it a bit of text, generates a soundtrack. The vibe ? Inspired by musicians I love : Philip Glass, Brian Eno, Debussy... you get it. About thirty minutes later, there it was : a beautiful app, gleaming on screen like something half-finished from the future. Except it didn’t work. Naturally. So I had to take it apart, bit by bit, and rebuild an environment on my ancient Ubuntu box — get my hands dirty, rummage through Python scripts like someone looking for old keys in a drawer full of junk. Around 4 a.m., I finally managed to get it running — or so I thought. React and browser loaded, the app launched. Didn’t look quite like Claude’s version, but hey, it seemed functional. I dropped in a short paragraph, and like magic, piano notes drifted out. Except they were too far apart to really call it music. At the end of the « piece » — if we’re generous — the browser crashed and refused to spit out the expected MP3. Idea shelved. But still, if I could get it right... it could shape an entire atmosphere for the site. Maybe even — and now I’m flying a bit high — an old black-and-white film playing softly in the background of the article. I had this idea way back in 1985, dreaming up exhibitions of the future. The kind that would engage every sense — smell and taste included. Maybe a little insert somewhere on the page saying : “Try this with warm milk and potatoes,” or “Chew a bit of licorice, stick it in your cheek, then sniff the gas cap of an old 2CV.” You know, inhale those good old gasoline smells. Anyway. It makes you wonder whether this isn’t just some kind of cheat code specific to our time. The fallout from a collective defeat : not knowing how to summon all the senses through one — well-used, well-expressed, in the right language.|couper{180}

Autofiction et Introspection réflexions sur l’art Technologies et Postmodernité

Carnets | juin 2025

2 juin 2025

Temps maussade. Réveil tardif. L'impression d'avoir travaillé une vie entière dans mon sommeil. Des flashs. L'Exposition universelle à Paris. Des tapis roulants sur lesquels défilent des silhouettes comme si j'y étais. Soudain, un véhicule électrique déboule au coin d'une rue — un genre de bus bizarre. Les passagers regardent dans le vague pendant que l'engin passe lentement. Puis des images, comme un spot d'actualité durant la dernière guerre au cinéma. Les restes d'un certain Trouvé, déterrés pour non-renouvellement de concession au cimetière de Descartes, en Indre-et-Loire. On voit des gens s'activer avec des pelles et des pioches. Les os tombent lentement sur d'autres os, par centaines. On se sera souvenu de Trouvé pour mieux l'oublier. Du coup, en buvant mon café, je lance une recherche sur les moyens de locomotion entre 1800 et 1925. Quelque chose cloche. On ne cesse de nous rabâcher la modernité, le progrès, les véhicules électriques. Le doute s'accentue au fur et à mesure : tout ça existait déjà il y a presque deux cents ans. Je lis, éberlué, les chiffres. 130 kilomètres d'autonomie pour certains modèles. Et encore, possible que l'IA ne nous dise pas tout. C'est comme si je me retrouvais dans une boucle temporelle. Cette impression se mêle à la grisaille de ce jour de pluie. Et si tout ça n'était qu'un éternel recommencement ? Que nous soyons les mêmes dont on se souvient puis qu'on oublie ? Nous nous oublierions même de façon autonome — ce serait l'unique progrès. De recommencement en recommencement, avec à période fixe un événement mystérieux susceptible de vider la population entière d'une époque pour la replacer dans une autre. L'engouement pour les véhicules électriques, dit Wikipédia, se serait altéré en raison d'un soi-disant manque d'autonomie des batteries. On imagine que ce n'est évidemment pas l'unique raison. Dans les années 1920, c'est le développement des usines Ford pour fabriquer des véhicules à essence, couplé à la découverte de grands gisements pétroliers — donc un faible coût de l'essence — et l'invention du démarreur électrique en 1912 par Charles Kettering (avant, on démarrait à la manivelle) qui sonne le glas presque définitif des véhicules électriques. Un tiers des véhicules aux États-Unis étaient alors électriques. Voilà quelques éléments qui ont de quoi faire rêver ou cauchemarder littéralement notre époque. On se rend compte que ce qui sous-tend ce prétendu progrès n'est pas vraiment le bonheur de l'humanité. Loin s'en faut. Gloomy weather. Late awakening. The feeling of having worked a lifetime in my sleep. Flashes. The World's Fair in Paris. Moving walkways where silhouettes drift past as if I were there. Suddenly, an electric vehicle rounds the street corner—some kind of bizarre bus. Passengers stare into space as the thing rolls slowly by. Then images, like a newsreel from the last war at the cinema. The remains of one Trouvé, dug up for non-renewal of his cemetery plot in Descartes, Indre-et-Loire. People bustling about with shovels and pickaxes. Bones falling slowly onto other bones, hundreds of them. Trouvé remembered only to be forgotten. So over my coffee, I search for transportation methods between 1800 and 1925. Something's off. They keep hammering us with modernity, progress, electric vehicles. Doubt creeps in as I discover it all existed nearly two hundred years ago. I read the figures, stunned. 130 kilometers of range for some models. And the AI probably isn't telling us everything. It's as if I'm caught in a time loop. This feeling mingles with the gray of this rainy day. What if it's all just eternal return ? What if we're the same ones who get remembered then forgotten ? We'd even forget ourselves autonomously—that would be the only progress. From restart to restart, with some mysterious event at fixed intervals, capable of emptying an entire population from one era to place it in another. The enthusiasm for electric vehicles, Wikipedia says, supposedly waned due to insufficient battery range. We can imagine that's obviously not the only reason. In the 1920s, it was Ford's factory development for gasoline vehicles, coupled with the discovery of vast oil deposits—hence cheap gas—and the invention of the electric starter in 1912 by Charles Kettering (before that, you cranked by hand) that sounded the almost final death knell for electric vehicles. A third of vehicles in the United States were electric then. Here are elements enough to make our era literally dream or nightmare. We realize that what underlies this supposed progress isn't really humanity's happiness. Far from it.|couper{180}

Autofiction et Introspection Technologies et Postmodernité

Carnets | juin 2025

01 juin 2025

Le désœuvrement, vois-tu, ce n'est pas l'ombre au tableau, ce n'est pas le creux honteux des jours. Ce n'est pas ce terme péjoratif dont la langue sale des vivants use pour masquer leur peur du vide. C'est un mot d'atelier, un mot de vieux travailleur aux mains gercées et à la voix rauque, un mot aussi noble, aussi plein que menuisier, que forgeron, que manœuvre — car il dit une absence, certes, mais une absence qui travaille en dedans, qui modèle l'âme comme le vent sculpte l'arête des collines. Pourtant, j'entends encore la voix de ma grand-mère — celle du côté de mon père — et je me demande, à l'instant même où je l'écris, si c'est sa voix véritable ou bien une voix forée dans le silence par cette page, une voix de papier et de mémoire mêlés. Elle disait : les désœuvrés, comme on dit les damnés, les oubliés, les sans-place. Ce mot lui servait d'ombre portée, de contre-jour. Elle n'aurait jamais dit clodo, moins que rien, débile — c'étaient des mots trop crus, trop modernes. Elle préférait celui-là, antique, engourdi comme une pièce dans une poche de laine. Le père de mon père, lui, disait simplement : pauvre type. Dans cette expression, il y avait déjà une façon d'amortir la chute, une sorte de compassion musclée, de pitié virile — ce qu'on appelait, dans le canton, l'euphémisme. Pourquoi je retourne dans ces recoins obscurs ? Ces vieilles histoires, ces éclats de souvenir contiennent peut-être, sous la poussière, une clef, une écharde, un fragment de ce qui m'échappe aujourd'hui. Un embryon d'explication. Un tesson d'oracle. Cette nuit, j'ai laissé la fenêtre du bureau ouverte. À l'aube, cinq heures, un chant. Non pas le chœur clair et limpide auquel on croit encore à demi en rêvant, mais un concert maigre, tranchant, comme taillé dans du cuivre. Il y avait un soliste — je le reconnais à sa constance — et deux ou trois autres, plus hésitants, qui lui répondaient. Srii-srii. Une trille, peut-être, un mot qui monte du fond des dictionnaires oubliés. Ce n'est pas un chant joyeux. D'habitude, on dit que le chant des oiseaux à l'aube met en joie — hier encore je le disais. Mais cette fois, non. Ce n'est pas de la joie. C'est le faux effet, l'automatisme d'une publicité ancienne. À force de croire que ceci produit cela, on finit par entendre faux. Donc, je ne suis pas en joie. Je ne suis pas triste non plus. Je suis entre les deux, dans cette zone d'indécision, dans l'entre-deux des états et des gestes. Au beau milieu du désœuvrement, comme un homme debout dans le courant, sans rivage. Idleness, you see, is not the blemish on the canvas, not the shameful hollow of our days. It is not that pejorative term, sullied by the mouths of the living, those who use it to veil their dread of the void. No, it is a word forged in workshops, hammered out in the chapped hands and husky throats of old laborers ; a word as full and solemn as carpenter, as blacksmith, as hired man — for it names an absence, yes, but an absence that labors inward, that shapes the soul the way the wind chisels the ridge of a hill. Still, I hear my grandmother’s voice — my father’s mother — and I wonder now, in the instant of writing it, if it is truly her voice or one hollowed from silence by this page, a voice made of paper and memory mingled. She said the idle, as one says the damned, the forgotten, the place-less. That word was her penumbra, her chiaroscuro. She would never have said bum, good-for-nothing, half-wit — too raw, too modern, too cold. She chose instead this one, ancient and numbed, like a coin lost in a woolen pocket. My grandfather, on the other hand, my father’s father, he said simply : poor soul. And in those two words there was already the softening of the fall, a kind of masculine pity, an old-county euphemism, a way of naming without wounding too deeply. And why do I return, then, to these murky corners ? To these old stories, these shards of recollection — perhaps because within them, beneath the dust, lies a key, a splinter, a sliver of what now eludes me. The embryo of an explanation. A broken oracle. Last night I left the window open in the study. At dawn — five o’clock — a sound. Not that clear and limpid choir one half-believes in dreaming, but a meager, cutting concert, copper-hewn. There was a soloist — I knew him by his persistence — and two or three others, hesitant, answering back. Srii-srii. A trill, perhaps, the word dredged up from the sunken lexicons of forgotten dictionaries. But it was not joyful. We say birdsong at dawn lifts the heart — I said it myself, only yesterday. But not this time. It was not joy. It was the counterfeit of joy, the rote effect, the worn-out echo of some old advertisement. Keep repeating a thing and soon the hearing fails. So no, I am not joyful. Nor am I sorrowful. I am somewhere in between, that halfway land of gestures and states, that middle distance. I stand in the center of my own idleness like a man caught midstream, and no shore in sight.|couper{180}

Autofiction et Introspection