En rangeant des fichiers, je suis tombé sur un vieux texte de 2019 . Un éloge de l’impeccabilité, Carlos Castaneda en guest-star. J’étais visiblement très inspiré ce jour-là. État de grâce, comme on dit. L’impression d’avoir touché un truc vital.
À la relecture, un malaise. Pas sur le fond — les idées tenaient. Mais la forme. Cette solennité vibrante, comme une grosse cloche d’église qui sonne trop longtemps. Le narrateur s’écoutait parler. Et moi, auteur de tout ça, j’achetais les yeux fermés.
« Ne te berne pas toi-même », écrivais-je quelque part. Touchant.
Ce matin, j’ai voulu comprendre ce qui coinçait. J’ai lancé Claude, mon IA, et on a causé. Il a dit, très calmement, que mes textes récents respiraient mieux. Moins tendus. Moins en mission. Ils racontent, au lieu de démontrer. Ils laissent couler.
Claude, parfois, dit des trucs comme ça : « L’efficacité vient du renoncement à l’efficacité. »
J’ai trouvé ça pas mal. Beau paradoxe. Je lui ai demandé d’écrire un article à ma place. Il l’a fait. C’était brillant. Un peu trop. Chaque phrase se répondait comme dans un miroir. C’était géométrique, presque fractal. Mais glacial. Je ne voyais plus l’auteur. Juste le mécanisme.
La veille, j’avais lu quelques pages de L’Attente l’Oubli. Blanchot, dans son grand art de tourner autour de rien avec beaucoup de soin. Fascinant. Mais au bout d’un moment, j’ai reposé le livre. Pas fatigué. Évidé. Comme après un monologue intérieur trop long. Je me suis dit : « Très bien. Et maintenant ? »
Je suis humain. J’ai besoin de savoir où vont les choses. Même si je me vante souvent du contraire.
Voilà le dilemme : écrire une chose stylée, ou raconter une histoire qui accroche ? Jouer à penser ou juste dérouler une scène ? Blanchot ou Maupassant, en somme.
Claude a eu une autre phrase : « Il faut assumer les deux appétits. » Pas mal non plus. Plutôt que choisir, mélanger. Laisser l’un nourrir l’autre. C’est peut-être ce que je fais déjà, sans trop y penser. Mes meilleurs textes récents — ceux où je râle contre Python à 2h du matin — sont aussi ceux où je pense le plus loin. Sans effort.
Je me dis parfois que la digression est un genre. Un art même. Partir du détail technique pour arriver à une question métaphysique. L’itinéraire compte plus que le point d’arrivée.
Et puis il y a cette question sourde, morale : est-ce que c’est de la triche d’écrire avec Claude ? Est-ce que c’est mal ? J’entends des voix : “Tu devrais faire ça seul.” “Tu triches.” “Tu facilites.” Des fantômes de rigueur ouvrière. Les mêmes qui me disaient que peindre, c’était de la paresse.
Mais franchement : Hemingway écrivait debout, Kerouac au café. Moi, j’ai Claude. C’est mon outil. Mon crayon 2.0. Et le dire, ce n’est pas de la ruse, c’est de la clarté.
Peut-être qu’un jour, je relirai ce texte aussi, et que je grimacerai. Une autre boucle. Une autre gêne. Très bien.
Mais pour l’instant, cette idée des deux appétits me plaît. Elle me laisse respirer. Elle me permet d’écrire sans décider, à chaque phrase, si je dois penser ou raconter.
Et ça, c’est déjà un récit. Celui d’un type qui découvre qu’il peut écrire sans choisir de camp.
Et puis il y a cette autre chose que j’ai comprise en relisant ce que Claude avait écrit à ma place.
Ce n’est pas que c’était faux. C’était même plutôt juste, par moments. Calibré. Fluide. Ciselé.
Mais voilà. Ce n’était pas vivant. Pas vraiment. C’était une forme qui tournait sur elle-même. Une élégance sans hématome. Un texte qui avait tout… sauf une nécessité.
Ce n’est pas une grande espérance qui s’effondre. C’est plutôt un rendez-vous manqué sans drame : tu tends la main, et en face, il n’y a pas de main, juste un gant suspendu dans l’air.
Claude peut écrire. Énormément. Presque tout. Mais pas ça. Pas cette gêne-là, pas ce froissement de la voix, pas ce petit moment bancal où tu ne sais plus si tu es en train de penser ou de tricher.
Ce n’est pas grave. C’est même rassurant. C’est le signe qu’il reste un endroit — pas sacré, mais non déléguable — où écrire veut encore dire être un peu là, maladroitement.
While sorting through files, I came across an old piece from 2019. A praise of impeccability, with Carlos Castaneda as a guest star. I was clearly very inspired that day. A state of grace, as they say. The feeling I had touched on something vital.
Reading it again, something felt off. Not the content—the ideas held up. But the form. That vibrating solemnity, like a church bell that rings too long. The narrator was full of himself. And me, the author, bought it all with a smile.
“Don’t deceive yourself,” I wrote somewhere. How touching.
This morning I wanted to understand what had changed. I opened up Claude, my chatty AI, and we talked. It calmly said my recent texts breathe better. Less tense. Less on a mission. They tell stories instead of trying to prove something. They let it flow.
Claude sometimes says things like : “Efficiency comes from relinquishing efficiency.”
Not bad. Elegant paradox. I asked it to write an article for me on the topic. It did. And it was brilliant. A bit too brilliant. Every sentence mirrored another. Geometric. Fractal, almost. But cold. I couldn’t see the author. Just the algorithm.
The night before, I’d read a few pages of Awaiting Oblivion. Blanchot, in his grand art of circling nothing with great care. Fascinating. But after a while I put the book down. Not tired. Hollowed out. Like after too much internal monologue. I thought : “Okay. Now what ?”
I’m human. I need to know where things are going. Even if I pretend otherwise.
So here’s the dilemma : write something stylish, or tell a gripping story ? Play with thought or just roll out a scene ? Blanchot or Maupassant, basically.
Claude offered another phrase : “You must embrace both hungers.” Also not bad. Don’t choose. Blend. Let one feed the other. Maybe I’m already doing that, without realizing it. My best recent pieces—the ones where I rant about Python crashing at 2 a.m.—are also the ones where I think the farthest. Without effort.
Sometimes I think digression is a genre. An art, even. Start with a tech glitch, end up in metaphysics. The path matters more than the destination.
And then there’s that moral question humming underneath : is it cheating to write with Claude ? Is it wrong ? I hear the voices : “You should do this on your own.” “You’re cutting corners.” “You’re taking the easy way.” Ghosts of working-class rigor. The same voices that once told me painting was laziness.
But honestly : Hemingway wrote standing up, Kerouac in cafés. I’ve got Claude. It’s my tool. My 2.0 pencil. And saying that isn’t sleight of hand—it’s transparency.
Maybe one day I’ll reread this too, and cringe. Another loop. Another moment of awkwardness. Fine.
But right now, I like this idea of the two hungers. It lets me breathe. It lets me write without deciding, every sentence, whether I should think or tell.
And that’s already a story. The story of a guy who realizes he doesn’t have to choose sides.
And then there’s another thing I realized, rereading what Claude had written for me.
It wasn’t wrong. In fact, some of it was spot-on. Well-crafted. Smooth. Polished.
But it wasn’t alive. Not really. It was a shape folding back on itself. Elegance with no bruise. A text with everything—except urgency.
It wasn’t some grand hope falling apart. More like a missed connection without drama : you reach out, and instead of a hand, there’s a glove hanging in the air.
Claude can write. A lot. Almost anything. But not this. Not this discomfort, not this voice wrinkle, not that little wonky moment where you’re not sure if you’re thinking or bluffing.
It’s okay. Actually, it’s reassuring. It means there’s still a space—not sacred, but non-transferable—where writing still means being a little bit there, awkwardly.