Il n’avait pas fermé l’œil, mais ce n’était pas de l’insomnie. Plutôt une veille poreuse, comme si son corps persistait à fonctionner sans savoir à quoi. Il n’y avait pas eu de rêve. Seulement une sensation : quelque chose s’était inversé dans la structure même de la nuit.
Au réveil — si c’en était un — tout semblait identique. Le module bioguidé avait ajusté sa température à son rythme cardiaque. Les parois ondulaient doucement. L’air avait cette densité particulière, légèrement métallique, propre à Gor. Il se leva.
Et c’est là que cela commença.
Son transpondeur n’affichait plus aucune donnée. Ni interface, ni cartographie, ni rythme interne. Juste un point clignotant. Non localisé.
Il tenta de l’interroger mentalement. Le retour fut immédiat, mais sans syntaxe. Une impulsion. Une image. Fugace, incohérente : une sorte de *masque*, en négatif, dont les contours pulsaient à contre-temps de ses propres pensées.
Puis, soudain, un mot. Mais pas un mot affiché. Un mot ressenti.
> "Insoluble."
Il se figea. Le mot n’était pas adressé. Il n’était pas une réponse. C’était une présence. Quelque chose ou quelqu’un — dans la ville ou en lui — venait de parler sans dire. Une intention, une balafre de sens projetée dans son esprit.
Il sortit.
Gor avait changé. Non dans sa forme — les structures étaient les mêmes, les rues toujours vides, les bornes nutritives muettes — mais dans leur ntensité. Comme si chaque élément avait été légèrement déplacé dans un autre registre de réalité.
Les angles semblaient plus nets. Les ombres, trop longues. L’air vibrait comme une tension mal réglée. Et, surtout, un nouveau son flottait — pas un bruit, mais une **absence de bruit trop précise**.
Au détour d’un axe suspendu, il vit l’impossible :
Une colonne de texte, flottant au-dessus du sol. Haute d’environ deux mètres. Composée de signes mouvants, instables, qui pulsaient lentement comme une respiration. Aucun support. Aucune logique de projection. Le texte n’était pas projeté : il était.
Et à mesure qu’il s’approchait, il comprit :
> C’était le récit.
> Le sien.
Les phrases changeaient au rythme de ses gestes. Chaque clignement, chaque hésitation générait une variation. Il avança encore. Le texte disait maintenant :
> "Il lut cette phrase, et comprit que le chapitre avait commencé sans lui."
Il recula. Le texte resta en suspens, puis s’effaça.
Derrière lui, une silhouette. La femme en obsidienne.
Mais cette fois, elle le regardait.
Et dans ses yeux, il vit — non pas un message — mais **une fonction**.
Elle ouvrit la bouche. Aucun son. Seulement ce mot, inscrit sans voix dans l’air entre eux :
> "Fusion."
Puis elle tourna le dos et disparut.
Il resta là, seul, face à l’espace vide où les mots avaient flotté. Et il sut que Gor venait d’entrer dans une autre phase.
Le récit avait pris conscience de lui-même.
Et l’observateur n’était plus à l’extérieur.