05 septembre 2024

Étonnante jeunesse. Un vieillard deviendrait bête comme ses pieds s’il ne la fréquentait pas. Aujourd’hui, j’ai entendu une analyse très pertinente du Lysis de Platon. La mise en scène, les acteurs, tout était au poil. Et soudain, le grand regret m’a envahi de nouveau : ma béance devant les langues mortes. Quel avantage certain de connaître à la fois le grec ancien, le latin, l’arabe, le sanskrit, essentiellement pour la clarté de l’esprit. Aller à la racine des mots, comme le boucher avec sa lame (qui du coup ne s’use jamais) dans les interstices des os, des muscles, des nerfs, et des mots. Voilà l’art, la discipline, la paix.

Nous devons acheter un tensiomètre. Cela fait bien trois mois. La tension ne faiblit plus. En m’allongeant, c’est comme si un pieu en fer rouillé se plantait dans ma cervelle. Un paratonnerre défectueux qui ne cesse de prendre la foudre. J’ai avalé plus que la dose prescrite de Nicopass. J’en suis à ma deuxième plaquette, entamée en début de soirée. Je ne vois que ça : la tension liée à la nicotine. Ça ne peut être physiologiquement que ça. Pour l’imaginaire ensuite, les possibilités se démultiplient, car l’esprit humain, laissé à lui-même, ne connaît ni bornes ni limites. À l’instar des mythes que nous cultivons depuis l’Antiquité, la pensée contemporaine, souvent incapable de discerner l’essentiel, s’embourbe dans des fictions grotesques. Ainsi, les sombres récits circulent : des gouvernements de pédophiles, des conspirations de faux juifs, des reptiliens dirigeant le monde depuis les coulisses. Et le peuple ? Bras ballants, béats comme des veaux devant l’abattoir, agneaux offerts au sacrifice. Mes cochons ! Sans oublier, bien sûr, TikTok, ce miroir aux alouettes modernes. Une journée là-dessus, et te voilà bon pour Sainte-Anne, interné avec les fous. Ô mes aïeux, quelle chute !

Donc, on en est revenu là. Pire que ce qu’on s’était inventé sur le Moyen Âge, sur l’obscurantisme. C’est à coup sûr ça, le Kali Yuga. Un effondrement par la bêtise, un déluge de sornettes de toutes parts. Personne ne peut être épargné, surtout ceux qui voient la Bête très clairement. Elle n’en fera qu’une bouchée. Et rien ne dit que ça l’étouffera.

Pour en revenir aux langues mortes, en marchant tout à l’heure, toujours dans ce même parc à Saint-Pierre-de-Boeuf, d’un seul coup ce dialogue silencieux avec les arbres, la végétation. Tout ce vert encore, ces ombres et ces lumières. Un moment suspendu. J’en ai ressenti une forte émotion, comme une surprise, un appel. Puis c’est reparti, aussi vite que c’est venu. Une fois l’extase dissipée, je me suis rappelé cette vieille leçon : pour chaque grâce, il faut payer un lourd tribut. Mais tant pis, ça vaut le coup. Puis je me suis demandé si ce n’était pas finalement un peu surfait, tout ce romantisme. Les arbres, le vert, la lumière… Rien de tel qu’une mauvaise sciatique pour te ramener les pieds sur terre. Je me suis remis en marche, en espérant que mes genoux tiendraient le coup. Ensuite, je suis passé à autre chose.

J’aimerais bien prendre une grande toile et la remplir comme je le fais avec ces textes, la laisser se construire ainsi, mettons, sur un nombre de jours défini à l’avance. Si je ne fixe pas de limite, je suis fichu. Il y a une relation avec le fait de rattacher un certain nombre de textes à un mot-clé, comme les côtes à la colonne vertébrale d’un squelette, et de se donner un nombre de jours limité pour laisser faire le hasard ou l’ignorance.

Je reçois cinq sur cinq une parole sans mot ni son ; c’est ainsi que je me console (un peu) de mes carences linguistiques. « Je la reçois » ne signifie pas « je la comprends », bien évidemment. Quel intérêt, d’ailleurs, de vouloir la comprendre ? Il me semble parfois qu’il suffit de s’en souvenir. Exactement comme ce contact intermittent avec l’éternité du présent, avec ce symbole que sont les arbres, la végétation, une toile de Bram Van Velde, l’aridité d’un texte de Beckett, ou l’admiration pour la jeunesse, parfois aussi, intermittente évidemment, intermittente. Mais bon, à force de tout recevoir sans comprendre, on finit par se demander si ce n’est pas juste la flemme déguisée en sagesse. Après tout, c’est plus facile de contempler l’éternité du présent que de comprendre un mode d’emploi Ikea. Entre Beckett et une étagère à monter, l’aridité prend parfois des formes bien moins poétiques. Enfin bref, je me dis que tant qu’on s’en souvient, c’est l’essentiel.

Carnets | septembre 2024

Habiter l’inhabitable

Des chambres d’hôtel. Trop de chambres. Barbès, Château Rouge, Goutte d’Or. Endroits fatigués. Draps humides. Odeur de moisi et de parfums sans nom. Des lieux de passage. Pas faits pour rester. Et pourtant, j’y reviens. L’habitude s’installe. Je reconnais le sol qui grince, les heures de lumière, les cris de la rue. Je sais où poser mes affaires. Ce qui m’avait semblé inhabitable devient vivable. Pas confortable. Vivable. Je me surprends à m’y sentir presque chez moi. L’inhabituel devient un décor. Une routine. Je ne cherche plus à décorer, juste à survivre. Et parfois, au petit matin, une lumière douce. Un silence rare. Quelques secondes d’apaisement. Suffisantes pour tenir. Je ne hais plus ces chambres. J’y dépose des souvenirs sans le vouloir. J’habite sans y croire. Mais j’habite quand même. Et c’est peut-être ça, habiter l’inhabitable. Ne plus fuir. S’adosser à ce qu’on a. Même si c’est gris, froid, temporaire. Parce que dans le pire, on finit par trouver un détail qui retient. Une lueur. Un appui.|couper{180}

Autofiction et Introspection Narration et Expérimentation

Carnets | septembre 2024

24 septembre 2024

Le narrateur revient dans son village d’enfance, un lieu qui porte encore son nom mais a changé au point de devenir méconnaissable. Entre souvenirs enfouis et rencontres inattendues, il tente de comprendre ce qui a disparu.|couper{180}

une image de village en noir et blanc illustrant le texte du billet

Carnets | septembre 2024

22 septembre 2024

Alors que le site se construit, des pensées lancinantes s’invitent : à quoi bon ? Saisir la distance pour revisiter ces fragments comme écrits par un autre, un étranger. Des marches le long du Rhône, la rencontre avec un homme et son caddy brinquebalant, et une mobylette bleue qui ressurgit du passé… Dans ce carnet littéraire, la réalité se mêle à la fiction, explorant ce que l’on traîne en soi, et ce qu’il faudrait peut-être apprendre à lâcher.|couper{180}