Une voix, faible, parvient à quelqu’un couché sur le flanc. 20h, l’été. Être allongé ainsi — rien de remarquable, peut-être. Pourtant, un peu tôt. S’il était 22h, le silence suffirait. S’il était 2h du matin, on pourrait s’en offusquer.

Allongé sur le flanc à 2h du matin ?

On dit 2h, et c’est la nuit. Ça mérite d’être noté.

À cette heure-là, 2 ou 4, à quoi bon distinguer ? Disons-le : après minuit, les choses se délitent.

Et être là, étendu, alors que la lumière traîne encore… cela ne dit pas vraiment le repos. Pas vraiment. Plutôt comme un arbre tombant de biais, sans qu’on sache de quel côté il basculera.

Mieux vaut se décaler. Mieux vaut ne pas chuter avec lui.

Et pourtant, à 20h, on pourrait se demander : pourquoi es-tu là, comme ça ? Toi qui ne t’allonges jamais sans raison. Quelques heures, recroquevillé — en soldat, en fœtus, brièvement — et puis c’est tout.

Quelque part, dans l’un de ces monologues que tu transportes comme compagnie, quelqu’un a parlé de fatigue.

Pas celle qu’on nomme. Celle qui s’insinue en silence. Peau. Chair. Os. La fatigue qui est la peau, qui est l’os.

Au début, tu l’as niée. Tu as dit : c’est pour les autres. Pas moi.

Ce genre de phrase finit rarement bien.

Une fois qu’on dit « les autres », on est déjà dehors. Et pourtant tu as toujours préféré la compagnie. Le « il » ou le « elle », sans poids, sans nom, sans visage. La voix sans odeur, sans rugosité, sans gorge véritable.

« Il », « elle » — mieux que Machine. Mieux que Chose.

Mais eux aussi : peau. Chair. Os. Juste loin. Plus que loin. Mars, à côté, c’est la porte d’à côté.

Alors peut-être qu’allongé comme ça, tu pourrais commencer à penser. Passé. Présent. Futur. Pourquoi ne pas être optimiste ?

Même un mourant peut espérer — à condition que ça ne prenne pas trop de temps.

20h, encore tôt, disent certains. Tard, disent d’autres.

Tu sais combien la compagnie se régale de ces bêtises.

Et soudain cela revient — net, proche, comme si c’était maintenant — ce souvenir : être allongé sur le flanc, sur le sol de la chambre. Une veillée.

C’est assez nouveau pour toi, non ? Tu aimes ce genre de chose. Es-tu à l’aise ?

Le fait est que, lorsqu’on est ainsi allongé, et qu’on regarde un corps étendu — certains réflexes s’installent.

Peut-être que le vrai geste — le grand — serait de se lever. 20h02. Dire : non, pas encore. Attendre.

Il y aura le temps. Le temps de s’allonger à 2h ou 4h. Quelle différence, puisque la nuit vient de toute façon ?

Je ne veux pas être Beckett. Je veux être moi.

Même si ça vacille. Même si ça manque de style.

Je ne veux pas briller. Ce n’est pas le propos.

Je veux me déplier.

Comme des draps restés pliés trop longtemps. Raides. Marqués. Non pour être montrés. Juste pour les étendre. Les lisser un peu.

Voir ce qui s’est pris dans les ourlets.

Ce qui n’a pas été dit — alors que cela aurait dû l’être.

Ou ce qui a refusé, obstinément, d’être jamais dit.

Peut-être que cela ne mène nulle part. Peut-être est-ce le propos.

Aller nulle part — mais le dire. Et que ce « nulle part » soit plein. Parce qu’il aura été dit.

Je ne veux pas une autre voix. Je ne veux pas de masque.

Je veux l’écho. Le bourdonnement.

Le mien, même tremblant. Même hésitant.

Ce qui compte, c’est que ça passe. À travers moi. Juste : que ça passe.

Et si quelque chose parfois sonne comme Beckett, ce n’est pas de l’imitation.

C’est une rencontre. Brève. Comme lorsqu’on aperçoit quelqu’un à une fenêtre et qu’on se demande — était-ce quelqu’un que j’ai connu ?

Ce pourrait être le bon moment.

Pour commencer une sorte d’autobiographie. Petite. Mesurée.

Mais tu ne le fais pas.

Tu retiens.

Tu ne sais pas pourquoi. Peu importe.

Ce qui compte, c’est que, allongé ainsi, la lumière encore présente, tu deviens de plus en plus habile à ne pas entrer.

Pas à ne pas écrire — non. Mais à ne pas pénétrer ce que tu appelles le « réel ».

Ce « réel » que tu portes comme un poids léger. Presque rien. Mais qui te dévie de ta route.

Tu te retiens comme on retient une larme. Elle monte. Elle ne tombe pas.

Comme une main posée sur une porte qu’on n’ouvre jamais.

Tu ne veux pas de confessions. Tu détestes ce mot. Trop proche de la faute. Trop proche du pardon.

Tu ne veux pas d’explications. Que pourraient-elles expliquer ?

Que tu es couché sur le flanc, l’été, à 20h ?

Que tu songes à toutes les choses que tu ne diras pas ?

Tu ne veux pas briller.

Tu veux être exact.

Ou frôler, du moins, une forme précise de silence.

Une vérité qui arrive de biais. Par la retenue. Par l’évitement même.

Pas par refus.

Une manière d’être debout, en étant couché.

Une manière d’être là, sans avancer.

Une manière de rester, sans faire un seul pas.


A voice, faint, reaches someone lying on their side. 8 p.m., summer. Lying like this—nothing remarkable, perhaps. Still, a little early. Had it been ten, silence would suffice. Had it been two a.m., one might object.

Lying on your side at two a.m.?

They say two, and it’s night. That’s worth noting.

At that hour, two or four, what’s the use distinguishing ? Let’s agree—after midnight, things unravel.

And to be down like that while light still lingers... that doesn’t suggest rest. Not really. More like a tree falling sideways, unclear where it’ll land.

Best to step aside. Best not to go with the fall.

Still, at 8 p.m., you might wonder : why are you here, like this ? You, who rarely lie down without a reason. A few hours, curled—soldier-like, fetal, brief—and done.

Somewhere, in one of those monologues you carry for company, someone mentioned fatigue.

Not the kind you name. The kind that slides in quietly. Skin. Flesh. Bone. The fatigue that is skin, is bone.

At first, you denied it. Said : that’s for others. Not me.

That sort of sentence rarely ends well.

Once you say “others,” you’ve already stepped out. And yet you always preferred company. The “he” or “she,” weightless, nameless, faceless. The voice not tied to any scent, any roughness, any real throat.

“He,” “she”—better than Machine. Better than Thing.

But they too : skin. Flesh. Bone. Just far. Farther than far. Mars, by comparison, is next door.

Maybe, then, lying like this, you could start thinking. Past. Present. Future. Why not be optimistic ?

Even a dying man may hope for something—so long as it doesn’t take too long.

8 p.m., still early, say some. Late, say others.

You know how the company delights in such nonsense.

And suddenly it returns—clear, close, as if now—this memory : lying on your side on the bedroom floor. A wake.

That’s new enough for you, isn’t it ? You like that sort of thing. Are you comfortable ?

The thing is, when you lie like this, and look at a body laid out—certain reflexes creep in.

Maybe the real act—the big one—is to rise. 8:02 p.m. Say : no, not yet. Let’s wait.

There will be time. Time to lie down at 2 or 4. What’s the difference, if night is coming anyway ?

I don’t want to be Beckett. I want to be me.

Even if it falters. Even if it lacks style.

I don’t want to shine. That’s not the point.

I want to unfold.

Unfold, as in sheets left folded too long. Stiff. Lined. Not to display. Just to lay it flat. Smooth it some.

See what got caught in the hems.

What remained unsaid—when it should’ve been.

Or what refused, stubbornly, ever to be said.

Maybe it leads nowhere. Maybe that’s the point.

To go nowhere—but say so. And let that “nowhere” be full. Because it was spoken.

I don’t want another voice. I don’t want a mask.

I want the echo. The hum.

My own, even trembling. Even stuttering.

What matters is that it gets through. Through me. Through, full stop.

And if something sometimes sounds like Beckett, it’s not mimicry.

It’s encounter. Brief. As when you glimpse someone in a window and think—was that someone I knew ?

This could be the right moment.

To start a kind of autobiography. Small. Measured.

But you don’t.

You hold back.

You don’t know why. Doesn’t matter.

What matters is, lying like this, light still lingering, you’re getting better and better at not going in.

Not writing—no. But not entering the thing you call “real.”

That “real” you carry like soft weight. Nearly nothing. But which turns you off-course.

You hold back like someone holding back a tear. It rises. It never falls.

Like a hand on a door never pushed open.

You don’t want confessions. You hate the word. Too near guilt. Too near pardon.

You don’t want explanations. What would they explain ?

That you’re lying on your side, summer, 8 p.m.?

That you’re thinking of all the things you won’t say ?

You don’t want to shine.

You want to be exact.

Or brush, at least, a precise kind of silence.

A truth that arrives sideways. Through restraint. Through even avoidance.

Not refusal.

A way to stand, while lying down.

A way to be there without stepping forward.

A way to remain, without a single step.