11 juin 2025

Une voix, faible, parvient à quelqu’un couché sur le flanc. 20h, l’été. Être allongé ainsi — rien de remarquable, peut-être. Pourtant, un peu tôt. S’il était 22h, le silence suffirait. S’il était 2h du matin, on pourrait s’en offusquer.

Allongé sur le flanc à 2h du matin ?

On dit 2h, et c’est la nuit. Ça mérite d’être noté.

À cette heure-là, 2 ou 4, à quoi bon distinguer ? Disons-le : après minuit, les choses se délitent.

Et être là, étendu, alors que la lumière traîne encore… cela ne dit pas vraiment le repos. Pas vraiment. Plutôt comme un arbre tombant de biais, sans qu’on sache de quel côté il basculera.

Mieux vaut se décaler. Mieux vaut ne pas chuter avec lui.

Et pourtant, à 20h, on pourrait se demander : pourquoi es-tu là, comme ça ? Toi qui ne t’allonges jamais sans raison. Quelques heures, recroquevillé — en soldat, en fœtus, brièvement — et puis c’est tout.

Quelque part, dans l’un de ces monologues que tu transportes comme compagnie, quelqu’un a parlé de fatigue.

Pas celle qu’on nomme. Celle qui s’insinue en silence. Peau. Chair. Os. La fatigue qui est la peau, qui est l’os.

Au début, tu l’as niée. Tu as dit : c’est pour les autres. Pas moi.

Ce genre de phrase finit rarement bien.

Une fois qu’on dit « les autres », on est déjà dehors. Et pourtant tu as toujours préféré la compagnie. Le « il » ou le « elle », sans poids, sans nom, sans visage. La voix sans odeur, sans rugosité, sans gorge véritable.

« Il », « elle » — mieux que Machine. Mieux que Chose.

Mais eux aussi : peau. Chair. Os. Juste loin. Plus que loin. Mars, à côté, c’est la porte d’à côté.

Alors peut-être qu’allongé comme ça, tu pourrais commencer à penser. Passé. Présent. Futur. Pourquoi ne pas être optimiste ?

Même un mourant peut espérer — à condition que ça ne prenne pas trop de temps.

20h, encore tôt, disent certains. Tard, disent d’autres.

Tu sais combien la compagnie se régale de ces bêtises.

Et soudain cela revient — net, proche, comme si c’était maintenant — ce souvenir : être allongé sur le flanc, sur le sol de la chambre. Une veillée.

C’est assez nouveau pour toi, non ? Tu aimes ce genre de chose. Es-tu à l’aise ?

Le fait est que, lorsqu’on est ainsi allongé, et qu’on regarde un corps étendu — certains réflexes s’installent.

Peut-être que le vrai geste — le grand — serait de se lever. 20h02. Dire : non, pas encore. Attendre.

Il y aura le temps. Le temps de s’allonger à 2h ou 4h. Quelle différence, puisque la nuit vient de toute façon ?

Je ne veux pas être Beckett. Je veux être moi.

Même si ça vacille. Même si ça manque de style.

Je ne veux pas briller. Ce n’est pas le propos.

Je veux me déplier.

Comme des draps restés pliés trop longtemps. Raides. Marqués. Non pour être montrés. Juste pour les étendre. Les lisser un peu.

Voir ce qui s’est pris dans les ourlets.

Ce qui n’a pas été dit — alors que cela aurait dû l’être.

Ou ce qui a refusé, obstinément, d’être jamais dit.

Peut-être que cela ne mène nulle part. Peut-être est-ce le propos.

Aller nulle part — mais le dire. Et que ce « nulle part » soit plein. Parce qu’il aura été dit.

Je ne veux pas une autre voix. Je ne veux pas de masque.

Je veux l’écho. Le bourdonnement.

Le mien, même tremblant. Même hésitant.

Ce qui compte, c’est que ça passe. À travers moi. Juste : que ça passe.

Et si quelque chose parfois sonne comme Beckett, ce n’est pas de l’imitation.

C’est une rencontre. Brève. Comme lorsqu’on aperçoit quelqu’un à une fenêtre et qu’on se demande — était-ce quelqu’un que j’ai connu ?

Ce pourrait être le bon moment.

Pour commencer une sorte d’autobiographie. Petite. Mesurée.

Mais tu ne le fais pas.

Tu retiens.

Tu ne sais pas pourquoi. Peu importe.

Ce qui compte, c’est que, allongé ainsi, la lumière encore présente, tu deviens de plus en plus habile à ne pas entrer.

Pas à ne pas écrire — non. Mais à ne pas pénétrer ce que tu appelles le « réel ».

Ce « réel » que tu portes comme un poids léger. Presque rien. Mais qui te dévie de ta route.

Tu te retiens comme on retient une larme. Elle monte. Elle ne tombe pas.

Comme une main posée sur une porte qu’on n’ouvre jamais.

Tu ne veux pas de confessions. Tu détestes ce mot. Trop proche de la faute. Trop proche du pardon.

Tu ne veux pas d’explications. Que pourraient-elles expliquer ?

Que tu es couché sur le flanc, l’été, à 20h ?

Que tu songes à toutes les choses que tu ne diras pas ?

Tu ne veux pas briller.

Tu veux être exact.

Ou frôler, du moins, une forme précise de silence.

Une vérité qui arrive de biais. Par la retenue. Par l’évitement même.

Pas par refus.

Une manière d’être debout, en étant couché.

Une manière d’être là, sans avancer.

Une manière de rester, sans faire un seul pas.


A voice, faint, reaches someone lying on their side. 8 p.m., summer. Lying like this—nothing remarkable, perhaps. Still, a little early. Had it been ten, silence would suffice. Had it been two a.m., one might object.

Lying on your side at two a.m.?

They say two, and it’s night. That’s worth noting.

At that hour, two or four, what’s the use distinguishing ? Let’s agree—after midnight, things unravel.

And to be down like that while light still lingers... that doesn’t suggest rest. Not really. More like a tree falling sideways, unclear where it’ll land.

Best to step aside. Best not to go with the fall.

Still, at 8 p.m., you might wonder : why are you here, like this ? You, who rarely lie down without a reason. A few hours, curled—soldier-like, fetal, brief—and done.

Somewhere, in one of those monologues you carry for company, someone mentioned fatigue.

Not the kind you name. The kind that slides in quietly. Skin. Flesh. Bone. The fatigue that is skin, is bone.

At first, you denied it. Said : that’s for others. Not me.

That sort of sentence rarely ends well.

Once you say “others,” you’ve already stepped out. And yet you always preferred company. The “he” or “she,” weightless, nameless, faceless. The voice not tied to any scent, any roughness, any real throat.

“He,” “she”—better than Machine. Better than Thing.

But they too : skin. Flesh. Bone. Just far. Farther than far. Mars, by comparison, is next door.

Maybe, then, lying like this, you could start thinking. Past. Present. Future. Why not be optimistic ?

Even a dying man may hope for something—so long as it doesn’t take too long.

8 p.m., still early, say some. Late, say others.

You know how the company delights in such nonsense.

And suddenly it returns—clear, close, as if now—this memory : lying on your side on the bedroom floor. A wake.

That’s new enough for you, isn’t it ? You like that sort of thing. Are you comfortable ?

The thing is, when you lie like this, and look at a body laid out—certain reflexes creep in.

Maybe the real act—the big one—is to rise. 8:02 p.m. Say : no, not yet. Let’s wait.

There will be time. Time to lie down at 2 or 4. What’s the difference, if night is coming anyway ?

I don’t want to be Beckett. I want to be me.

Even if it falters. Even if it lacks style.

I don’t want to shine. That’s not the point.

I want to unfold.

Unfold, as in sheets left folded too long. Stiff. Lined. Not to display. Just to lay it flat. Smooth it some.

See what got caught in the hems.

What remained unsaid—when it should’ve been.

Or what refused, stubbornly, ever to be said.

Maybe it leads nowhere. Maybe that’s the point.

To go nowhere—but say so. And let that “nowhere” be full. Because it was spoken.

I don’t want another voice. I don’t want a mask.

I want the echo. The hum.

My own, even trembling. Even stuttering.

What matters is that it gets through. Through me. Through, full stop.

And if something sometimes sounds like Beckett, it’s not mimicry.

It’s encounter. Brief. As when you glimpse someone in a window and think—was that someone I knew ?

This could be the right moment.

To start a kind of autobiography. Small. Measured.

But you don’t.

You hold back.

You don’t know why. Doesn’t matter.

What matters is, lying like this, light still lingering, you’re getting better and better at not going in.

Not writing—no. But not entering the thing you call “real.”

That “real” you carry like soft weight. Nearly nothing. But which turns you off-course.

You hold back like someone holding back a tear. It rises. It never falls.

Like a hand on a door never pushed open.

You don’t want confessions. You hate the word. Too near guilt. Too near pardon.

You don’t want explanations. What would they explain ?

That you’re lying on your side, summer, 8 p.m.?

That you’re thinking of all the things you won’t say ?

You don’t want to shine.

You want to be exact.

Or brush, at least, a precise kind of silence.

A truth that arrives sideways. Through restraint. Through even avoidance.

Not refusal.

A way to stand, while lying down.

A way to be there without stepping forward.

A way to remain, without a single step.

Carnets | juin 2025

30 juin 2025

Gros boulot sur le base de données. Renommage de toutes les tables et suppressions de certaines qui semblaient poser problème. Je n'ai pas encore réussi à nettoyer la rubrique import de toutes les balises wp dont sont truffés les articles. Après moult essai et l'importation d'un dernier script, j'envoie un ticket à OVH. J'ai rétrogradé ma version php de manière à être dans les clous avec la version 4.4.4 de SPIP. Bref, accaparé par ces contingences techniques je ne peux pas dire que ce soit une journée palpitante. De gros coups de chaud mais pas dûs aux températures. Demain nous allons à C. S. et moi pour voir E. et l'après-midi rendez vous avec le remplaçant de B. Le tableau est prêt. Nous verrons L. et A. seulement dimanche avec M. et C. Espèrons qu'il leur plaise. Préparation pour affronter Avignon. Avec cette chaleur, j'avoue que je ne me vois pas du tout arpenter la ville. Je prévois d'apporter un carnet à dessin et de me mettre à l'ombre. Petite pluie tout à fait ridicule en fin de journée. pas grand chose d'autre à ajouter. Le mois se termine en queue de poisson on dirait bien.|couper{180}

relevé

Carnets | juin 2025

29 juin 2025

Réveil 3h30. Il faut un petit laps de temps pour que je retire le masque de mon visage. Le temps de visualiser l'enchaînement des gestes. D'abord appuyer sur le bouton off de la machine. Puis retirer l'harnachement de sangles et de lanières. Ne pas oublier de déloger les deux petits pitons de leurs encoches respectives, de chaque côté du morceau de plastique dur. Enfin libéré, se diriger vers l'interrupteur et allumer. Puis démonter la partie souple en contact avec le nez pour se rendre à la salle d'eau et la plonger dans le bol préparé la veille. Mélange d'eau et de savon. Ne pas oublier non plus de vider le réservoir d'eau, de le rincer et de le retourner sur une serviette afin qu'il sèche. Ne reste que le long tuyau rigide à rincer. Eau et savon encore mais au-dessus de la baignoire cette fois. Puis l'accrocher sur l'étendage afin que tout soit de nouveau opérationnel pour la nuit prochaine. Hier vers la mi-journée j'ai achevé la commande de A. et L. J'ai pris une photographie et je la leur ai envoyée. J. arrive vers 12h. Nous prenons un moment pour faire le point sur nos faiblesses, nos obstacles, nos maladies avant de nous mettre à table. Poulet rôti et pommes de terre au four. Nous testons le vin restant dans le cubi. Il est encore correct. Sieste ensuite. Puis nous sortons sous la chaleur, nous prenons la Twingo pour aller chercher la fraîcheur à Saint-Pierre-de-Bœuf. Marche le long de la rivière. Spectacle assuré par les canoteurs. Puis nous avisons un petit établissement. Terrasse ombragée. Café et verre d'eau glacé. Nous restons là à prévoir notre prochain séjour en Avignon. S. nous a trouvé un hébergement à Montfavet. On ira certainement voir la tombe de Camille Claudel. De mon côté je préviens que je ferai cavalier seul. Un programme parallèle qui me dispensera de me jeter dans cette course annuelle et frénétique vers les salles de théâtre. Il doit bien y avoir des choses à visiter autres que des théâtres, dis-je. Nous restons encore un peu puis nous repartons. Les sièges de la Twingo sont bouillants. Nous proposons à J. de dormir à la maison mais il décline. Il prend le train de 8h02 pour Lyon.|couper{180}

relevé

Carnets | juin 2025

28 juin 2025

À droite de l'écran se dresse d'abord un mur vert percé d'une fenêtre grande ouverte en raison de la chaleur que l'on cherche à expulser pour la remplacer par la fraîcheur matinale. Considérations climatiques futiles qui m'auront échappées puisque j'étais parti pour décrire les lieux. Mais j'y reviendrai peut-être. Sur le climat. Donc, nous avons une fenêtre de forme rectangulaire, il est rare par ici de voir des fenêtres carrées. Les rondes ou en losange sont encore plus rares. Ici aussi je crois qu'on pourra se passer de la géométrie. Au-delà de la fenêtre, un mur qui monte jusqu'à une ligne taillée en biseau, et qui est tout simplement le fait souligné d'une ombre encore plus noire que la pénombre. Si l'on veut laisser l'œil s'élever encore on peut avoir un triangle de ciel gris bleu dans la partie supérieure de la fenêtre. Avec peut-être une légère nuance purpurine. Description qui n'est que l'écho d'une page lue ce matin. Ce qui me fait penser à Laurent Mauvignier quand on lui demande quels sont les auteurs qui l'ont inspiré. Il parle de cet écho chez d'autres auteurs d'un quelque chose qu'il cherche à dire. Est-ce cela l'inspiration, je ne sais pas. Peut-être que ça parle de solipsisme prometteur plutôt. Comme si à la lecture on avait franchi un mur. On aurait découvert cette percée, cette fenêtre que j'évoque au début, on passerait par celle-ci et l'on se retrouverait dans un jardin, dans une ville, dans ce que l'on voudra, une bibliothèque. La seule chose dont on ne pourrait plus douter c'est que c'est à soi de s'occuper des lieux. Car pas de jardinier ici, pas d'éboueur pour ramasser les ordures, pas de bibliothécaire pour épousseter les ouvrages, balayer les sols. Tout nous appartiendrait, d'accord. Mais nous serions les seuls responsables à la fois des merveilles qu'on y trouve comme des dégâts qu'on y cause. Une idée fugace passe, laisse-la passer, ne la retiens pas. Patience. Si elle revient une seconde fois note qu'elle se représente avec un léger étonnement. Mais laisse-la passer encore. La troisième fois cependant note-la car il y a de grandes chances qu'elle ne se représente plus. Cet espoir de retrouver goût à la lecture lui tomba dessus comme la grâce. Qu'allait-il en faire lui qui dans chaque espoir décelait déjà les prémisses d'une deception à venir. Donc le mot propriété revient par la bande. C'est à dire que tu lis un livre, tu le lis parfois plusieurs fois, tu t'en imprègnes et à la fin de voici étrangement devenu son propriétaire . Je ne parle pas de placer le livre sur l'étagère de la bibliothèque, évidemment. Je parle de cette sorte d'avidité incroyable au fond de soi qui s'accapare le monde de toutes les manières dont on peut imaginer que le monde se présente à soi. Que ce soit une rue que l'on arpente à période régulière et dont on fait sa familère, comme jadis on parlait de favorite. Que ce soit les fleurs du jardin que l'on arrose le matin pour qu'elles ne dépérissent pas trop vite. Que ce soit les livres que l'on lit et dans lesquels parfois on se reconnaît plus ou moins. L'idée d'être assisté pour respirer. Par une machine. L'agacement soudain s'additionne à la chaleur, se cumule, s'amplifie. Vers 23h j'arrache le masque. C'est à dire que le confort au bout d'un moment m'est tout aussi insupportable que tout le reste. C'est à ce moment, ne parvenant plus à dormir que j'ouvre les Nouvelles Complètes de Conrad, chez Quarto. Je n'avais jamais lu la préface de Jacques Darras. Il évoque la présence de Rimbaud et de Jozef Konrad Korzeniowski au même moment à Marseille, en 1875. Et surtout cet attrait des deux jeunes hommes pour les langues étrangères notamment l'anglais et le français pour le jeune polonais. "L'oreille devient organe majeur, les recherches linguistiques saussuriennes sont proches d'une formulation théorique". Hier encore je m'interrogeai sur l'utilité d'un récit de voyage et aussitôt que je lis ces pages ce sont les noms de lieux qui attirent l'oeil. l'île de Bangka au nord de Sumatra Semarang Singapour et Bornéo Aden Kinshasa Stanley Falls Harar L'hôpital de la Conception à Marseille.|couper{180}

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