En français / in french

C’est pendant la nuit que les voix s’éloignent peu à peu, d’elles-mêmes, comme si elles avaient pris conscience de leur propre insignifiance. Comme blessées par cette reconnaissance de leur inutilité, elles auraient décidé de se taire. Ne laissant plus que l’écho de leurs paroles encore présent dans la chambre, comme une présence qui persiste. Elles se taisent, ne disent rien, mais tout ce qu’elles ont dit, tout ce qu’elles auraient pu continuer à dire reste là, comme une branche morte sur l’arbre des possibles. Une branche morte sur laquelle on ne peut plus espérer voir repousser la moindre pousse nouvelle, une branche qu’on pourrait couper sans remords ni regrets mais qu’on ne décide pas de couper précisément à cause de ces regrets et remords. Une branche morte encore attachée à l’arbre des possibles et qui indique par cette seule présence que toutes les possibilités ne conduisent pas vers un avenir.

La voix qui demeure n’émet pas vraiment de son, mais un flot d’images qui déferlent ; ce pourrait être un flot de larmes si c’était un œil qui ne cligne pas, qui affronte l’obscurité environnante sans nourrir l’espoir d’une clarté. Un œil grand ouvert sur le noir de la nuit, avec pour seule compagnie ses vieilles peurs.

Pendant le rendez-vous avec le médecin à la clinique du sommeil, il y a cette question à un moment : voyez-vous des images avant de vous endormir ? J’ai repensé à ces images avant de répondre que c’étaient des monstres, que c’était l’absurdité la plus absurde déguisée en monstres aux regards froids et figés. C’était très exagéré. C’est comme utiliser la caricature pour atteindre la ressemblance d’un portrait. C’était exagéré, et cette voix qui sortait de ma bouche à cet instant précis inventait au fur et à mesure, parlant de ces choses dont elle ne parle jamais. C’était exagéré parce que c’était un simple questionnaire, un oui ou un non aurait suffi. Pas besoin de décrire tout ça. Mais à cet instant-là, j’ai dû me croire déjà mort, en train de traverser de nouveau le bardo dans le bureau du docteur. Ce genre de choses n’attend pas. Ça vous frappe sans prévenir. Alors on exagère peut-être pour chercher en soi ce qui pourrait encore éveiller la peur. Et moins on la trouve, plus on force l’effet. Heureusement qu’il ne m’écoute pas, me suis-je dit. Car à ce moment précis, j’ai compris qu’une fois encore, je ne parlais qu’à moi-même. Et je me suis arrêté net. J’ai répondu par oui et par non aux autres questions en essayant d’attraper l’écho de ce que je venais de dire, qui avait fini par se coincer contre les murs du bureau, probablement près de la photographie du moai de l’île de Pâques découpée à contre-jour.


en anglais / in english

It’s during the night that the voices gradually pull away, on their own, as if having become aware of their own insignificance. As if wounded by this recognition of their uselessness, they had decided to fall silent. To leave only the echo of their words still present in the room as a kind of lingering presence. They are silent, they say nothing, but everything they said, everything they might have continued to say is still there, like a dead branch on the tree of possibilities. A dead branch on which one can no longer hope to see the slightest new growth return, a branch one could cut without remorse or regret but which one doesn’t decide to cut precisely because of those regrets and remorse. A dead branch that would still be attached to the tree of possibilities and which indicates by this presence alone that not all possibilities lead toward a future. The voice that remains doesn’t really emit sound, but a flow of images that streams forth ; it could be a flood of tears if it were an eye that doesn’t blink, that confronts the darkness surrounding it without nurturing hope for clarity. An eye wide open on the blackness of night with its old fears for company. During the appointment with the doctor at the sleep clinic, at one point there’s this question : do you see images before falling asleep ? I thought back to those images before answering that they were monsters, that it was the most absurd absurdity disguised as monsters with cold, frozen gazes. It was very exaggerated. It’s like using caricature to achieve the likeness of a portrait. It was exaggerated and this voice that emerged from my mouth at that precise moment was inventing as it went along, speaking of these things it never speaks of. It was exaggerated because it was a simple questionnaire, a yes or no would have sufficed. No need to describe all that. But in that instant I must have thought I was already dead, that I was crossing back through the bardo in the doc’s office. That kind of thing doesn’t wait. It hits you out of nowhere. So maybe you exaggerate to search within yourself for what might still awaken fear. And the less you find it, the more you force the effect. Good thing he’s not listening to me, I thought to myself. Because in that instant I understood that once again I was only addressing myself. And I stopped short. I answered yes and no to the rest of the questions while trying to catch the echo of what I had just said, which had ended up stuck against the walls of the office, probably near the photograph of the Easter Island moai silhouetted against the light.

Traduction anglaise réalisée par IA

Illustration La havane 2006 @pblanchon