17 juin 2025
Toujours le 17 mais le 17 vraiment.
La chaleur n’enlève rien à l’agacement. Elle le confit. Il devient mou, gras, onctueux. Donc je disais qu’un petit vent de révolte planait. Je m’en souviens. C’était hier encore. À cause des commentaires. Ce n’est pas la première fois. Je devrais créer un livre avec tout ce que j’ai déjà dit sur le commentaire en général. Il y aurait matière. Mais je ne le ferai pas. Bien sûr que non. Je suis encore bien trop bien élevé pour cela. Bien dressé à dire : « Oh mais tout ça, n’allez pas songer que c’est vrai. » Le fameux « c’était pour rire », vous savez. J’ai dû le sentir passer celui-là, pas qu’une fois. On te jette à terre, ou dans l’eau, ou du haut d’une falaise, et quand tu ressors : « Oh, fais donc pas la gueule, c’était pour rire, allez. » Je résume en une phrase à peine désormais, c’est bien, ça n’en mérite pas plus. Et maintenant s’ajoute à la pitrerie la guerre. Ça devait les démanger. Toute une génération qui ne l’aurait pas connue. On ne pouvait pas mourir tranquille sans au moins avoir assisté à cela. Déjà en 1990 ou 1991, la première guerre du Golfe excitait les cervelles. Même la mienne, c’est pas peu dire. La nuit je faisais des rêves de déserts et de balles traçantes et je me disais qu’esthétiquement ce n’était pas mal. L’esthétisme nous aide beaucoup dans la foirade, je l’ai souvent remarqué. Oh, pas la Joconde, pas Quentin de La Tour, pas même Picasso ni Pollock ni Opalka. Un esthétisme débarrassé de modèle plutôt. Un esthétisme dépouillé — c’est-à-dire de la poésie au final, ce mystère. Mais je ne vais pas faire un cours magistral ce matin. Trop las. Revenons au code. En ce moment j’alterne entre haine du monde, haine de moi, et code. Impression que le code c’est imparable. Pas de tergiversation possible. Ça marche ou ça ne marche pas. C’est la première étape. Ensuite vient l’esthétique. Le problème c’est qu’il faut tout inventer de ce côté-là encore. Enfin moi, je pars de rien. Comme d’habitude. Je crois que si rien n’existait pas, je serais bien embêté, car je ne pourrais jamais partir. Donc je resterais là, accroché à quelque chose. Vous savez, ce quelque chose qui a l’air tangible mais qui dès qu’on l’effleure tombe en poussière. Rien de ce que je peux classer dans la catégorie « quelque chose », voire « quelqu’un », n’est encore là pour me prouver le contraire. Tout ce qui portait cette étiquette s’est effacé, les définitions ont glissé, le dictionnaire n’est plus tout à fait le même. Alors quoi ? À quoi se fier ? Je vous le demande sans vous le demander. Hier soir tout de même, un bon moment. Apéritif chez B.E., à la sortie de Roussillon — là-bas le repère c’est la borne d’incendie. Le rosé était bien frais et claquait sur la langue, mais on s’est contenté de raconter et d’écouter l’accident, le pied coincé dans un rocher en Bretagne. La difficulté de marcher dans le sable. Il y avait aussi de petits morceaux de melon avec du jambon fumé très fin, de petits paquets enroulés sur eux-mêmes, prêts à bondir jusqu’à la bouche au bout d’un pique. Et puis deux chats dont l’un est sourd et qui ne s’entendent plus. Et puis le cerisier au fond du jardin qui allait bien donner jusqu’à ce que les fortes pluies tombent. Et puis c’est dommage parce qu’on aime tous le clafoutis et que c’est un souvenir d’enfance. Et que nous, on gardait les noyaux, tandis qu’eux non. Et de chercher ainsi tout un tas de petits sujets pour confectionner une jolie conversation très anglaise finalement, ou britannique, british. Une conversation somme toute polie, agréable, sans heurt aucun, et où à la fin tout le monde peut se lever et repartir avec cette impression d’avoir passé un bon moment, sans trop savoir pour quelle raison vraiment. Que serait ce monde sans tous les bavardages, les commentaires, sans la musique au creux de tout ce tintamarre ? La question subsiste. C’est ce qui est capital pour parler comme les riches.
Still the 17th but the 17th for real.
The heat doesn’t take away the irritation. It preserves it. Like fruit in syrup. The irritation becomes soft, greasy, unctuous. So I was saying that a little wind of revolt was hovering. I remember that. It was only yesterday. Because of the comments. It’s not the first time. I should create a book with everything I’ve already said about comments in general. There would be material. But I won’t do it. Of course not. I’m still far too well-bred for that. Well-trained to say : "Oh but all that, don’t go thinking it’s true." The famous "it was just a joke," you know. I must have felt that one coming, not just once. They throw you to the ground, or into the water, or off a cliff, and when you surface : "Oh, don’t make that face, it was just a joke, come on." I summarize in barely a sentence now, that’s good, it doesn’t deserve more.
And now war gets added to the clowning. It must have been itching at them. A whole generation that wouldn’t have known it. We couldn’t die in peace without at least having witnessed that. Already in 1990 or 1991, the first Gulf War was exciting brains. Even mine—that’s saying something. At night I would dream of deserts and tracer bullets and I would tell myself that aesthetically it wasn’t bad. Aesthetics helps us a lot in the mess-up, I’ve often noticed. Oh, not the Mona Lisa, not Quentin de La Tour, not even Picasso or Pollock or Opalka. An aesthetics stripped of models rather. A stripped-down aesthetics—that is, poetry in the end, that mystery.
But I’m not going to give a lecture this morning. Too weary.
Let’s get back to code. Right now I’m alternating between hatred of the world, hatred of myself, and code. Impression that code is foolproof. No room for prevarication. It works or it doesn’t work. That’s the first step. Then comes aesthetics. The problem is that I have to invent everything on that side too. Well, I start from nothing. As usual. I think that if nothing didn’t exist, I’d be pretty embarrassed, because I could never leave. So I’d stay there, clinging to something. You know, that something that seems tangible but that the moment you brush against it turns to dust.
Nothing that I can classify in the category "something," or even "someone," is still there to prove me wrong. Everything that bore that label has been erased, the definitions have slipped, the dictionary is no longer quite the same. So what ? What to trust ? I’m asking you without asking you.
Last night all the same, a good time. Drinks at B.E.’s, at the edge of Roussillon—over there the landmark is the fire hydrant. The rosé was nice and cold and snapped on the tongue, but we contented ourselves with telling and listening about the accident, the foot caught in a rock in Brittany. The difficulty of walking in sand. There were also little pieces of melon with very thin smoked ham, little packages rolled up on themselves, ready to spring to your mouth at the end of a toothpick. And then two cats, one of which is deaf and who don’t get along anymore. And then the cherry tree at the back of the garden that was going to produce well until the heavy rains came. And then it’s a shame because we all love clafoutis and it’s a childhood memory. And we used to keep the pits while they don’t.
And searching like that for a whole bunch of little subjects to make a pretty conversation, very English in the end, or British, British. A conversation all in all polite, pleasant, without any friction, and where in the end everyone can get up and leave with that impression of having had a good time, without really knowing why.
What would this world be without all the chatter, the comments, without the music in the hollow of all that racket ? The question remains. That’s what’s essential for talking like the rich.
Pour continuer
Carnets | juin 2025
30 juin 2025
Gros boulot sur le base de données. Renommage de toutes les tables et suppressions de certaines qui semblaient poser problème. Je n'ai pas encore réussi à nettoyer la rubrique import de toutes les balises wp dont sont truffés les articles. Après moult essai et l'importation d'un dernier script, j'envoie un ticket à OVH. J'ai rétrogradé ma version php de manière à être dans les clous avec la version 4.4.4 de SPIP. Bref, accaparé par ces contingences techniques je ne peux pas dire que ce soit une journée palpitante. De gros coups de chaud mais pas dûs aux températures. Demain nous allons à C. S. et moi pour voir E. et l'après-midi rendez vous avec le remplaçant de B. Le tableau est prêt. Nous verrons L. et A. seulement dimanche avec M. et C. Espèrons qu'il leur plaise. Préparation pour affronter Avignon. Avec cette chaleur, j'avoue que je ne me vois pas du tout arpenter la ville. Je prévois d'apporter un carnet à dessin et de me mettre à l'ombre. Petite pluie tout à fait ridicule en fin de journée. pas grand chose d'autre à ajouter. Le mois se termine en queue de poisson on dirait bien.|couper{180}
Carnets | juin 2025
29 juin 2025
Réveil 3h30. Il faut un petit laps de temps pour que je retire le masque de mon visage. Le temps de visualiser l'enchaînement des gestes. D'abord appuyer sur le bouton off de la machine. Puis retirer l'harnachement de sangles et de lanières. Ne pas oublier de déloger les deux petits pitons de leurs encoches respectives, de chaque côté du morceau de plastique dur. Enfin libéré, se diriger vers l'interrupteur et allumer. Puis démonter la partie souple en contact avec le nez pour se rendre à la salle d'eau et la plonger dans le bol préparé la veille. Mélange d'eau et de savon. Ne pas oublier non plus de vider le réservoir d'eau, de le rincer et de le retourner sur une serviette afin qu'il sèche. Ne reste que le long tuyau rigide à rincer. Eau et savon encore mais au-dessus de la baignoire cette fois. Puis l'accrocher sur l'étendage afin que tout soit de nouveau opérationnel pour la nuit prochaine. Hier vers la mi-journée j'ai achevé la commande de A. et L. J'ai pris une photographie et je la leur ai envoyée. J. arrive vers 12h. Nous prenons un moment pour faire le point sur nos faiblesses, nos obstacles, nos maladies avant de nous mettre à table. Poulet rôti et pommes de terre au four. Nous testons le vin restant dans le cubi. Il est encore correct. Sieste ensuite. Puis nous sortons sous la chaleur, nous prenons la Twingo pour aller chercher la fraîcheur à Saint-Pierre-de-Bœuf. Marche le long de la rivière. Spectacle assuré par les canoteurs. Puis nous avisons un petit établissement. Terrasse ombragée. Café et verre d'eau glacé. Nous restons là à prévoir notre prochain séjour en Avignon. S. nous a trouvé un hébergement à Montfavet. On ira certainement voir la tombe de Camille Claudel. De mon côté je préviens que je ferai cavalier seul. Un programme parallèle qui me dispensera de me jeter dans cette course annuelle et frénétique vers les salles de théâtre. Il doit bien y avoir des choses à visiter autres que des théâtres, dis-je. Nous restons encore un peu puis nous repartons. Les sièges de la Twingo sont bouillants. Nous proposons à J. de dormir à la maison mais il décline. Il prend le train de 8h02 pour Lyon.|couper{180}
Carnets | juin 2025
28 juin 2025
À droite de l'écran se dresse d'abord un mur vert percé d'une fenêtre grande ouverte en raison de la chaleur que l'on cherche à expulser pour la remplacer par la fraîcheur matinale. Considérations climatiques futiles qui m'auront échappées puisque j'étais parti pour décrire les lieux. Mais j'y reviendrai peut-être. Sur le climat. Donc, nous avons une fenêtre de forme rectangulaire, il est rare par ici de voir des fenêtres carrées. Les rondes ou en losange sont encore plus rares. Ici aussi je crois qu'on pourra se passer de la géométrie. Au-delà de la fenêtre, un mur qui monte jusqu'à une ligne taillée en biseau, et qui est tout simplement le fait souligné d'une ombre encore plus noire que la pénombre. Si l'on veut laisser l'œil s'élever encore on peut avoir un triangle de ciel gris bleu dans la partie supérieure de la fenêtre. Avec peut-être une légère nuance purpurine. Description qui n'est que l'écho d'une page lue ce matin. Ce qui me fait penser à Laurent Mauvignier quand on lui demande quels sont les auteurs qui l'ont inspiré. Il parle de cet écho chez d'autres auteurs d'un quelque chose qu'il cherche à dire. Est-ce cela l'inspiration, je ne sais pas. Peut-être que ça parle de solipsisme prometteur plutôt. Comme si à la lecture on avait franchi un mur. On aurait découvert cette percée, cette fenêtre que j'évoque au début, on passerait par celle-ci et l'on se retrouverait dans un jardin, dans une ville, dans ce que l'on voudra, une bibliothèque. La seule chose dont on ne pourrait plus douter c'est que c'est à soi de s'occuper des lieux. Car pas de jardinier ici, pas d'éboueur pour ramasser les ordures, pas de bibliothécaire pour épousseter les ouvrages, balayer les sols. Tout nous appartiendrait, d'accord. Mais nous serions les seuls responsables à la fois des merveilles qu'on y trouve comme des dégâts qu'on y cause. Une idée fugace passe, laisse-la passer, ne la retiens pas. Patience. Si elle revient une seconde fois note qu'elle se représente avec un léger étonnement. Mais laisse-la passer encore. La troisième fois cependant note-la car il y a de grandes chances qu'elle ne se représente plus. Cet espoir de retrouver goût à la lecture lui tomba dessus comme la grâce. Qu'allait-il en faire lui qui dans chaque espoir décelait déjà les prémisses d'une deception à venir. Donc le mot propriété revient par la bande. C'est à dire que tu lis un livre, tu le lis parfois plusieurs fois, tu t'en imprègnes et à la fin de voici étrangement devenu son propriétaire . Je ne parle pas de placer le livre sur l'étagère de la bibliothèque, évidemment. Je parle de cette sorte d'avidité incroyable au fond de soi qui s'accapare le monde de toutes les manières dont on peut imaginer que le monde se présente à soi. Que ce soit une rue que l'on arpente à période régulière et dont on fait sa familère, comme jadis on parlait de favorite. Que ce soit les fleurs du jardin que l'on arrose le matin pour qu'elles ne dépérissent pas trop vite. Que ce soit les livres que l'on lit et dans lesquels parfois on se reconnaît plus ou moins. L'idée d'être assisté pour respirer. Par une machine. L'agacement soudain s'additionne à la chaleur, se cumule, s'amplifie. Vers 23h j'arrache le masque. C'est à dire que le confort au bout d'un moment m'est tout aussi insupportable que tout le reste. C'est à ce moment, ne parvenant plus à dormir que j'ouvre les Nouvelles Complètes de Conrad, chez Quarto. Je n'avais jamais lu la préface de Jacques Darras. Il évoque la présence de Rimbaud et de Jozef Konrad Korzeniowski au même moment à Marseille, en 1875. Et surtout cet attrait des deux jeunes hommes pour les langues étrangères notamment l'anglais et le français pour le jeune polonais. "L'oreille devient organe majeur, les recherches linguistiques saussuriennes sont proches d'une formulation théorique". Hier encore je m'interrogeai sur l'utilité d'un récit de voyage et aussitôt que je lis ces pages ce sont les noms de lieux qui attirent l'oeil. l'île de Bangka au nord de Sumatra Semarang Singapour et Bornéo Aden Kinshasa Stanley Falls Harar L'hôpital de la Conception à Marseille.|couper{180}
