Est-ce de la paresse de ne pas en parler, de ne rien écrire ici à ce sujet ? Le voyage à Paris effectué il y a maintenant deux semaines. La veille, nous avions dormi chez C., à la Croix-Rousse. Puis, nous sommes partis tôt le dimanche matin, hésitant entre bus et métro pour nous rendre à La Part-Dieu, au train, comme disent les provinciaux. Il bruinait et nous vîmes les débuts d’installation du marché le long du boulevard.
Dans le train, lecture de Mourir de Houellebecq, une seconde lecture car je m’imaginais l’avoir lu trop vite. C’est assez court, mais il ne me laisse finalement que peu d’impressions. Peut-être ensuite un retour aux Contrées du Rêve de Lovecraft, pour contrebalancer un malaise indéfinissable. Et puis s’assoupir enfin. S’extraire.
Arrivés à Paris, temps assez maussade puis cette marche depuis la gare de Lyon jusqu’au Louvre, en passant par la Bastille, l’ancien quartier, par la rue Saint-Antoine qui devient Rivoli. Ils ont complètement transformé la place. On peut s’approcher de la colonne désormais. Et revoir l’immeuble, les fenêtres où nous vivions. Peut-être que ça ne peut pas sortir, et voilà tout. En tout cas, sensation assez nette d’être étranger à la ville désormais. Ce n’est plus du tout celle que je pensais avoir connue. Pensée de vieillard. Ai-je vraiment connu Paris ? Une cartographie totalement imaginaire si j’y repense. Ce serait intéressant d’aller fouiller dans les vieux journaux, les vieux cahiers des années 80 pour voir à quel point ce que je disais de la ville était déjà une parfaite invention, une fiction.
Vers l’heure de déjeuner, un bistrot étrange, quasi vide, autant que roumain, ce qui est bien étonnant à côté de Beaubourg, juste en face de la fontaine de Tinguely. Prix dérisoire, très épatant aussi.
Au bout du compte, j’ai le même problème avec la photographie qu’avec les mots, la peinture, tout. C’est toujours beaucoup trop. Pléthorique ou excessif. L’embarras du choix.
Cette nuit, comme ces dernières, des pensées, des images, provenant d’une zone sans doute parmi les plus noires de la cervelle. Aucun espoir. Comme si le fait de me rendre compte progressivement, jour après jour, que la vie était passée, qu’il n’y a pas de pièce à y remettre. Et au bout du compte, l’aventure encore de se laisser glisser dans cette obscurité-là. Comme beaucoup de monde actuellement, sans même nous en rendre toujours bien compte. Cette histoire d’arc républicain — qui comprend ou non le R.N, et avec lequel on minaude, on trafique pour savoir si oui ou non on en est ou pas — est un scandale de plus à ajouter à la longue suite d’avanies de ce gouvernement. Vous les entendez — pour reprendre un titre de Sarraute, ces bruits de bottes accompagnant toute la chienlit guerrière de ce minable exécutif. Et ce foutage de gueule permanent, insupportable, que l’on supporte encore, jusqu’à quand ? Comment aussi la façon de laisser pourrir les situations est tout à fait typique d’un style de management. Ces gens sont des comptables, des employés à la solde. Cadres défaillants d’un système en train de crever qui veut tout emporter avec lui dans sa chute.
Et puis, est-ce bien sérieux qu’un ministre de l’Intérieur condamne publiquement l’expression malencontreuse d’un imam, le menaçant d’expulsion après qu’il eut traité le drapeau français de satanique ? Franchement, ne se croirait-on pas dans Ubu de Jarry ? La phrase de Voltaire me revenant tout à coup qui dit : je me battrai jusqu’à la mort pour qu’en France vous puissiez dire ce que vous avez à dire, même si je ne suis pas d’accord avec vous. À moins que ce ne soit justement Voltaire la caricature soudain. Catastrophe collatérale due à la fabrique de l’ignorance de ces cinquante dernières années. Plus aucune certitude. Rien que des opinions. Au fait extraordinaire que désormais chacun peut dire son opinion à condition que cette opinion soit présente dans la liste à puce des réponses préformatées du sondage perpétuel. La question ouverte est bannie.
Écrire ce genre de choses méritera bien sûr — tôt ou tard — une sanction. Mais j’en suis rendu à un tel point de fatigue que ça ne me fait plus rien d’y penser. Même avoir peur serait une chance. La seule liberté, ce reliquat, étant de s’essayer à conserver le courage de dire encore le plus clairement possible ce que l’on pense. Chacun son quoiqu’il en coûte.
Puis me reprenant, relisant, tout ce que je dis n’est que coup d’épée dans l’eau bien sûr, ça ne sert à rien, c’est superflu. Nous sommes tous au courant. J’allais dire impuissants. Tant que nous nous sentons seuls face au désastre.