Pas grand-chose à dire, mais il faut le dire. L’injonction, d’où sort-elle. D’un contrat, d’une règle, d’un verset, peut-être même d’un rêve. Ce rêve où tout cela existe : fabriquer de la pression, de l’oppression. Pas grand-chose à dire sur tout ça, en fait. Parce qu’on n’y pense pas. Parce qu’on ne veut pas y penser. Mais si on s’y mettait vraiment, si on creusait dans ce "pas grand-chose", alors peut-être que ça deviendrait quelque chose. Une résistance. Une résistance à cette foutue injonction de toujours devoir dire quelque chose.
Et ça marche dans les deux sens.
Tu as tellement à dire. Qui te dit ça . Qui te fait croire que tu as tellement à dire. Et pourquoi. À quelle date précisément. Te souviens-tu. Quelle heure était-il. Qu’avais-tu mangé ce matin-là. Avais-tu bien dormi ou mal dormi. Était-ce un jour où tu étais amoureux. Cocu. Sous-payé. Pétant dans la soie ?
C’est toujours comme ça que ça commence. Quand on est jeune. On pousse les meubles dans la chambre pour voir si ce n’est pas une prison. Ou si cette prison, aménagée autrement, pourrait devenir vivable.
On monte à l’assaut des poncifs, en général ou en troufion. Dire ou ne pas dire. Où est la gloire là-dedans ? La vraie gloire. On oscille entre deux pôles : trop ou pas assez. On pourrait même prendre la pose : écrire qu’on n’a rien à dire, se taire parce qu’on aurait trop à dire.
Et puis il y a les gros mots qui montent à la gorge, comme dans un vieux film japonais. Kobayashi peut-être, ou un autre de cette trempe-là. Un vieux bonhomme silencieux qui prépare le thé pour son seigneur nippon avec une servilité parfaite : prison polie comme un miroir. Il ne dit jamais rien, ce vieux bonhomme. Jusqu’à la fin.
Et là : « Merde, tu n’es qu’un gros con de seigneur nippon. »
Parce que c’est ça, non. Toute une vie exploitée dans des cadres rigides, où la seule issue était l’attention portée au frémissement de l’eau ; à la quantité exacte de thé versée dans une théière ; au silence drapé autour de soi pour ne heurter personne.
Gros con de seigneur nippon !
Mais après ça, je ne sauterai pas du haut d’une falaise ni du Mont Fuji. Pas même d’un escabeau. Non, je rigolerai. Je rigolerai de toute cette farce absurde et grotesque. Parce que le rire, c’est l’interstice. C’est le trou par où passe l’air ; la fissure qui relie les bouts épars : le « je n’ai rien à dire » et le « je vais tout te dire ».
Mais je dis ça comme ça. Évidemment je ne dis rien.