Les souvenirs d’été s’effacent, l’automne arrive d’abord dans la tête avant les feuilles qui rougissent ; Béziers–Lyon d’un trait pour être à l’heure au train et récupérer les enfants, puis la pluie de consignes : ne pas parler du poids, ne pas revenir sur les vacances ratées, éviter ce qui blesse ; je note, j’ajuste, j’entends moins, en septembre ORL, peut-être un appareil ; en rentrant, une dent a lâché sur une tranche de pain de mie, sec, net ; S. a retiré la grande planche qui masquait l’entrée de la cave, j’ai déplacé deux palettes, passé le jet, odeur de terre humide, courant d’air frais ; pour la paix du foyer, ils iront au centre social cette semaine, on les dépose le matin, je les reprends à pied le soir ; l’aîné a le tranchant de ses douze ans, je pèse mes mots ; écouter mieux pour écrire plus juste : j’imprime deux cents flyers et je ferai le tour des boîtes aux lettres, plus d’association pour l’instant, les cours en ligne restent en réserve ; je compte serré, S. m’a recadré sur le prix du centre aéré, message reçu ; je peins quand je peux, l’acrylique pour les cours, l’huile quand ce sera possible ; cette nuit, sommeil léger malgré le masque, j’avance le café à midi ; je lis J. O., j’en prends la lumière sans me comparer ; au petit matin, dans un rêve érotique, j’ai aligné des prétextes, des images, des gestes ; au réveil, je me suis repris — en rêve, le corps se moque de l’âge, il dit sa vérité ; un instant, l’envie de refermer les yeux pour relancer le rêve, le même mouvement que de m’asseoir devant l’écran et rouvrir la page ; Au matin, en allant nourrir la chatte, je reste un moment devant l’ouverture de la cave, la maison tient une note basse, masque qui bourdonne, je règle mon oreille dessus.


Il reste une insatisfaction, une impression d’avoir frôlé quelque chose sans parvenir à l’atteindre. Je pourrais la situer dans cette phrase, comme dans une balise : « un instant, l’envie de refermer les yeux pour relancer le rêve, le même mouvement que de m’asseoir devant l’écran et rouvrir la page ». Cette proximité entre rêver et écrire, ce glissement d’un état à l’autre, ce sont des gestes qui cherchent la même intensité, une forme d’immersion sans retour. Mais je n’ose pas encore. Je contourne. J’interprète. Je rumine, comme si aller au bout me confronterait à quelque chose de trop net. Fermer les yeux et aller le plus loin possible dans le rêve : est-ce simplement une jouissance que je poursuis ? Une sensation charnelle, isolée, presque misérable ? Ou est-ce que ce que je redoute, c’est ce qui attend derrière ? L’écriture, c’est la même chose. Si je m’abandonne vraiment, si j’ouvre les vannes, que vais-je croiser ? Pas une vérité objective, mais une rencontre. Et cette rencontre me fait peur. Pas parce qu’elle serait horrible, mais parce qu’elle serait peut-être indiscutable. Parce qu’elle exigerait quelque chose. Je pense à ces vieux récits, ces contes oubliés où un dragon immonde protège un trésor. Ce n’est pas une image. C’est une carte. Là où il y a ce qui me répugne ou me terrifie, il y a aussi ce que je cherche. Et si je veux atteindre quoi que ce soit, il faut cesser de tourner autour. Il faut me jeter à l’eau, écrire sans me surveiller, sans mesurer. Le discernement viendra après. Toujours après. Le texte, comme le rêve, ne demande pas d’être jugé d’avance. Il demande d’être traversé.