Au départ, l’idée était simple. Écrire, publier, recommencer. Un texte par jour, sans ambition particulière, avec une certaine régularité. Ça tenait plus du réflexe que du projet. Je mettais une date en titre, parce que c’était le plus rapide. Et aussi, peut-être, pour ne pas avoir à nommer ce que j’écrivais. Je ne pensais pas que ça finirait par me coincer.

Je croyais que les textes passeraient. Qu’ils rempliraient la page du jour, puis s’en iraient. Mais non. Ils s’accumulent. Ils reviennent. Ils me regardent. Certains s’effacent sans bruit, d’autres réclament qu’on s’en occupe. Je ne sais pas exactement pourquoi je reviens vers eux. Peut-être parce que le site ne les oublie pas. Peut-être parce que je suis plus lent que prévu.

Ce qui est sûr, c’est que je me suis mis à les reprendre. Pas tous, mais une bonne part. Certains changent peu. D’autres sont retravaillés plus franchement. Mais tous passent par un moment de doute. Je les relis avec un mélange de gêne et de curiosité. C’est comme écouter sa propre voix sur un enregistrement trop ancien. Il y a des surprises.

J’ai fini par comprendre que le site, tel que je l’avais conçu, n’était pas un journal. Ni un blog, ni un livre. Plutôt un entrepôt. Un hangar avec des étagères. Ou une gare désaffectée. On y circule librement, mais certains wagons ont l’air de n’avoir pas bougé depuis des mois. Et pourtant, parfois, une vibration se fait sentir. Un texte se remet en route.

Ce serait plus simple si les titres n’étaient pas des dates. On pourrait les republier sans y penser. Mais là, non. Le titre lui-même vous rappelle que ce texte vient d’ailleurs. Qu’il a déjà été. Et même si je le modifie, le rephrase, le resserre, il continue de porter cette empreinte d’origine. Comme une date de fabrication sur un emballage. On peut essayer de la gratter, mais elle reste lisible.

Je me suis aussi demandé si je risquais de me plagier. C’est une idée étrange, de se voler soi-même. Mais c’est ce qui arrive quand on importe 1500 textes depuis un ancien site, et qu’on veut les retravailler sans tout recommencer. Ce n’est pas de la triche, pas vraiment. Plutôt une forme d’obstination. Ou de paresse organisée.

Il y a aussi la question des réseaux sociaux. Faut-il publier un bouton "Partager sur Mastodon" ? Copier manuellement chaque lien ? Écrire un petit résumé pour X, Seenthis, ailleurs ? L’idée me traverse régulièrement. Puis je la laisse passer. Les réseaux sont trop rapides. Mon site est lent. C’est presque un principe.

Aujourd’hui encore, j’ai failli insérer un lien automatique à la fin de l’article. Il aurait permis à quiconque de partager le texte en un clic. J’ai testé. Le lien s’affiche bien, mais l’image ne se charge pas. Le texte non plus. Ça m’a découragé. Je l’ai retiré aussitôt.

Tout ça m’a ramené à une scène très concrète : ce matin, nous avons sorti la tête et le pied du lit conjugal. Deux pièces en bois massif que j’avais laissées dans la chambre d’amis depuis l’arrivée du nouveau lit, il y a plusieurs mois. L. et A. sont venus passer le week-end. J’en ai profité pour leur demander un coup de main. L’idée, au départ, c’était de les scier sur place. Des meubles devenus inutiles, qu’on n’avait pas le courage de jeter. Puis, en les déplaçant, j’ai commencé à réfléchir à autre chose. Des planches. Des étagères. Un usage secondaire.

Je suis mauvais bricoleur, mais très lent à jeter. J’ai ce rapport un peu ambigu aux choses. Comme avec les textes. J’ai besoin de les revoir avant de m’en séparer. Même s’ils ne servent plus. Même s’ils sont devenus caducs. Peut-être que je leur reconnais une forme de présence. Ou simplement une inertie qui me ressemble.

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