27 mai 2025/Everything’s Already Replaced
Le présent impose une pression constante. Je le sens. On ne voit plus les lointains. Tout se plaque, tout se confond. Le plan moyen, déjà, file vers l’arrière. Comme s’il refusait de s’installer. Comment garder la profondeur ? Comment ne pas devenir ce corps collé à la vitre, cette conscience sans arrière-plan ? Ces derniers temps, j’ai l’impression étrange que le présent s’accélère. Comme une spirale qui s’auto-alimente. On appelle ça « maintenant », mais ça n’a plus rien de stable. On ne sait même plus ce qui vient d’arriver. Tout est déjà remplacé.
C’était étrange. ça ressemblait à première vue à un rêve, un rêve gris, ceux dont j’ai l’habitude. Je pourrais même serrer la main à tous les personnages de ces rêves ternes, comme si j’étais de retour chez moi. La luminosité des lieux surtout provoque cette familiarité. Ce n’est pas qu’elle soit triste, elle ne crée pas d’ombre, aucun contraste, les tons sont savamment proches pour se défier de tout contraste. Parfois quand je reviens ici je me dis ça doit être mon pays.
Sauf que cette nuit j’ai erraflé un mur et j’ai vu la couche de cendres et de saleté s’effacer dans un sillon, il y avait au fond de la blessure une autre luminosité, quelque chose de rouge or si ma mémoire est bonne. Une couleur que même durant mon existence diurne je n’avais jamais vu si intense. J’ai su tout de suite que j’avais sans le vouloir enfreint quelque chose. Alors j’ai frotté autour de la fissure pour la combler. Pour qu’on ne sache pas. Mais la tête des ombres que je rencontre désormais,leurs têtes aux yeux vides me regardent. Je ne peux savoir si leur regard l’est véritablement, accusateur. Leurs orbites sont vides de regard. Et pourtant toutes ces têtes sont dirigées vers moi. A cet instant je me dis que je pourrais me réveiller, revenir dans la chambre, dans le lit, mais quelque chose me dit que ce sera la même chose. S commence à ne plus avoir de regard autre que ces deux trous sombres. Quand elle me parle j’ai la sensation d’entendre un programme répéter toujours les mêmes injonctions. Le chat lui même ne parait plus si normal si mignon. On dirait un estomac sur pattes qui ne pense qu’à bouffer. Je conserve cependant la possibilité de me réveiller d’un rêve à l’autre. Ce que j’emploie assez maladroitement. Il me faudrait dans cette affaire voir surgir un de ces objets insolites, un allié qui change la donne. Qui crée de la nouveauté. Qui rompt ce phénomène affreux de répétition. Encore qu’affreux m’échappe par réflexe, ennuyeux est plus adapté.
La porte, l’issue, le mensonge qui dit un peu plus la vérité que les pseudo vérités. Ils n’ont pas l’air d’en faire grand cas. Parfois j’ouvrirais la fenêtre de la rue et je crierais bien " Oyez Oyez ne sentez-vous donc pas que quelque chose vous suce la moelle". J’aurais l’air d’un fou évidemment. Ces gens là croient au pape. Il fallait voir le monde sur la place Saint Pierre. Le grand suceur de sève avec sa mitre et son bâton se pointe sur le balcon et boum faut voir l’hystérie. Pareil sur les scènes de spectacle. Il faut juste un catalyseur. Une star. Comme il faut une flèche aux cathédrales. Ensuite on te secoue tout ça d’effusions, de vibrations énergétiques, le casse-croûte des vampires est prèt. Et tous collaborent depuis la nuit des temps.
The present applies constant pressure. I feel it. No more distance. Everything flattens. Collapses. The middle ground flees, won’t settle. No depth left. Just a body stuck to the glass. A mind with no backdrop. Lately, the present speeds up strangely. Feeds itself. We call it “now,” but there’s nothing stable in it. You can’t even tell what just happened. Already overwritten.
It felt strange. Like a dream, at first glance. A grey one. The usual kind. I could shake hands with every character there, like I was home. It’s the light, mainly. Not sad, no shadows, no contrast. All shades close, polite, neutral. Sometimes, when I return, I think : maybe this is my country.
But last night, I scraped a wall. The grime, the ash flaked off in a clean stroke. And there, beneath the wound, another kind of light. Red-gold, I think. A color I’d never seen, not even awake. I knew I’d broken something. By mistake. I rubbed around the crack, tried to erase it. Hide it.
But now the shadows stare. Thin faces. Empty eyes. I can’t tell if they judge me. They have no gaze. Just holes. And yet they all face me.
I tell myself I could wake up. Back to the bed, the room. But something says it’ll be the same. S begins to lose her eyes too. Just two dark pits. When she speaks, it’s a loop. A program repeating itself. Even the cat isn’t cute anymore. Just a stomach on legs. Wants to feed. Nothing else.
Still, I can jump between dreams. I do it badly, but I do. What I need is an odd object. A breach. A helper. Something new. Something to break this loop. Though “awful” feels wrong. “Tedious” fits better.
The exit. The lie that tells more truth than the truths. They don’t seem to care. Sometimes I want to open the window and shout, “Hear ye, hear ye, don’t you feel something chewing at your marrow ?” I’d look mad, of course. These people still believe in popes.
You should’ve seen the square at St. Peter’s. The big sap-sucker with his hat and staff pops out on the balcony and boom — hysteria. Same at concerts. All it takes is a catalyst. A star. Like a spire on a cathedral. Then it’s all flowing. Energies. Transports. The vampire buffet’s ready. And they all help. They’ve always helped. Since the beginning.
Pour continuer
Carnets | mai 2025
31 mai 2025
Mai s'achève sur un constat bancal. Trop de code, pas assez de mots. Encore moins de couleurs sur la toile. L'équation ne tient pas. Ce qui frappe, c'est cette solitude technique. Personne à qui demander. Alors on cherche, on bricole, on plante, on recommence. Peut-être que l'argent n'explique pas tout. Peut-être que j'aime buter contre les choses, m'y cogner le crâne jusqu'à l'éclatement. Ça vaut pour tout : le bricolage du dimanche, l'administratif qui colle aux doigts comme une mélasse hostile, les recettes ratées, le développement qui résiste, les cartes routières qui mentent, les livres qui refusent l'ordre qu'on voudrait leur imposer. Et derrière cette résistance du monde, cette inertie des choses, plane toujours le fantasme du définitif. Le résultat final, immuable, parfait. Sauf que seule la mort tient ses promesses. Le reste flotte, instable, perpétuellement. Cette instabilité ne m'effraie plus vraiment. Je crois y avoir toujours baigné, comme dans un liquide amniotique qui n'aurait jamais voulu se rompre. Ni joie ni plainte. Juste cet état de fait. Mes rêves de grandeur ? Évaporés ou presque. Grand peintre, grand écrivain, grand photographe, grand quelque chose – tout ça s'est dilué. Pourtant, il suffit parfois de s'illusionner suffisamment pour le devenir, grand. Ça demande une naïveté d'enfant, du premier degré pur. Puis vient l'autre naïveté, celle du second degré, qui surgit après les années de lucidité supposée. C'est elle qui me pousse à écrire exactement ce que je viens d'écrire. May ends on a lopsided assessment. Too much code, not enough words. Even fewer colors on canvas. The equation doesn't hold. What strikes me is this technical solitude. No one to ask. So you search, you tinker, you crash, you start over. Maybe money doesn't explain everything. Maybe I like bumping against things, banging my skull against them until it cracks. This applies to everything : Sunday DIY projects, administrative tasks that stick to your fingers like hostile molasses, failed recipes, resistant development, lying road maps, books that refuse the order you'd like to impose on them. And behind this resistance of the world, this inertia of things, always looms the fantasy of the definitive. The final result, immutable, perfect. Except only death keeps its promises. Everything else floats, unstable, perpetually. This instability doesn't really frighten me anymore. I think I've always bathed in it, like in amniotic fluid that never wanted to break. Neither joy nor complaint. Just this state of fact. My dreams of greatness ? Evaporated or almost. Great painter, great writer, great photographer, great something – all of that has dissolved. Yet sometimes it's enough to delude yourself sufficiently to become it, great. It requires a child's naïveté, pure first degree. Then comes the other naïveté, that of the second degree, which emerges after years of supposed lucidity. It's the one that pushes me to write exactly what I just wrote.|couper{180}
Carnets | mai 2025
30 mai 2025
Installer une IA locale. Pourquoi pas. Elle trierait, classerait, rangerait mes dossiers dans un ordre plus logique que celui que j’ai jamais eu. Elle serait discrète, rapide, et sourde au reste du monde. Un petit employé modèle, dans mon HP Pavilion 23 qui fatigue. J’y ai cru. Un peu. J’ai fini par installer Mistral, 4,1 Go, via Ollama. Avant lui, un modèle plus léger, plus bête aussi. Presque analphabète. PHY, peut-être. Il fallait Docker. Il fallait WebUI. Il fallait de la place. J’en manquais. J’ai forcé. Évidemment, ça n’a pas marché comme prévu. Le plan : reprendre mes dossiers Obsidian, leur demander de m’expliquer ce qu’ils faisaient là, trouver un fil, des liens, une cohérence. J’aurais dû me méfier. Chaque outil exigeait un autre outil, comme si tout s’appelait en cascade. Python, GPU, base vectorielle, boucles d’espoir. Je me complique la vie. C’est une habitude. Ou une manière d’organiser ma déception. Elle arrive toujours vite, elle connaît le chemin. Chez moi, elle n’a même pas besoin de frapper. Le pompon : le RAG local. Rien qu’un nom comme ça, déjà, ça sent le problème. Pour faire tourner un script, il fallait une cargaison de dépendances. J’ai tout installé. J’ai tout supprimé. Plus de place. Ce temps que j’y passe, je ne sais pas. C’est beaucoup. C’est sans doute de l’évitement. Mais éviter quoi ? Réussir quelque chose ? Finir ? Ce serait fâcheux. Finir, c’est enterrer. On appelle ça un aboutissement. On met une nappe blanche, un plat chaud, on dit quelques mots, et voilà. Je m’entraîne. C’est un exercice. Une répétition. Pour la suite. Pour ce qui ne se répète pas. La fatigue est là, le reste aussi. Et pourtant, ça continue. Avec moi. Sans moi. Installing a local AI. Why not. It would sort things out, put files in order, make sense of the mess. Quiet, efficient, blind to the world. A small clerk in my old HP Pavilion, wheezing. I believed it. A little. Mistral, 4.1 GB, via Ollama. Before that, a smaller model. Illiterate, almost. PHY, I think. Needed Docker. Needed WebUI. Needed space. I didn’t have it. I forced it. It failed, of course. The idea was simple. Reopen all Obsidian notes. Ask them to explain themselves. Find threads. Patterns. Meaning. Foolish. Every tool needed another tool. Python, GPU, vector base, the whole lot. Hope called hope, called hope again. I must enjoy this. Making it hard. Or just the rhythm : hope, then fall. Fall faster. I know the way. Disappointment does too. She lives here. RAG. Local. Just a script, they said. Before the script, dependencies. Before dependencies, more. Installed. Deleted. No more room. The time I spend. Absurd. I know. A diversion. From what ? Still no clue. From doing something ? From finishing ? That would be worse. Finishing means flowers. Means speeches. A plate of food. The end. So I train. I rehearse. For what won’t rehearse. Fatigue, yes. Disgust too. Still, it goes on. With me. Without me.|couper{180}
Carnets | mai 2025
29 mai 2025
Tais-toi, me dit-elle — non comme un reproche, mais comme si mon silence lui-même bavardait, et ce bavardage ne naissait pas du silence qui est nécessaire. Bien que, ce qui est nécessaire, peut-être, c'est que rien ne soit nécessaire du tout. Puis elle entra. Dans ses bras, des gerbes de fleurs. Des glaïeuls, peut-être. Cela aurait pu être trop — trop éclatant, trop cruel. Tais-toi encore. Écoute — comme il n'y a rien à dire. Et je la désirais en cet instant exactement comme elle était — simple, absolument simple. Si simple que toutes mes complexités superposées, toujours construites pour ne pas la voir, s'effondrèrent. Je la vis. Je m'étais assis sur le lit. Elle trouva un vase quelque part parmi le bric-à-brac et commença à arranger les fleurs. La tâche semblait exiger toute son attention — à tel point que je me demandai : était-elle venue ici par erreur ? Cette visite était-elle faite dans la distraction ? C'était un test, encore — comment dépasser cette possibilité. Qu'elle puisse être si distraite qu'il me faudrait mobiliser toutes les fibres de mon attention seulement pour la suivre, pour la retrouver à nouveau. La lumière s'infiltrait dans la pièce, lentement. Et avec elle, les contours des choses commencèrent à se dissoudre. Ce qui nous entourait ne portait plus de définition — ce n'était ni plaisant ni déplaisant. C'était. Un silence d'un autre ordre — au-delà de ce que j'appelais autrefois silence, qui, je le vois maintenant, n'était que du bruit. Maintenant les fleurs se dressaient dans le vase, le vase sur la table, et c'était tout ce que je pouvais voir dans la pièce. Elle, même elle, avait disparu. Par la fenêtre ouverte montaient et entraient les bruits de la rue. Ils semblaient les seules choses vivantes. Tout ce qui avait été, et tout ce qui viendrait, n'était que silence — un espace blanc entre deux mots. Facing the Simple Be silent, she said to me—not as a reprimand, but as if my silence itself were chattering, and that chatter not born of the silence that is needed. Although, what is needed, perhaps, is that nothing be needed at all. Then she entered. In her arms, sprays of flowers. Gladiolus, perhaps. It could have been too much—too bright, too cruel. Be silent still. Listen— to how there is nothing to say. And I desired her in that moment exactly as she was—simple, utterly simple. So simple that all my layered complexities, always built to unsee her, collapsed. I saw her. I had sat down on the bed. She found a vase somewhere among the bric-a-brac and began to arrange the flowers. The task seemed to demand her full attention—so much so that I wondered : had she come here by mistake ? Was this a visit made in distraction ? It was a test, again—how to surpass that possibility. That she might be so distracted I would need to summon all the fibres of my attention only to follow her, to meet her again. Light seeped into the room, slowly. And with it, the outlines of things began to dissolve. What surrounded us no longer bore definition—it was neither pleasant nor unpleasant. It was. A silence of another order—beyond what I once called silence, which, I now see, was only noise. Now the flowers stood in the vase, the vase upon the table, and that was all I could see in the room. She, even she, had vanished. From the open window the street sounds rose and entered. They seemed the only living things. Everything that had been, and all that would come, was only silence—a white space between two words.|couper{180}
