Je te le dis, tu écris “comment exprimer une action” — non pas une règle, une hypothèse — : début, fin, et entre les deux ce qui dévie ; alors tu lances la scène au seuil d’un restaurant, la porte cède, chemise blanche au bar, et lui qui refuse le menu d’un geste (non pas par assurance, pour gagner du temps), il commande d’un trait une quatre saisons, des bolognaises, deux pressions, et ça va vite, merci, nous sommes pressés, dit-il comme on règle une horloge ; elle répond qu’elle vient d’arriver, et pendant que la voix coule, il regarde la bouche (rose pâle luisant), puis les yeux verts montés de faux-cils (en frange ? individuels ? magnétiques ? — il passe en revue les extensions comme on feuillette un catalogue), non pas pour juger, pour classer ce qu’il ne veut pas entendre ; la scène se tient au bord, il sourit mécaniquement, la politesse fait écran, et quelque chose, déjà, compte à l’intérieur (on dirait l’addition, non, pas l’addition, le temps qui se referme), car Abricot-mûr sur Caramail a un autre nom à table et l’écart entre les deux travaille ; il se répète qu’une action a un début et une fin, mais les actions tirent des ficelles entre elles, sous la nappe, dans la poche du carnet où une page porte une liste : Joan Livrao, Solange Livrao, Monica Livrao, Angela Livrao, Frances Livrao — Susy Livrao en bas, au stylo bille rouge, encerclée (non pas soulignée, encerclée) d’un geste appuyé qui a traversé le papier ; et la scène revient à la table : mousse des pressions, luisant du rose sur la lèvre, les couverts qui tintent, la commande qui arrive trop vite, pas assez vite, et lui qui lève les yeux comme on vérifie une marche à suivre ; alors l’action tient sa forme, début et fin — mais entre les deux il n’y a que ce cercle rouge qui ne trouve pas son centre.