Pourquoi perdre son temps avec ce désir de validation, de reconnaissance, avec cette obsession fatigante qui se manifesterait par je ne sais quelle preuve d’appartenance. Pourquoi.
Lucidement, la question apparaît d’autant plus légitime que je regimbe systématiquement à entrer dans la moindre coterie. Peut-être en raison de mon expérience passée, notamment dans le domaine de la peinture, pour avoir fréquenté des groupes, des associations, des entreprises de tout ordre. L’être humain devient rapidement insupportable sitôt qu’il se fond dans un collectif, quel qu’il soit. À partir du moment où il devient membre, quelque chose change : il parle moins en son nom propre qu’au nom du groupe. Une mutation subtile s’opère, comme si l’identité individuelle s’érodait au profit d’un nous un peu artificiel. Aussi les évité-je comme par principe désormais. Comme une règle gravée dans le marbre : pas de groupe, pas d’association.
Et pourtant, parfois, je sens bien ce désir d’appartenance qui pointe malgré tout. Je le surprends, le vilain bout de son nez, qui repasse par la fenêtre alors que je l’avais chassé par la porte. Il suffit d’un texte qui circule, d’une petite communauté qui s’échange des félicitations — et je sens ce picotement désagréable : pourquoi eux et pas moi ?
C’est sans doute cette envie qui me révolte le plus, comme une trahison contre moi-même. Parce qu’elle va à l’encontre de cette règle d’or que je me suis imposée : rester à distance des clans et des cercles fermés. Mais voilà, l’envie de reconnaissance est plus rusée que la lucidité. Elle revient en douce, masquée sous des dehors de curiosité.
Je pourrais m’en moquer, traiter cette tentation d’appartenance comme une faiblesse passagère, un réflexe conditionné par l’obsession contemporaine du réseau. Mais ce serait hypocrite. Car en réalité, ce besoin de validation est aussi légitime qu’agaçant. Qui n’a jamais voulu se sentir accepté par ceux qui partagent le même langage, les mêmes obsessions littéraires ? Peut-être que le problème n’est pas tant l’envie d’être reconnu, mais ce que cette reconnaissance impliquerait : céder, s’enfermer dans une esthétique convenue, faire semblant d’adhérer alors que je ne m’y retrouve pas vraiment.
Et peut-être aussi que la lucidité finit toujours par se faire avoir par ce besoin d’exister aux yeux des autres. La question reste ouverte : peut-on se sentir pleinement légitime sans l’aval d’un groupe ?