réecriture
Je te le dis, tu ne sais rien d’Alonso Quichano, rien que ce point que tu guettes parce que tu l’as inscrit dans l’agenda à midi pile (oui, midi, pas avant), et tu t’obstines, non pas pour découvrir un homme, mais pour tenir l’attente en joue, et comme le point ne vient pas — non, il ne vient pas, il avance à peine, plutôt il demeure — tu changes de casquette, tu te parles à toi en lecteur, tu prétends qu’à force de te lire tu verras mieux la silhouette, alors tu écris canapé et tu t’y allonges, tu écris parasol, petite table, bière ambrée (qu’on sent fraîche au goulot), tu temporises, tu rectifies (ce n’est pas de l’impatience, dis-tu, plutôt une manière d’être exact), le point devient silhouette, et comme elle prend son temps, tu ajoutes des jours, puis des semaines, et les mots font un lieu : une oasis, des palmiers, un restaurant, une serveuse charmante qui apporte des huîtres, puis le vin blanc, les profiteroles, le café italien, et tout cela tient ensemble non pour combler, mais pour déplacer — on dirait que tu attends toujours, non, pas attendre, habiter l’attente ; et quand enfin Alonso Quichano apparaît, midi déjà passé (tu le sais, tu regardes la page), tu lèves la tête et tu t’aperçois que l’agenda est resté ouvert à une autre date, que la silhouette s’est effacée dans le confort de tes mots, et qu’il ne reste, sur la nappe (mousseline jaune, oui, qui pend sur les côtés), qu’un rond d’eau sous le verre.
