L’idée d’un polar vient-elle d’une scène qui surgit en se rasant ? Je ne le crois pas, même si c’est tentant de le penser. Elle doit venir plutôt des personnages. Plus on creusera un personnage, plus on trouvera l’accès à ses motivations, conscientes ou inconscientes — les deux — plus on aura de choix en effectuant un inventaire dans la collection de conneries qu’il peut effectuer. Il est même possible que ce soit cette tension (conscience - inconscience) le moteur de ses actions.
Grosso modo, se dire que les êtres humains sont toujours les mêmes, quelle que soit leur condition sociale, l’époque dans laquelle ils s’agitent, leur habillement. Je crois que c’est un fait indiscutable. Ensuite, attirer l’attention du lecteur sur ceci ou cela pour les peindre ; ne serait-ce que pour ne pas tenir compte de ce fait, laisser croire à une quelconque originalité, il y a plus de contre que de pour.
En revanche, la façon dont chacun s’exprime pourrait être une clef. En tout cas, c’est surtout cela qui éveille mon attention et sûrement aussi mon désir : créer des personnages crédibles par leur langage avant tout. Donc du dialogue. Il faut que le dialogue prenne plus de place que le monologue du narrateur, voire que ce dernier disparaisse complètement.
Au lieu de décrire un décor, le suggérer plutôt par ce que les personnages en disent.
Exemple :
Alonso Quichano cracha sur le sable et resta quelques secondes ravi en train d’observer l’évaporation fulgurante de son glaviot ; puis il reprit ses esprits et dit d’une voix avunculaire : « Putain, il fait chaud dans votre coin. »
-- Et si on en venait au fait, je dis.
-- On avait rendez-vous, mais je ne me souviens plus pour quoi précisément, réplique-t-il. Puis il ajoute : « Y a-t-il un fléau chez vous ? Car mon boulot consiste à effacer les individus gênants. Je ne prends qu’une modique somme d’ailleurs, d’où mon retard : beaucoup de boulot en ce moment, avec la crise. Pour 50 euros plus les frais, le taux de clients satisfaits frise le 100 %. »
-- Les frais ? je demande.
-- Le gîte, le couvert, le tabac, les moyens de transport. Vous êtes au courant que tout a beaucoup augmenté ces derniers temps...
-- Et si je vous demande de me descendre tout de suite, ça me coûterait combien ?
Alonso sortit son smartphone, ouvrit l’app calculatrice, tapa quelques chiffres puis il dit :
-- 250 euros TTC seulement. J’ai déjà eu pas mal de frais pour arriver jusqu’ici.
L’idée d’être occis par le plus miteux des tueurs à gages n’avait rien de reluisant. Mon amour propre en prenait un coup. Cependant, je ne discutais pas le prix, je sortis mon pognon et lui tendis. Alonso Quichano se saisit de la liasse de biftons, mouilla un doigt d’un coup de langue et se mit à compter les sous.
-- ... et 50, qui font bien 250. Le compte est bon, dit-il, puis il extirpa un Mikoru de sa poche et me mit en joue.
-- Qu’est-ce que c’est que ce flingue ? je demande.
-- Ça, c’est un Mikoru. C’est japonais, mais ça fait le boulot. Puis il pressa sur la détente, et ma dernière pensée fut pour le nom du flingue. C’était quand même con, mais rien d’exceptionnel non plus.
Puis je tombai sur le sol en essayant d’éviter l’emplacement du mollard évaporé — mais ça aussi, ce fut raté.
Et ben, me dis-je en me relisant, y a du boulot. Si je veux gagner des sous, va falloir mettre les bouchées doubles. Ou alors changer complètement de genre. Écrire des scènes de cul ? Ça se vend encore, ce genre de truc ?