Avril 2024
Carnets | Avril 2024
5 avril 2024
Il fait encore froid, humide. J’ai réintégré le bureau après avoir installé la machine sous Ubuntu et coupé toute connexion pour écrire ces lignes. L’attention est désormais l’une de nos capacités les plus traquées. Aussi il me semble juste de dire que la conserver la maintenir l’entretenir devient un véritable enjeu de survie. Il se peut que notre humanité, du moins ce qu’il peut rester d’humanité encore en moi est à ce prix. Je rêve de m’asseoir ici d’ouvrir ce traitement de texte en plein écran, et d’écrire sans être dérangé jusqu’à la fin de ma vie. Je sais que c’est un rêve bien sûr. Que tôt ou tard la maison s’éveillera, que les tâches quotidiennes me projetteront hors de la pièce après avoir éteint cette machine. En attendant, j’écris tout ce qui me passe par la tête , sans plan préalable, sans avoir longtemps réfléchi, sans autre intention que celle de déposer des mots, des phrases qui se suivent, de noircir la page blanche. Cela ressemble à un début de fiction, sans doute parce que ma vie est devenue une fiction, à mes yeux. J’ai du mal à penser qu’elle n’en soit pas une, j’essaie pourtant, mais j’ai beau prendre le problème dans n’importe quel sens, tôt ou tard j’arrive toujours à effectuer ce petit pas de côté afin de me regarder de profil et considérer au final que je ne suis que le fruit d’une imagination terrifiante. Il faut que j’écrive. Il le faut, car d’une manière certainement enfantine c’est la seule solution qu’il me reste pour explorer ce hiatus. Lorsque je suis attablé face à la page blanche il me semble qu’il n’y a plus qu’ici que je puisse être un homme véritable. C’est probablement une fiction également, à l’intérieur d’une fiction plus générale. Hier je ne suis pas parvenu à m’endormir avant d’avoir lu un chapitre entier de Portrait de l’Artiste en Jeune Fou de Philip K. Dick. Ce moment où Charley tue les animaux avant de se tirer une balle dans la bouche plutôt que de tuer sa femme Fay, vraiment poignant, d’autant que tout le chapitre est écrit depuis l’intérieur du personnage, depuis son intimité, on s’y croit vraiment, on est Charley, on comprend à quel point il ne dispose d’aucune autre solution que celle du suicide. Je crois que je l’ai déjà écrit il y a plusieurs semaines, ce bouquin est vraiment fascinant. Chaque personnage utilise la première personne du singulier pour exposer les faits, ses propres pensées le décor vu par ses propres yeux, faisant ainsi progresser le récit d’une façon captivante. Enfin, je suis comme un ours qui découvre un pot de miel. J’avais déjà imaginé plusieurs fois ce genre d’artifice, y compris en écrivant ici ou là sur mes blogs comme si ce n’était jamais vraiment le même personnage qui racontait sa vie, son histoire. Sauf qu’il n’y avait pas de trame, pas de début véritable ou de fin avérée, pas d’événement susceptible de faire progresser un arc narratif pour chacun de ses hétéronymes. Ce serait certainement un travail de titan de tout relire, de retrouver le ton de chacun de ces narrateurs, puis de l’affubler d’un nom, d’une caractéristique marquante afin de bien l’identifier, puis une fois le boulot fait, assembler ces pages, fragment après fragment, en constituer des chapitres. Puis, au bout du compte un bouquin. Je rêve encore. Je suis allé regarder le prix des Freewrite et en passant j’ai trouvé quelques articles sur ces machines. Encore un rêve. Des prix exorbitants pour écrire sans dérangement. C’est totalement ridicule. Il fallait que le ridicule me sauve de la frustration de ne pas pouvoir m’en payer une. La promesse qui fait vendre ce genre d’outil est de pouvoir tripler sa vitesse d’écriture, ce qui la rend idéale pour écrire un premier jet. Sauf que pour cela il faudrait que j’ai envie d’écrire avant toute chose un premier jet. C’est certainement valable pour des écrivains qui écrivent encore des romans. Est-ce que j’écris un roman ? Est-ce que oui ou non j’ai envie d’écrire un roman. Non, je prends la tondeuse et je me rase la tête, maintenant, voilà je me repose la question encore une fois : Tu as envie d’écrire un roman ? Concernant la mise en forme, j’utilise désormais LibreOffice Writer, gratuit sur la distribution Ubuntu. J’ai créé un modèle format 6×9 pouces avec des marges de 2 cm histoire de voir mon texte comme dans un vrai livre. Est-ce que je veux faire un nouveau livre ? Est-ce que mon corps fait des choses en parallèle de ma tête ? Je vais jeter un nouveau coup d’œil dans mes documents personnels, les fichiers sont là. Est-ce que mon corps me fait des blagues en créant tout seul des fichiers, voilà une question sur laquelle se pencher.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
4 avril 2024
« Et chaque fois que j’ai été émue, j’ai rêvé d’être nue. De cette nudité profonde où personne ne peut me suivre. Et même pour moi, il n’est pas facile de m’y suivre. J’imagine que cela vient de ce que j’ai vu un jour un insecte gigantesque s’éloigner de moi avec ma propre nudité. Je crois que c’est cette crainte d’être vue nue par quelqu’un qui m’a révélé la véritable nudité de l’esprit. » C. Lispector, « La passion selon G.H. » J’ai écrasé des milliers de cafards, cependant je ne suis jamais vraiment parvenu à mettre en mots cette sensation si particulière que le fait d’écraser un insecte déclenche en moi. Il se peut même que j’ai écrasé ces milliers de cafards de la même façon que j’écris ces lignes. C’est la même sensation je crois, celle qui me laisse sans mot. Ensuite, dans la journée, j’emprunte ce vieux costume aux manches un peu courtes et qui dévoile mes grosses mains, deux mains gauches rougeaudes. Avec ce vêtement et ces attributs désolant, je deviens, en gros , un parfait idiot. Je réponds à côté de tout ce que l’on me demande, ou bien j’interromps des conversations d’une saillie farfelue qui tombe régulièrement à côté de la plaque. Je crois que je n’arrive pas du tout à me prendre au sérieux. Pire que cela, je sais pertinemment que je suis un idiot qui veut absolument exposer son idiotie. L’idée d’un désastre inéluctable réveille probablement des désirs enfouis depuis des lustres. En même temps que je vois défiler les messages d’avertissement d’une fin du monde inéluctable, je louche sur les gros seins des filles qui présentent des romances. Ce dont je suis parfaitement honteux. Il se peut même que la honte soit le sujet essentiel de toute cette mascarade. Puis la question surgit comme un diable de sa boite : comment peut-on être intelligent et ne pas être profondément affligé, honteux ? Et cette question contient la réponse à bien des phénomènes extraordinaires. Cette question ne peut pas être posée n’importe où n’importe quand par n’importe qui. Évidemment. Rien ne ressemble plus à une paire de seins qu’une autre paire de seins. Ce qui nous fait imaginer la possibilité d’une différence, c’est l’impossibilité chronique qui ne cesse jamais de se répercuter d’une paire de seins à l’autre, qu’elle soit d’ailleurs titanesque ou pas, dans l’espoir de les retrouver tels qu’ils furent la toute première fois. Il doit y avoir un point commun entre le fait d’écrabouiller un cafard et le moment de découvrir une paire de seins, c’est du même acabit. A chaque fois on abandonne quelque chose dans cette histoire, quelque chose de consubstantiel à soi. Une part d’âme. Donc il faut que je me contraigne désormais pour le peu d’âme qu’il me reste à ne plus écraser d’insecte, et à ne plus fréquenter les plages nudistes. — Vous savez que vous n’avez plus le droit de parler de désir à voix haute, c’est interdit. — C’est tout ce qu’il me reste, il réplique. noter que lorsqu’on utilise Ubuntu et l’éditeur WordPress, le tiret quadratin s’effectue de cette façon : Ctrl + Maj + u, puis taper 2014, suivi de la touche `Entrée — ne fonctionne pas du tout si on n’utilise pas du HTML|couper{180}
Carnets | Avril 2024
3 avril 2024
En inscrivant le titre ce J.215 je me demande où est le J.01, dans quel lieu, quel temps ? Il n’est peut-être pas dans le carnet 2024, plutôt dans celui de 2023. Est-ce que ça me chagrine, me réjouit ? non, je crois que je reste assez indifférent vis à vis de ce commencement. Il fallait bien commencer. Et aussi cela m’interroge quant au refus catégorique, je crois qu’il est catégorique, concernant toute notion de catégorie. Que ce soit une catégorie de genre, de temporalité ( d’où mes hésitations permanentes à conjuguer les temps) Et aussi de plus en plus je bute sur des mots qui m’étaient, le croyais-je, si familiers. Et aussi, une fois la familiarité évanouie, par je ne sais quelle diablerie, je me retrouve face à des mots inconnus. Plus j’écris, plus j’ai l’impression de m’aventurer dans une langue inconnue. Plus je me rends compte à quel point j’ai inventé une langue personnelle, avec toutes les explications prêtes d’avance pour me défendre qu’elle ne soit pas tout à fait une langue commune. Alors que je sais, je le sais même très bien que cette langue nous est profondément commune. Peut-être même que je m’enfonce dans cette singularité qu’à seule fin d’en faire du commun. Je ne soumets plus mes textes à l’intelligence artificielle. La dernière fois que j’ai tenté l’expérience, il m’est apparu comme cette évidence que le commun dont elle se fait une définition n’est pas celui que je brigue. Elle veut que je place au dessus du moindre paragraphe un titre en gras servant de mot-clef, que mes phrases soient les plus simples et claires possibles. Courtes surtout. Et puis elle achève souvent son propos en évoquant la dépression, le peu de sympathie que lui inspire le narrateur. Au bout du compte, l’intelligence artificielle est très proche de ce que peut-être l’opinion publique. Un ensemble de poncifs réglés sur le fameux « bon sens », une illusion valant bien la mienne, sauf que la mienne est beaucoup moins partagée. J’ai voulu faire l’expérience encore de me rendre sur un réseau social. Je crois que je ne pouvais pas choisir pire que Tik Tok pour me souvenir de la vacuité absolue que ces applications m’inspirent. Cependant je me suis accroché, hier dans l’après-midi, durant deux bonnes heures. C’était « intéressant » de voir comment la substance vitale est aspirée littéralement par le défilement de ces petites vidéos de quelques secondes. Je crois même que je me suis mis à faire défiler de plus en plus vite, ne captant qu’une bribe de phrase à chaque vidéo. A la fin je me suis amusé à rester un peu plus longtemps que d’ordinaire, disons deux secondes plutôt qu’un quart de seconde, et j’ai très bien vu que l’algorithme avait repéré ce qu’il analysa être un embryon d’attention. Mais au bout de deux heures j’ai refermé l’application avec la sensation d’avoir été sucé de toute ma moelle. Est-ce cela que les gens éprouvent en se rendant sur les réseaux sociaux ? se faire vampiriser leur plaît ? les excite ? Il y a même si j’ose l’affirmer, quelque chose de l’ordre de l’acte sexuel, et qui rabaisse cet acte à de la consommation ni plus ni moins. J’imagine soudain un circuit électrique ou électronique, où quelqu’un, quelque chose aurait installé une sorte de dérivation pour profiter d’une énergie infinie, pour profiter d’une énergie autrefois gratuite.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
2 avril 2024
Rien ne va vraiment ce qui fait que tout va. Il y a des accablements aussi fertiles que le sentiment déprimant d’arrachement que proposent les départs .Et je peux me retourner alors même que les vociférations continuent derrière moi, mais elles deviendront peu à peu un bruit de fond, celui du vent, de l’océan, guère plus. Et c’est après leur avoir tourné le dos que l’on saisira l’irréalité que nous prenions l’instant auparavant pour du réel. Toutes les chamailleries sont recouvertes ainsi que les meubles d’une maison par des voiles, c’est de l’indicible, de l’inexplicable . Ce qu’il reste : un vide, une désolation à priori qui remplit tout l’espace, et par quoi on comprend que la nature toute entière de l’espace, réel ou imaginaire est vide Est-ce effrayant, pas vraiment. Ainsi tous nos actes, toutes nos paroles, nos écrits comme nos pensées, nos rêves, semblent issus de ce vide et y retournent. Nous sommes, là bouche bée, encore dans l’interrogation d’avoir vu passer autant d’explications futiles que vaines, des explications qui paraissent puérilement s’efforcer de ne jamais dire l’inexplicable. Je remonte le cours des ateliers d’écriture du Tierslivre, 2018, 2019… Ces ateliers notamment sur la nouvelle datant de 2019 en parallèle de ceux de ce mois de mars-avril 2024. Peut-être qu’en réalisant de concert les deux séries de façon simultanée, je m’approcherai un peu plus de ce mystère que représente encore dans mon imagination le fait d’écrire une nouvelle. Ici,il faudrait justement parler de l’imagination, et surtout de tout ce qu’elle oppose d’emblée à l’acte d’écrire un récit court. C’est à dire une difficulté presque insoluble à première vue. Si on ne fonce pas directement tête baissée comme je le fais d’ordinaire. J’ai remonté ma table dans le bureau, mais pas encore l’ordinateur. Pour le moment j’écris dans une remise attenante à l’atelier. La connexion internet est faible, j’ai bricolé un système de connexion Ethernet avec deux adaptateurs branchés à des prises électriques. J’ai aussi bidouillé un vieil ordinateur pour installer Ubuntu en me disant que ce système d’exploitation me conviendra tout à fait pour ce que j’ai à faire ici, c’est à dire écrire, seulement écrire. La chatte vient s’allonger derrière l’écran et dort paisiblement. Je n’ai plus de textes d’avance, le temps passe à une vitesse stupéfiante. Hier encore je me disais rassuré d’avoir comme un avare ou un riche, un joli matelas de textes planifiés pour la semaine à venir. Mais la semaine est venue plus vite que prévu. Il ne me reste que les bribes de textes concernant ces ateliers d’écriture que j’écris ici directement dans l’éditeur WordPress . La notion de journal devient parfois floue. Le but d’écrire un journal surtout, et surtout d’y déposer de si longs textes. Je crois que c’est pour contrebalancer quelque chose, un travail véritable dans lequel j’ai encore beaucoup de peine à m’engager comme il le faudrait. Comme il le faudrait. J’ai hésité avec comme je le voudrais. Mais je ne veux rien, rien du tout. Je me contente d’obéir à cette injonction inexplicable. Je me contente de suivre le mouvement après avoir tellement décortiqué les tenants et aboutissants de cet élan, au risque qu’il m’abandonne soudain, que je ne sois plus qu’une sorte de fantôme.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
1er avril 2024
Des images mentales. Écrire trois paragraphes autour d’une image mentale. D’après une proposition d’atelier d’écriture de F.B de 2019 Préparation à l’exercice. Tout ce qui vient comme d’habitude. Un homme éprouve toujours des difficultés pour comprendre ce dont il s’agit. Quelqu’un propose quelque chose, par exemple un sujet d’écriture, trouver une image mentale et s’arrêter seulement sur celle-ci pour écrire, et la première chose qui vient à l’esprit de notre homme c’est qu’il ne comprend rien à ce que l’autre lui dit. La première image mentale est donc ce brouillard entre deux individus. Admettons que le mot brouillard s’avance dans le paragraphe. Est-ce bien ce que l’homme veut dire pour tenter d’énoncer la difficulté de comprendre ce que l’autre dit. A qui tente t’il d’énoncer cette difficulté ? Qui est le vrai lecteur puisqu’il s’agit d’écriture. Et Pourquoi ne dit-il pas tout simplement les mots confusion, trouble, déstabilisation, peur, angoisse, idiotie ? Pourquoi le mot brouillard masque t’il tous ces autres mots, pourquoi le mot brouillard s’impose t’il dans la phrase comme une façon temporaire ( mais du temporaire qui risque de durer car l’homme ne se relit jamais. Car l’homme quand il veut se relire n’y parvient pas, il ne voit que du brouillard flottant à la surface de son texte. Le brouillard est associé à une image. Peut-être l’image d’une route qui s’enfonce dans le brouillard. Le fait qu’une route s’enfonce dans le brouillard crée en l’homme qui marche sur cette route une angoisse car on tout à coup il peut ne plus savoir où mène cette route, ou encore il sait, par habitude, où mène cette route puis le brouillard le fait douter de cette certitude. Le brouillard rend flous les contours d’une certitude, celle qui, il y a un instant, se tient au premier plan recule dans un plan lointain. Il est sorti de chez lui pour se rendre au village et soudain il est là sur cette route doutant qu’il existe encore un village, c’est à dire que l’image qu’il se fait de son but ( acheter le journal, poster une lettre, son but ) s’évanouit, est remplacé par un rideau de brouillard. Est-ce un homme ou un enfant ? L’enfant sort de la maison pour se rendre à l’école au village voisin. Il marche sur la route goudronnée et se rend compte il ne voit pas au delà de cinq ou dix mètres devant lui. Son imagination entre en action. Qu’est-ce que peut dissimuler le brouillard ? Tout est possible à cet instant, et il est horrifié de continuer cependant à avancer. Il se retourne et voit que derrière lui le brouillard a déjà mangé la route, la maison qu’il a quitté. N’importe quoi peut surgir de ce brouillard. Le pire comme le meilleur. Mais, la plupart du temps, on imagine le pire. L’enfant dispose naturellement d’une posture défensive face au brouillard. Du brouillard il ne peut rien sortir de bon. C’est à dire comme dans les cauchemars, on sait d’avance, c’est ce que l’on veut savoir coûte que coûte. C’est ce à quoi on s’accroche malgré soi. Le brouillard est synonyme d’effroi. Des flashs rapides associés à l’image du brouillard. Ne pas laisser la cervelle tisser d’histoire à partir de ces flashs. Arriver à l’entrée du pont et ne pas voir le bout de celui-ci. Il y a une blancheur irréelle à ce moment là. On ne voit rien, les contours ont disparu, sans contour il n’y a plus de pilier, plus de filin, plus de chaussée. Il n’y a qu’une rumeur incessante que l’on devine tout autour de soi, celle du fleuve qui coule sous le pont. A quelle époque de l’année ? sans doute entre mars avril car il fait jour déjà, les arbres sont déjà en fleur car une odeur de fleur est perceptible associée à celle du sang , de la pourriture, les abattoirs se trouvent juste sous le pont. En forêt, l’irruption du brouillard, monstre protéiforme, par nappe montant du sol avalant les fougères, étouffant la bruyère. Il y a la route goudronnée, une longue route droite et des chemins de traverse perpendiculaires. Les nappes de brouillard sont tapies à quelques mètres en retrait de chacun de ces sentiers. On pédale plus fort pour arriver plus vite au bout de la route goudronnée avant que l’horreur nous happe, on pressent qu’elle peut surgir et nous dévorer à chaque instant. Une odeur de décomposition accompagne l’effort de vouloir s’enfuir Les sons lui parviennent amortis par le brouillard de ce qu’il faut bien nommer une conversation. Quelqu’un d’indistinct s’adresse à l’enfant à l’homme, au vieillard, mais aucun des trois n’arrive pas à déterminer vraiment qui lui parle c’est juste une silhouette, bien qu’elle paraisse familière. On croit que c’est une route, peut-être une route qui traverse de part en part une forêt, mais ici il s’agit de la mémoire, d’essayer se souvenir d’un moment de confusion qui semble se répéter comme un écho dans un espace vide. Et maintenant la nouvelle proposition d’écriture sur la nouvelle ( mars-avril 2024 ) Amasser des matériaux, construire au sol les éléments d’une charpente. Le mot bible ; dans bibliothèque. La Bible arrachée au sable, c’est un des titres que j’ai retenu. Mais jamais lu, à peine feuilleté. Le fait que Werner Keller veuille prouver les déclarations de l’Ancien Testament. L’aversion pour la preuve. Celle par neuf ou par quatre, de tout temps. Le livre est une tête coupée réduite que les Jivaro actuels conservent dans d’étranges cloisons pour se préserver de l’ennui plus que pour apprendre quoi que ce soit de nouveau sur le Dehors. La collection de livres, un amas de bouquins, le trésor de l’oncle Picsou dans lequel on le voit plonger tête la première. L’idée de la bibliothèque proche de celle du cimetière. Les différences de formats, de matériaux, égales à celles des sépultures, et un regard ironique mais en dessous plutôt triste, désespéré sur ces deux idées qu’on joint par dépit. R. me tint un long moment en haleine tout comme Shéhérazade son Sultan, chaque soir extirpant un nouvel ouvrage de son bazar me promettant qu’à sa mort j’en hériterai. Qu’allais-je donc faire de cette gigantesque amas d’encre et de papier, l’angoisse monte encore rien que de m’en souvenir. Rien. Dans l’impossibilité de choisir une hypothèse d’usage, bientôt je renoncerai à R. comme à ses livres. Ce qui est à rapprocher de l’image du renard prit au piège qui préfère se ronger la patte et s’en aller clopin clopant ( ou cahin caha ) L’homme affalé dans un canapé se tient devant ses livres comme un seigneur protégé par ses sbires et je suis toujours ce pauvre hère que l’on jette à ses pieds pour implorer une justice qui ne vient pas. Le fait de désirer un livre et s’empêcher de le lire. Une sorte de volonté d’abstinence provoquée par un indicible malheur, l’obligeait à chercher une jouissance singulière pour se rendre singulier. Puis il se mit à acheter des livres par dizaines dans une frénésie incontrôlable. Les lisait-il ? non. Il les possédait et ça lui suffisait pour imiter le plaisir ou le pouvoir, pour effectuer une incartade dans la gabegie d’avoir Ce type était tordu. Il imaginait qu’en possédant des livres il acquerrait un poids dans le monde. Quand sa bibliothèque s’écroula et l’ensevelit, il eut l’air fin. Puisque cette femme de toute évidence ne l’aimait plus, il lui laissa ses livres. On se demande encore à quelle fin, pour quelles raisons, et comment continua t’il sa vie n’ayant plus le moindre livre à sa disposition. Il aurait pu comprendre à la première perte qu’il ne servirait à rien de racheter des livres, de se reconstituer une bibliothèque. Peut-être que la condition dans laquelle il se trouva ne l’empêcha pas de le faire. Jamais un livre lu ne mérita à ses yeux d’être relu. Il y avait tellement d’autres livres à lire. Mais, s’il avait su lire il se serait rendu compte qu’il relisait toujours le même livre. En mettant le nez dans un vieux livre on peut sentir parfois l’odeur d’un trèfle à quatre feuilles. Mais c’est une odeur plus désirée que véritable, la plupart du temps , en étant réaliste, on voit bien que les feuilles sont au nombre de trois. La bibliothèque d’Alexandrie est une représentation réduite de la grande bibliothèque Akashique. Il faut trépasser trois fois minimum , comparer les deux objets de ce fantasme de bibliothèque pour se rendre compte de l’étendue vertigineuse et dérisoire de notre imagination.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
Archéologie
Petite incartade vers ce blog comme vers un monde ancien, en parallèle de deux autres projets ( 1) . Dans quel but ? Essentiellement historique, creuser à nouveau des zones insuffisamment inexplorées. Je sais désormais mon inaptitude à créer une communauté comme à participer à la moindre. L'autre n'est pas clair, quel que soit le masque dont il s'affuble. Tout comme je ne suis pas clair évidemment. Il ne s'agit que d'un jeu de miroir du néant avec lui même. Mais le désespoir que charrie cette évidence est comme un long tunnel s'ouvrant sur une lueur malgré tout. Si rien sait désormais que rien n'existe, s'il en prend conscience d'une façon suraiguë, alors un espace se crée d'une manière mathématique. Cet espace est mystérieux, il ne ressemble à nul autre, et bien sûr on sera tenté de l'installer dans l'imaginaire pour préserver l'espace général du rien. On dirait que plus le rien prend conscience de lui-même plus il s'arme, devient belliqueux. Mais qu'est-ce que l'imagination ? qui peut en donner une définition qui ne se modifie pas avec l'époque, les circonstances, le climat, la nourriture qu'on absorbe, la limpidité de l'eau qu'on boit, l'âge de nos artères, la dose de dégoût qu'inspire l'agitation vaine ? Creuser cet te imagination est probablement la seule et unique chose que j'ai eu envie de faire. que j'ai encore et encore envie de faire ; Dans une certaine mesure je suis un archéologue, complètement autodidacte à la manière de Freud qui s'arrache la mâchoire (2) à force de ronger son frein face à l'inconscient, ou bien encore Howard Phillips Lovecraft qui sous-alimenté pour cause d'écriture et d'effroi face au néant de son époque mourra d'un cancer de l'intestin. Il y a toujours un prix à payer pour s'enfoncer dans les zones d'ombres de notre psyché, et les trésors, les reliques qu'on y découvre ne sont pas amicales, je crois plutôt qu'elles nous ignorent comme nous ignorons tout des insectes, des bactéries, des microbes, au milieu desquels nous vivons en nous gargarisant d'une identité toujours misérable et factice. Il y a donc un certain dégoût qui naît en simultané à la sensation étrange de libération. Une gangue de boue tombe, on aperçoit la nature d'airain qu'elle recouvre. Cependant qu'aussitôt la question flotte au dessus de la sensation d'impuissance dans laquelle elle nous plonge : d'où vient cet alliage, ce métal, cet élément que l'on cherche tant à dissimuler et à soi-même en tout premier lieu. Quel misérable trésor de failles, de gouffres, de labyrinthes cherchons nous à préserver au regard de l'autre afin de lui apparaître dans la lueur blafarde du mensonge ? Si l'archéologie contient une qualité c'est certainement cette noblesse permettant d'entrevoir la vanité des découvertes. C'est vain mais on s'y rend tout de même, n'est-ce pas une définition amusante ( dans le sens où elle érode véritablement cette prétendue pureté des âmes ) de l'archéologie mais également de la plupart des passions humaines. (1) voir le blog https://ledibbouk.net/ (2) article informatif , 34 interventions chirurgicales, un cancer qui dure plus de 16 ans illustration Artaud 1937 Apocalypse - Letters from Ireland by Antonin Artaud|couper{180}