Avril 2024
Carnets | Avril 2024
18 avril 2024
on fait des efforts puis on n’en fait plus. Parvenir à repérer ce moment où l’effort disparaît, dans l’espoir de pouvoir réagir à temps, refabriquer un autre type d’effort. Ainsi l’effort d’écrire beaucoup moins vient-il après celui d’avoir écrit beaucoup trop. L’effort suivant sera-t-il de trouver le juste milieu. Puis de de s’interroger sur la notion de juste, de milieu. Le milieu de quoi d’ailleurs ? Peser l’amont suffisant, nécessaire pour un aval, pas simple. Au lieu de ça, on sent tellement que ça pourrait durer 1000 jours au lieu de 230 exactement de la même façon.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
17 avril 2024
En une heure écrire une semaine. De petits bouts qui s’arrêtent de façon arbitraire comme s’arrêtent les événements d’une vie. L’impression de continuité provenant du désir de ne pas vouloir se dé-saisir d’une volonté de continuité. Travailler beaucoup pour atteindre enfin le droit d’offrir beaucoup. et, à partir de là, se retrouver toujours trop gauche. s’empêcher de croire comme de ne pas croire, marcher au dessus-d’un vide sans balancier. produire une dose quotidienne d’adrénaline.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
16 avril 2024
On peut fabriquer un film de deux heures avec les images mentales produites par une cervelle en dix-huit secondes. Deux narines énormes à la surface de l’eau. Deux locomotives à contre-jour gare Saint-Lazare. Deux yeux fermés. Un croissant sur une petite assiette. L’écho rebondissant de paroi en paroi dans une grande salle. L’enseigne du Train bleu à la gare de Lyon. Une main blanche agrippant la poignée d’une valise. L’angle presque droit d’une jambe de chef de gare posée sur le marche-pied. Deux flics s’arrêtent devant un jeune assit sur un banc et il leur tend ses papiers. Un pigeon traverse le grand hall. Une des plaques indiquant les minutes descend lentement. L’aube se lève, le soleil sort de l’horizon du côté de Pontoise. Un homme défroisse son journal. Le château se dresse lugubre au bout de l’allée. Etc Le montreur d’ours, vu du balcon du septième parait tout petit. Son poing est énorme quand il le brandit une fois qu’il a tâté de la pièce de monnaie chauffée à blanc. L’ours dodeline de la tête en même temps que le petit chien sur la lunette arrière. Une femme entre deux âges louche sur un moustique. Un homme s’envole en tenant son chapeau, il est assis à califourchon sur un boulet de canon. Un homme remonte au crépuscule l’allée sableuse menant vers un château. Les vitres des fenêtres de la façade ont des reflets sinistres. Un long ver blanc effectue des torsades derrière les parois d’un bocal. Un cerveau sanguinolent posé sur le carrelage d’une cuisine. Un coucou jaillit d’une horloge Suisse à 15 heures. Une aiguille pénètre la chair blanche d’une fesse. Une automobile se gare sur une place handicapée. etc Une tartine grillée saute du grille-pain. La petite cuillère touille le café noir. Le rideau électrique se lève. Un homme se dresse sur une estrade un micro à la main. etc Toujours pas écrit la nouvelle portant sur l’exercice n° 3. Repousser le moment.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
15 avril 2024
Retenir, ne pas céder, rester aligné. Ce naturel là.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
14 avril 2024
S’entraîner à écrire peu, à se retenir, ce n’est pas un projet. Est-ce un état ? Donc, si c’est un état, l’observer, puis voir ce qui en découle. Un papillon, un cerf-volant, de l’amour. Et le lendemain tout recommencer|couper{180}
Carnets | Avril 2024
13 avril 2024
Je crois qu’ils veulent que nous ayons peur et que cette peur nous entraîne vers la colère. Et une fois dans la colère nous sommes dans l’ombre. L’ombre est une prison. Ils ? Ce que vous voudrez, le tiers, un autre, les autres, en soi. C’est jouer sur des réflexes, avec eux. Tout ça crée une fréquence, un égrégore. Ensuite, tu n’es pas forcé de te maintenir ici, tu peux te tourner un peu de trois quart, de profil, Olé ! Avec même du panache si tu veux, mais c’est précaire. Bien sûr que vu d’ici tout est vain, tout est ridicule. C’est aussi ce qu’ils veulent que tu penses. C’est si facile. Une fois dans la ville, le cadeau sur la place, la nuit tombe. Les guerriers descendent du cheval de bois, massacrent tout sur leur passage. Une femme n’est pas un territoire, les assassins se leurrent. Assez !|couper{180}
Carnets | Avril 2024
12 avril 2024
Ce que j’écris au jour le jour, quand je l’écris est-ce qu’il trouve ça bien ? Jamais. Jamais vraiment. Si je prends l’écriture comme un miroir, bien sur que non. C’est la raison pour quoi ; que je trouve ça bien ou pas n’a pas d’importance. La chose s’écrit puis désormais elle se retrouve planifiée à la publication, je ne m’accorde aucun droit, aucune volonté, aucun désir d’en être juge. dans le mouvement écrire publier. Ensuite je ne dis pas avoir quelques maux de ventre ou sueurs. Mais à l’origine non, je ne veux pas juger. Celui qui ne veut pas juger, qui ne veut pas prendre parti, Lucien Foulet en fait tout un article . On retient que l’expression est récente, que le parti est synonyme de division. Que l’origine de ce parti vient probablement de Froissart. Une chose mal partie,dans ce contexte n’est pas qu’elle a mal commencée mais plutôt que les forces en présence sont déséquilibrées, mal divisées ou partagées. C’est tout à fait cette sensation de déséquilibre ( arbitraire sans doute mais la cervelle fait peu de nuance entre réel et imaginaire) Ils sont plus nombreux, plus forts, plus méchants. Qui suis-je pour m’opposer à eux frontalement. La solution est celle d’Henri Michaux ( Donc c’est non) Et de s’engouffrer tout au fond de la coquille, des fautes d’orthographe, de grammaire, remonter le labyrinthe du temps, revenir à l’anonymat des constructeurs de cathédrales, à celui des gestes, celle du Roland, de l’Aucassin et Nicolette, celle de la quête du Graal. Il y a de ça. Ce journal est imbitable. On ne peut le biter, le mordre pas plus que le battre. Je n’entretiens pas de correspondance à part ce blog avec moi-même. Le seul fait de songer à une correspondance fait surgir aussitôt le mot rater. Rater sa correspondance, et du coup, sa descendance et encore, comme une idée aussi de recouvrance. En fait tout ça n’est que stratégie pour éprouver la créativité. Sinon comment voudrait-on préserver quelque chose qui n’existe pas. A moins d’avoir l’esprit tordu d’un dibbouk, de se leurrer par l’élaboration laborieuse d’une stratégie à rallonge qu’on possède quelque chose par le nombre de murailles qu’on place autour d’un vide.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
9 avril 2024
Hier, en stage, je note ça pour ne pas le perdre, il est peut-être temps que je prépare ma tête, ou mieux, mon visage, à mourir. Il serait inconcevable de mourir avec une tête aussi pouponne, avec ce que j’estime être ce trop plein d’ironie et humour qui résiste encore au fond des cavités orbitales, tout à fait inconcevable. Il faut que je me fabrique une sorte de tête cireuse dépourvue de la moindre expression, en prévision de claquer. Ne serait-ce que pour entrer en conformité avec l’événement. ( L’expression claquée vient de moule claquée je crois me souvenir, Tropique du Cancer, H.M) Le fait de verbaliser claquée en claquer, verbe d’action. On claque et c’est la dernière chose que l’on fait, en se vidant simultanément de toute humeur, atteint de plein fouet par un anévrisme abdominal. Car en effet, hier , le matin, en cours, j’apprends l’existence de l’anévrisme abdominal. On peut se vider en deux secondes parait-il. C’était une ancienne fumeuse qui balance ça dans la conversation, un ange passe, elle a arrêté la clope depuis. — En deux semaines et sans rien prendre. J’ai relu la lettre de l’angiologue dès que j’avais envie de fumer. — Sans rien d’autre ! j’ai dit admiratif. Il fallait bien dire un truc, tout le monde avait la tête dans les épaules. J’étais moi-même terrorisé. Et juste après , j’ai filé à la pharmacie, car j’avais commandé ce kit de pilules homéopathiques destiné au sevrage des Nicopass. J’ai repensé à cette histoire d’anévrisme abdominal, et au fait de se vider en deux seonces. J’ai imaginé que je me vidai à la caisse de la pharmacie d’un seul coup. Encore beaucoup trop d’imagination. J’ai en ce moment des idées comme des oiseaux voletant autour de la tête et ce ne sont pas des mésanges,ce qui me rappelle pour je ne sais quelle raison Padoue. A moins que je ne confonde encore avec Assise à cause de Delteil. Plus généralement avec la légende Dorée de Voragine. Des idées comme des gros oiseaux essoufflés mais toujours voletant, et qui participent de plus en plus au moment présent quand je suis là à cette table. Le mouvement d’écrire, est comme celui de faire le feu, d’assembler des cailloux, de l’herbe sèche, du petit bois, et à la fin crac, craquer une allumette et espérer le vent pour la suite. Parfois, une sorte de bouffée de lucidité me transforme en baron de Munchhausen, pas par pathomimie, c’est surtout pour l’image du type voyageant sur un boulet de canon en posant une main sur son chapeau. Hier après-midi encore ces pensées fugaces sur le fait qu’on ne puisse plus penser ce que nous étions éduqués à penser notamment sur les femmes. Sur le fait que de nombreux types de mon age font semblant de penser autrement alors qu’en fait ils pensent les choses les plus effroyables encore. Ensuite, la nature faisant toujours bien les choses quand elle ne les fait pas mal, je levai les yeux sur la salle, je vis que nous étions tous vieux ici, que nous pouvions nous chamailler tout à fait comme le faisaient nos aïeux, ce genre de chamailleries homme-femme. N’avons- nous pas toujours connu cela ? Puis je me suis demandé si cela ne faisait pas peuple, si, dans le fond, vu tout ce que nous traversions, le fait d’être peuple ne nous rassurait pas. Et donc les femmes reprenaient leur antique rôle de femme et les hommes continuaient tout à fait naturellement cette fois à être des bourrins. Pénétrer avec délectation dans le rôle d’andouille. toutes ces bribes ces embryons ces fétus de paille, il y a beaucoup de vent en ce mois d’avril, on dirait que le grand nettoyage de printemps est dans l’air du temps. J’ai des rêves d’étagères, de piles de dossiers bien ordonnés. Et quand tout est ordonné un éléphant entre, un éléphant blanc albinos aux yeux rouges. Hésitation sur le fait qu’il soit furieux ou terrorisé.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
11 avril 2024
Par bouffées, les emballements d’hier, et cette sensation de honte qui vient presque en même temps. L’expression être prêt à donner sa chemise. Et ensuite le repli dans une totale nudité. Ces blessures restent encore vives et pourtant je ne peux m’en empêcher. Cet élan vers l’autre à l’état pur de rêve dont on sait d’avance qu’il sera brisé. Je relève la tête. Je vois tous les visages. La lassitude gravée, une attente sans attente. Il faudrait faire entrer la musique, danser. Recommence Je ne vais plus vers les autres comme je m’y rendais hier. Je ne savais pas à quel point j’étais nu, aujourd’hui je le sais. Je ne pensais pas non plus qu’un jour j’aurai à m’en défendre. J’ai érigé des silences, des absences, des forteresses invisibles. Et je murmure un mantra dans le genre jamais personne ne me trouvera en priant pour que ce soit le contraire. C’est assez banal en fait, tout le monde le fait. Et ceux qui s’avancent avec un sourire les bras grands ouverts ont certainement dans leurs mains l’estoque et le descabello. Reste ce lieu, l’arène, la fin et la quiétude. et si je reste le seul à comprendre ce que je comprends de tout cela, c’est la même compréhension que je trouve dans l’arbre qui reste arbre. Après cet élan pseudo poétique, j’étais encore plus confus, plus nu, plus pauvre, pas de quoi être bien fier, mais la fierté ne signifiait plus grand chose. A la fin un genre de libération en se fichant de tout et surtout de soi-même ayant inventé ce tout comme ce rien. S’il y a un problème dans l’expression chef de file je crois qu’il ne vient pas du chef mais de la file qui désire être précédée pour avoir quelqu’un, quelque chose à suivre. Trop vieux pour les meutes. De là être sans fil ou sans filet, sans filtre. Enragé ? Beaucoup de filets de bave autour des bouches ces jours-ci. J’espérais avec l’éclipse du 8 un cataclysme abominable, mais ce qui est abominable c’est que rien ne se soit passé. Finir en beauté. Visiter une grotte.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
10 avril 2024
— Vous n’avez jamais cru à un seul mot de toute cette histoire n’est-ce pas ? elle dit. — Bien sûr que non, je réponds car je sens bien qu’il n’est pas possible de répondre autre chose. Et c’est en tombant sur cette évidence, cette absence de foi, que je me suis mis à écrire. Car l’autre version, celle où il aurait été de bon ton d’y croire, c’était un réflexe, à fuir. Une méchanceté aurait-elle pu surgir de ne pas se retrouver de bon ton, vous savez, j’allais lui demander, mais je n’ai rien dit. J’en avais simplement marre de me retrouver toujours fautif, je voulais que les choses changent, qu’elles ne m’emmerdent plus surtout. Je lis des articles sur Serge Doubrovsky, je m’empêtre. Commencé à écrire un avant-propos concernant la proposition 3 sur recherche sur la nouvelle des ateliers du Tiers Livre. Trop pompeux. Tu te prends pour qui ?? Je ne sais jamais si c’est le dibbouk qui écrit ou le pauvre type chevauché par un gnome. Ce que je suis en mesure d’observer, une certaine distance, le pauvre type est un gars bien. — ça vous rassurerait d’être un gars bien n’est-ce pas ( une voix dit ) je ne réponds pas, je fais comme si je n’avais pas entendu. Si on retire cette couverture je me retrouve les jambes nues, j’ai froid. Et encore je me retourne dans mon lit jusqu’à ce que j’en ai assez, puis je me lève, somnambule, jusqu’au bureau, ouvre l’éditeur de texte, écris. Lu avec admiration un des textes de cette nouvelle proposition sur le blog des ateliers. Sobriété remarquable. Et bien sûr cette impression de déposer de grosses bouses quant c’est mon tour. — Pourquoi ne viens-tu pas avec nous ? — J’ai beaucoup trop la tête d’un turc ces derniers jours, vous avez remarqué qu’il faut toujours un bouc en même temps que du miel ? — tu te fais des idées comme toujours — oui c’est bien mieux de s’en faire que de penser que tout le monde s’en fout. à part ça , tout est en pousses tendres ici dans la cour. J’ai placé un tuteur pour redresser le lilas. Nous sommes dimanche, S. est partie à Lyon pour récupérer les enfants. Une semaine avec eux , mais bien dommage, je ne les verrai pas beaucoup, encore du travail, par monts, par vaux.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
8 avril 2024
L’impossibilité chronique de rester dans un cadre n’est pas qu’un défaut d’attention. Je veux dire que ce n’est pas parce que je n’ai pas suffisamment de concentration que je ne peux pas me contraindre à rester dans ce cadre. Je ne le crois pas. Ce journal en est la preuve irréfutable. Simplement la question est liée à la nature du cadre. De quel cadre suis-je en train de parler quand j’évoque l’idée d’un cadre. Je ne peux visiblement me passer d’écrire. J’ai essayé, la sensation d’être un légume m’envahit tôt ou tard. Et je n’ai rien contre le fait d’être un légume, ou de me prendre pour un légume. C’est en tous cas bien moins dangereux que de se prendre pour Napoléon. Beaucoup moins glorieux certes, mais obtenir la gloire ne m’intéresse pas. Je ne suis pas assez solide pour supporter l’idée d’endosser une célébrité et donc n’importe quelle genre de gloire. Trop de tapage, trop de de dérangement. Je serais beaucoup trop déstabilisé, dissipé, éclaté. Déjà que j’ai du mal à recoller les morceaux dans ce parfait anonymat, ce serait le pompon d’avoir à le faire de manière glorieuse. — Vous vous déconsidérez mon petit vieux, il faut vous reprendre , dit elle — Évidemment en me mettant à votre place je conçois que mes propos soient décevants. Vous estimez qu’un homme doit toujours se tenir prêt, pour ne pas dire en érection. Bien sûr vous ne le pensez jamais consciemment, et c’est cela le piège dans lequel nous tombons depuis la nuit des temps. Tout vient chez vous de l’inconscience pour une grande part du moins. — je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler, que puis-je avancer d’autre qu’une négation, vous ne me laissez aucun choix, réfléchissez. — un jour il faudrait que je vous parle de mes expériences virtuelles, que je fasse de vous ma confidente, mais en y songeant, il me vient naturellement à l’idée que mon intention n’est pas bonne. Que ce ne serait qu’une sorte d’attrape-mouche. De proie à proie, dans un dialogue biscornu et d’une perversité effroyable, il faudrait à terme que l’un des deux trépasse. Vous comprenez ? — Rien du tout mais poursuivez ( Elle sourit ) — Vous voyez, nous voici déjà en train de jouer au jeu de la mort, il n’aura pas fallu moins de quelques secondes pour que nous plongions dans ce gouffre. Le dibbouk bu un verre d’eau et s’essuya la bouche avec sa manche. Il s’agitait sur son siège. — Vous devriez baiser et arrêter de palabrer lança t’il en baillant. Vous me fatiguez tous les deux. Ou alors vous vous entre-tuez directement et on tourne la page , c’est une autre option. Ils ne le voyaient pas mais ils savait que quelqu’un était là dans la pièce. Se voyaient-ils eux-mêmes, rien n’était moins sûr. Dans le fond il y avait une voix qui s’exprimait de façon ininterrompue, un fleuve verbal traversant l’étendue infinie d’un désert. Le monde entier avait disparu, il ne restait plus rien que ce désert jonché ça et là de ruines. Et cette voix qui s’écoulait comme un fleuve. Parfois des animaux s’en approchait pour se désaltérer, ils recueillaient les propos qui se mêlaient à leur sang, aux larmes de leurs yeux, à leur sueur. Les animaux étanchaient leur soif puis repartaient dans les profondeurs de la nuit, aux confins du désert, ils pouvaient ne pas revenir vers le fleuve durant plusieurs jours parfois. Puis la soif les assaillait à nouveau, ils revenaient, le fleuve s’était encore élargi depuis la dernière fois qu’il l’avait vu. Ils ployaient leur échine, approchaient leurs naseaux de la surface des mots, puis ils buvaient, buvaient, buvaient jusqu’à ce que leur ventre soit dur à force d’être gonflé. Puis il repartaient encore et ils revenaient et ils repartaient et ils revenaient. Et je crois que tant que le fleuve coulera tant que le soleil ne l’aura pas complètement asséché, ils reviendront et repartiront encore.|couper{180}
Carnets | Avril 2024
6 avril 2024
Si j’avais encore un de ces vieux carnets je pourrais écrire seulement deux mots sous la date du jour. Mais le fait d’écrire ici sur ce blog me pousse à écrire beaucoup plus que deux mots. Est-ce que je m’en plains, est-ce que je m’en réjouis, ni l’un ni l’autre. C’est juste un constat. Quand Kafka écrit « les jours » et rien devant rien derrière, je siffle d’admiration. Et je vois très bien la page du cahier. En revanche, je ne vois pas ce billet de blog J218 avec « Volontairement » et rien devant ni derrière. Donc le support est important, car il permet une intention différente. Est-ce que pour autant j’aurais aujourd’hui encore envie d’écrire sur un carnet ? Je ne le crois pas, je ne le crois plus. Déjà parce qu’à force de ne plus écrire à la main j’écris comme un cochon, c’est devenu illisible. Une écriture de médecin déchiffrable que par les pharmaciens. Je me souviens comment j’écrivais autrefois de jolies phrases avec une écriture très lisible. C’était une toute petite écriture très resserrée, j’utilisais toute la surface de la page de carnet, il fallait que tout, absolument tout soit noirci, très peu de blanc comme dans un dessin de visage. A quelle époque ai-je arrête d’écrire ainsi ? J’ai quitté Paris, en 1995, pour Montfort l’Amaury, et ce fut l’occasion d’acheter ce premier ordinateur Hewlett Packard. Je ne me suis pas mis à écrire sur cette machine tout de suite. Je me souviens que je n’y comprenais rien. Il y avait un collègue de travail qui travaillait au service informatique de la boite qui m’avait plus ou moins guidé pour que je me repère. Le logiciel de traitement de texte était Works je crois. C’était encore Windows 3.1. Une machine achetée d’occasion bien entendu, et déjà pas donnée. Je crois que la même année je suis passé à Windows 95, et peut-être Word. Ce même collègue m’avait fournit les disquettes et j’avais installé le nouveau système d’exploitation tout seul. J’aurais pu écrire au moins 10 romans avec tout ça. Mais je n’en ai rien fait. Je crois que j’ai continué à écrire sur mes carnets. Cela me rassurait. Puis je me suis lancé sur Word et j’ai perdu de nombreux textes car la machine plantait, ou bien je devais changer le disque dur, ou encore je ne sais quoi. Je ne sauvegardais que très peu car les sauvegardes s’effectuaient sur disquettes. Les disques durs externes sont venus beaucoup plus tard. Est-ce que je suis encore nostalgique quand je repense à cette époque, à toutes ces pertes ? Non, plus vraiment. J’imagine que c’est la part que l’on doit donner au feu et puis grandes chances aussi que ces textes ne valaient pas grand chose non plus. C’était une sorte de longue plainte, avec parfois des accès de méchanceté crasse. Quels écrivains essayais-je d’imiter à cette époque ? Probablement Paul Auster dont j’avais avalé sans mâcher sa Trilogie new-yorkaise ; ou encore Paul Bowles, avec son Thé au Sahara, certainement aussi Raymond Carver avec ses Vitamines du bonheur, et j’en oublie. Parfois j’avais des genres de crises où il fallait lire des essais, j’ai dû me goinfrer de Blanchot, surtout de Blanchot, et parallèlement de René Girard, et donc de Dostoïevski. Puis je sautai allègrement vers les écrits bizarres comme ceux de Carlos Castanéda et ceux de Mircéa Eliade… j’essaie de me souvenir des principaux. J’oublie Rabinadrath Tagore et tous les persans, Rûmî, Omar Khayam, Afez. Et encore beaucoup d’autres. Je crois que la lecture de Miller est associée à l’errance d’un quartier à l’autre de la ville, de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel. Et aussi celle de Laurence Durrell bien sur. Je n’ai pas réussi à lire Proust avant 1996 quand j’ai déménagé sur Lyon, dans cette maison que je louais rue Pierre Valdo dans le 5ème. Une lecture plutôt anarchique donc. Est-ce que je prenais des notes de lecture ? je ne le crois pas, ou en tout cas d’une façon assez dilettante. C’est peu à peu que je me suis mis à taper au clavier, dans cet appartement que j’ai trouvé juste après à la Croix Rousse. J’étais au septième étage dans un genre de grenier, j’avais installé ma table de travail sous un vasistas et cet été 1998 je l’ai déplacée car j’ai découvert que je pouvais grimper sur le toit durant les nuits chaudes d’été. Je m’asseyais là pour regarder la ville en contrebas en fumant des cigarettes et en rêvant à je ne sais quoi. Le temps est si vite passé. Je crois que les femmes notamment ont le chic pour nous le faire passer encore plus vite. Trois femmes seulement qui auront comptées comme on dit avant que je ne rencontre la dernière. Ce qui fait que le temps aura passé quatre fois plus vite que si j’étais resté seul sagement à taper sur mon clavier avec probablement 10 ou 15 romans à la clef. Est-ce que je vais me mettre à regretter ? certainement pas. J’observe seulement les faits, rien que les faits.|couper{180}